samedi 15 juillet 2017

75e anniversaire de la rafle du Vél d'Hiv : qui sont les commanditaires et les exécutants ?

16 et 17 juillet 1942 : plus de 13 000 juifs parisiens sont arrêtés lors de la rafle du Vél d’Hiv, épisode majeur de la collaboration française avec les nazis. C'était il y a 75 ans...

Organisée à la demande de l'occupant allemand, dans sa politique d'extermination des populations juives d'Europe, et sur ordre des autorités de Vichy, cette grande rafle mobilise plus de 7 000 policiers et gendarmes, assistés par des militants du Parti populaire français.
Souvent avec violence, 13 152 Juifs sont arrêtés : 4 115 enfants, 5 919 femmes et 3 118 hommes...
Une cinquantaine d'autobus sont réquisitionnés pour assurer les transports.
Une partie sont dirigés directement vers le camp de Drancy, et 8 160 - dont 4 115 enfants - sont retenus dans le vélodrome d'hiver pendant cinq jours, sans nourriture, avec un seul point d'eau, ils supporteront une chaleur étouffante, une odeur épouvantable et un bruit infernal. 
Moins de cent adultes survivront à la déportation vers Auschwitz ainsi que quelques enfants, échappés des camps de Beaune-la-Rolande et Drancy.
La rafle représente à elle seule plus du quart des 42 000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942.

Le 13 juillet 1942, la circulaire no 173-42 de la préfecture de police, signée par Émile Hennequin, directeur de la police municipale, ordonne avec une rigueur administrative glaçante, l’arrestation et le rassemblement de 27 427 Juifs étrangers habitant en France. 
Sont visés les Juifs allemands, autrichiens, polonais, tchécoslovaques, russes et apatrides, de 16 à 60 ans pour les hommes et de 16 à 55 pour les femmes, ainsi que leurs enfants. Pierre Laval, le chef du gouvernement de Vichy, avait proposé d'abaisser la limite d'âge à deux ans et la déportation des hommes jusqu'à 60 ans.
L'objectif n'ayant pas été atteint, la police française appréhendera également des enfants, des vieillards, juifs de nationalité française, Dannecker, chargé des affaires juives à la Gestapo, ayant réclamé la livraison de 10 000 Juifs et l'arrestation de 40 % de Français. Une demande validée par Laval et René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy.

La plaque commémorative au n°8 du boulevard
de Grenelle, à l'emplacement du vélodrome
Emile Hennequin (photo sfhp)
Emile Hennequin, né en 1887 à Paris, débuta comme inspecteur stagiaire à la préfecture de police en 1912. 
Nommé commissaire en 1922, il exercera en Indochine de 1927 à 1934 avant de retrouver la préfecture de police. Commissaire principal en 1936, divisionnaire en 1938, il est nommé directeur adjoint de la police municipale en décembre 1940. 
Directeur en 1941, directeur général en janvier 1943, il sera arrêté le 27 août 1944. 
Révoqué, il sera condamné en 1947 à huit ans de travaux forcés, à la dégradation nationale et à la radiation de l’ordre de la Légion d’honneur. L'acte d'accusation lui reprochait notamment la création des brigades d'interpellation, et des rafles massives de juifs.
Grâcié en 1948, il sera mis à la retraite d’office. 
Aucun historien n'a encore fait mention de la date de son décès...
Hennequin s'était également illustré dans le dispositif de distribution de l'étoile jaune. Dans une circulaire du 1er juin 1942 (CDJC XX-29), envoyée aux commissaires de police il annonce que du personnel supplémentaire de l'administration centrale sera détaché pour apporter de l'aide aux personnels des commissariats. Le 6 juin 1942 il signe une autre circulaire prévoyant l'arrestation des parents d'enfants juifs dépourvus d'étoile.

Outre Pierre Laval, chef du gouvernement, jugé et exécuté en 1945, le commanditaire direct de la rafle est René Bousquet.
Né en 1909, plus jeune préfet régional en 1941, il est nommé secrétaire général à la Police à 31 ans, en avril 1942 par Pierre Laval.
En 1936, il avait été chargé du fichier central à la Sûreté nationale, par Roger Salengro, ministre de l’intérieur du Front Populaire.
Arrêté par les Allemands le 9 juin 1944, placé en résidence surveillée en Bavière, il est libéré par les Américains en avril 1945. Incarcéré à la prison de Fresnes du 17 mai 1945 au 1er juillet 1948, il comparaît devant la Haute Cour de justice en 1949. Il sera condamné à l’indignité nationale et à cinq années de dégradation nationale. 
Le 13 janvier 1948, la Haute Cour de la Libération conclue à un non-lieu pour les crimes et délits commis entre septembre 1940 et avril 1942. Sa peine est supprimée en raison de sa participation « active et soutenue à la résistance contre l’occupant ». 
En 1957 le Conseil d’Etat lui rend sa Légion d’honneur et il est amnistié en janvier 1958. 
Bien qu’écarté de la haute fonction publique, il poursuivra une brillante carrière dans la presse et le milieu bancaire. 
Entré au conseil d’administration de « La Dépêche du Midi » il dirigea le quotidien toulousain jusqu’en 1971 et resta très proche de François Mitterrand. Membre du conseil d’administration de la compagnie aérienne UTA, alors dirigée par Antoine Veil - mari de Simone Veil -, ce dernier obtient sa démission.
En 1989, une plainte pour crimes contre l’humanité est déposée par les Fils et Filles de déportés juifs de France, présidée par Serge Klarsfeld. Inculpé en 1991, l’instruction s’achève avec son assassinat à 84 ans, à son domicile, en juin 1993, par Christian Didier, qui, condamné à dix ans de prison, sera libéré en 2000.

