mardi 17 janvier 2012

Robert Debré refusa de porter l'étoile jaune

Le Pr Robert Debré n'a pas porté l'étoile jaune. Mais les lois anti-juives d'octobre 1940 viseront le pédiatre réputé, titulaire de la chaire de bactériologie à la faculté de médecine de Paris, chef de service de l'hôpital des Enfants-Malades, et membre de l'Académie de médecine.


Suite à l'instauration du statut des Juifs d'octobre 1940, Robert Debré co-signa en avril 1941 une lettre solennelle de protestation adressée au maréchal Pétain. Cette lettre portait aussi les signatures de l'avocat Pierre Masse et de Léon Lyon-Caen, conseiller honoraire à la Cour de Cassation.
Le texte, souligne Pierre Birnbaum dans "Les Fous de la République" (Fayard, 1992), proclame à la fois la fidélité au judaïsme et la confiance dans le maréchal Pétain.
Ces "israélites français" pensaient - naïvement et à tort - que la nouvelle législation antisémite était imposée par les Allemands...

Jean-Louis Debré, son petit-fils, dans "Une histoire de famille" (Robert Laffont, 2019) rappelle (p. 145) que sur intervention de Paul Valéry, qui siègeait à l'Académie française avec Pétain, son grand-père sera relevé des interdictions fixées par la loi du 3 octobre 1940, par un décret du 5 janvier 1941. 
Cette lettre de Valéry a été envoyée au Chef de l'Etat le 20 novembre 1940. Le successeur de Pétain à l'ambassade de France à Madrid, François Piétri, interviendra aussi en faveur de Robert Debré, par un courrier du 18 avril 1941. (CDJC-CCXXXIX-17)
Le décret n'est pas signé de Pétain mais de Jérôme Carcopino, son secrétaire d'Etat à l'Education nationale. 
Le même décret réintègre d'autres personnalités universitaires : Louis Halphen, André Mayer, Marc Bloch, René Wurmser, Jules Bloch, Paul Reiss, Max Aron, Paul Job et Marc Klein.
Curieusement, la mesure ne sera pas publiée au Journal Officiel et la réintégration de sera officielle que le 11 juillet 1941. Il est même réintégré dans ses fonctions à l'Académie, avec effet rétroactif.
Les autorités allemandes s'opposeront à l'application du décret en zone occupée et aucun professeur ne pourra reprendre ses enseignements. Carcopino décide de les réintégrer dans des universités de zone sud mais le Pr Debré refuse de quitter Paris.
Robert Debré, écarté de son service hospitalier et exclu du corps enseignant, se consacra entièrement à la résistance du corps médical et au service de santé de l'armée secrète.
Il cacha dans les environs de sa maison de Touraine des enfants juifs arrachés au rafles, et monta un atelier de faux papiers dans son laboratoire de l'hôpital des Enfants-Malades.

Avec l'introduction de l'étoile jaune fin mai 1942, Robert Debré poursuit son acte de résistance. Il rappelle cet épisode dans ses mémoires :
" Personnellement, j'étais bien décidé à ne pas obéir à cette mesure nouvelle pas plus qu'aux précédentes. Pour éviter toute complication, Dexia - Ndlr : pseudonyme de résistance d'Elisabeth de La Panouse de La Bourdonnaye, sa seconde épouse - retira une étoile jaune au commissariat de police. Elle avertit le commissaire de police que je ne la porterais point. Il enregistra cette déclaration et je rangeai le petit morceau d'étoffe dans un tiroir où devait le rejoindre plus tard, parmi les objets du souvenir, mon brassard FFI arboré pendant la libération de Paris.
J'étais convaincu, comme plusieurs d'entre nous, que cette désobéissance n'augmenterait guère les risques car nous fûmes assez nombreux à prendre cette atttitude.
Sans nous être entendus, agirent de même les deux autres membres de ma famille astreints à cette obligation et alors présents à Paris : le professeur Jacques Hagueneau, mon cousin, qui échappa de justesse un peu plus tard à la Gestapo, et un autre cousin, 
Paul Dennery, qui fut arrêté place de la Madeleine et dont on n'eut plus jamais 
de nouvelles ". (1) 
Alors qu'il se rend sans étoile à l'Académie de médecine en mai 1943, il est inquiété par la police française. 
Dans son rapport d'enquête du 31 mai 1943, l'inspecteur Henri Soustre indique avoir interrogé le médecin à son domicile : "  Le Pr Debré déclare être Juif et ne pas porter l'étoile et avoir été relevé de toutes les interdictions portées au statut des Juifs par décret du 5 janvier 1941 pris en Conseil des ministres ".
Le rapport poursuit : " Récemment son téléphone ayant été supprimé à la suite d'une dénonciation, les autorités occupantes le lui ont fait remettre immédiatement. Le Pr Debré ajoute qu'il s'est présenté à plusieurs reprises dans les bureaux allemands sans porter l'étoile. Au moment du port de l'étoile, une demande à la préfecture de police a été faite, il lui aurait été répondu qu'il étant dans un cas spécial en vertu de ce même décret.
A l'Ordre des médecins, le Pr Debré n'est pas inscrit parmi les médecins israélites, son cas y est considéré tout à fait à part ".
Une exception justifiée par Robert Debré lui-même dans cet interrogatoire où il indique soigner des enfants d'officiers allemands.
Le rapport de police concluera : " Quoique prétextant que les autorités occupantes ne le considèrent pas comme Juif, le Pr Debré n'en est pas moins recensé à la préfecture de police et ne possède aucune dispense de l'étoile ". (2)