Qui sont les exécutants ?


Jean Leguay, adjoint de Bousquet, réfugié aux Etats-Unis en 1945, mènera une carrière de dirigeant industriel. Révoqué de la préfectorale à la Libération, il est réintégré en 1955. Inculpé pour crimes contre l'humanité en 1979, il meurt en 1989 à 80 ans, avant que son procès ait pu avoir lieu.
Amédée Bussière, préfet de police, arrêté en août 1944, jugé en 1946, sera condamné aux travaux forcés à perpétuité et à l'indignité nationale. Sa peine commuée, il sera libéré en 1951, et meurt en 1953, à 67 ans.
Jacques Schweblin, directeur de la Police des questions juives, né en 1901 à Mulhouse. Il a disparu en 1943...
André Tulard, sous-directeur du service des étrangers et des questions juives à la préfecture de police de Paris, qui élabora le "fichier juif" utilisé pour la rafle, ne fera l'objet d'aucune poursuite après guerre et restera chevalier de la Légion d'honneur. Il meurt en 1967 à 68 ans.
Jean François, directeur de la police à la préfecture.
Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, réfugié en Espagne à la Libération, il y meurt à 82 ans en 1980, sans jamais avoir été inquiété bien que condamné à mort par contumace en 1947. 
Dans une interview à "L'Express" en 1978, il ira jusqu'à déclarer : " Je vais vous dire, moi, ce qui s'est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c'est vrai. Mais on a gazé les poux ".
Pierre Gallien, chef de cabinet du commissaire général aux questions juives.
Georges Guidot, commissaire, qui exerçait aux côtés d'Hennequin.
Victor Barthélemy, n°2 du PPF, ancien membre du parti communiste de 1925 à 1930, volontaire pour procéder aux interpellations. A la Libération il se réfugie à Sigmarigen puis en Italie. Arrêté en 1945 il sera condamné par un tribunal militaire à quelques mois de prison. Resté lié aux mouvements fascistes, il soutient l'Algérie Française aux côtés de Jean-Marie Le Pen puis fera la campagne présidentielle de Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965. Il réapparait lors de la fondation du Front national de Jean-Marie Le Pen en 1972, et deviendra le secrétaire administratif du parti de 1973 à 1975. puis secrétaire général jusqu'en 1978. Il meurt en 1985.

> Il faudra attendre le 16 juillet 1995 pour que le président de la République, Jacques Chirac, dans un discours remarquable reconnaisse officiellement la responsabilité de la France dans la politique de collaboration du gouvernement du maréchal Pétain : " Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français ". 
Il rompait ainsi avec ses prédécesseurs qui estimaient que la responsabilité de Vichy n'engageait pas celle de l'Etat français.

> Après le Vél d'Hiv, aura lieu le 26 août 1942 la grande rafle en zone libre : 6 584 juifs seront arrêtés.
Suivront d'autres rafles anti-juive : le 11 septembre 1942 dans le Nord-Pas-de-Calais, où 520 personnes complèteront le convoi n°10 du 15 septembre 1942 pour Auschwitz.
> Le 20 février 1943, la rafle de Lyon-Villeurbanne, en représailles d'un attentat à Paris le 13 février 1943 : 2 000 juifs arrêtés. Les convois n° 50 et 51 des 4 et 6 mars 1943 seront formés pour Auschwitz.

> Dans son discours du 16 juillet 2017, le président de la République, Emmanuel Macron, en présence de Benjamin Netanyahu, Premier ministre Israélien, s'est inscrit dans les pas de Jacques Chirac, en insistant sur le rôle des Justes. 
Il a également déclaré, brisant les tabous et n'en déplaise à l'extrême gauche et une partie de la gauche : " Nous ne cèderons rien à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme ".
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Thierry Noël-Guitelman
Première page de la circulaire no 173-42 du 13 juillet 1942