Une demande d'exemption 
pour Mme Widal

Alors que les hautes instances médicales se sont particulièrement compromises dans la Collaboration, en appliquant sans protester le numerus clausus excluant les médecins juifs, on notera cette unique réaction contre l'étoile jaune : en juin1942, les professeurs Leriche et Lemierre, président et vice-président de l'Ordre des médecins, formulent une demande au Commissariat général aux questions juives, en faveur de Mme le Dr Widal, la veuve du célèbre Fernand Widal, décédé en 1929. (3)
Le courrier rappelle que Widal a été " le conseiller éclairé du gouvernement et le maréchal Pétain l'a compté parmi ses amis ". 
Un argument mis en avant pour appuyer la requête qualifiée "d'exception" : 
" C'est au nom du corps médical français tout entier, conscient de ce qu'il doit à Fernand Widal, que nous venons solliciter aujourd'hui qu'une mesure d'exception soit prise en faveur de Mme Widal.
Nous ne doutons pas qu'en intervenant pour obtenir cette mesure d'exception, le Gouvernement ne tienne à montrer que la France, dans son malheur, sait encore honorer la mémoire de ceux qui l'ont loyalement servie et ont contribué à accroître son prestige dans le monde ".
Une réponse sèche de dix lignes indiquera qu'il ne peut être donné " une suite favorable ", l'ordonnance allemande " ne prévoyant pas de dérogation ".
Aussi, en septembre 1942, le secrétaire général de l'UGIF rappellera au directeur de l'hôpital Rotschild que tout le personnel " doit impérativement porter ce signe distinctif ". (4)

Indulgence 
pour un médecin
veuve de guerre

Une veuve de guerre, qui occupait le poste de médecin-inspecteur des écoles de la Ville de
Paris avait dû cesser ses fonctions, en raison du Statut des juifs du 3 octobre 1940.
Un échange de courrier entre le directeur de la législation du CGQJ et le préfet de la Seine indique que "l'intéressée est en droit d'obtenir son maintien au tableau de l'Ordre des médecins et qu'elle est admise à occuper un poste rétribué par une collectivité publique".
Cependant, elle ne peut réintégrer les cadres de l'administration, du fait du Statut des juifs.
Il est précisé que "les Juifs porteurs de l'étoile jaune sont admis à vaquer à leurs occupations dans les lieux publics tels que les écoles, dont l'accès ne leur est pas interdit par la 9e ordonnance". (5)
La 9e ordonnance du 8 juillet 1942 interdisait la présence des Juifs dans les restaurants, les bibliothèques, les cinémas, théâtres, squares, parcs et piscines.

(1) Robert Debré : " L'honner de vivre " (Stock - Hermann, 1974), p. 221, 230 et 231.
(2) CDJC-CCXXXVIII-117_01 : rapport d'enquête du 31 mai 1943 de l'inspecteur Soustre, de la section d'enquête et de contrôle (SEC) de Paris.
(3) CDJC-CXV-52 Lettre du 25 juin 1942. Fernand Georges Isidore WIDAL est né le 9 mars 1862 à Dellys (Algérie). Il est décédé le 14 janvier 1929 à Paris à l'âge de 67 ans.
(4) CDJC-DCCCXXX-18 Lettre du 15 septembre 1942.
(5) CDJC-CXV-147 Correspondance du 3 octobre 1940 au 15 février 1944 entre M. Izard, directeur du service de la Législation au CGQJ et le préfet de la Seine.

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