samedi 31 décembre 2011

Louise Neuburger, veuve de Bergson, n'a pas été exemptée d'étoile jaune

La demande d'exemption de l'étoile jaune de Louise Bergson, voulue par Pétain, sera
examinée par les autorités d’occupation le 17 juin 1942, un an et demi après la mort
du prix Nobel de littérature 1927.

Louise aux côtés de Bergson

Cette réunion, tenue à l'ambassade d'Allemagne à Paris,
réunissait l'ambassadeur Otto Abetz, Rudolph Rahn, et les 
SS Zeitschel, Oberg, Knochen et Hagen.
Ce dernier rédigea dès le 18 juin un rapport qui concernait 
aussi le mari de Colette, la femme de l'ambassadeur 
de Brinon et le pianiste Konstantinoff, qui travaillait à "Radio 
Paris". Aucune décision ne sera prise.
Le Pr Emile Aron, qui soignait Bergson à Tours, se souvient :
" En tout état de cause, la demande de Pétain ne servait à rien
 car dès le printemps 1941, j'avais dit à Mme Bergson de 
quitter la France.
On lui a d'ailleurs fait passer la ligne de démarcation à Bléré, 
pour rejoindre la Suisse. Je l'ai revue avec sa fille alors que
 j'avais moi-même passé la frontière aidé par la résistance du
Chablais. " (1)
Au préalable, Louise avait demandé des laissez-passer, pour 
elle et sa fille Jeanne. En effet, les Bergson possédaient une 
propriété à Saint-Cergue, en Suisse. (2) 
Selon Wladimir d'Ormesson (éditorialiste et ancien
ambassadeur auprès du Saint-Siège), Pierre Brisson, directeur 
du quotidien Le Figaro, aurait vu Mme Bergson à Lyon, où le journal s'était replié, 
et aurait assuré son départ pour la Suisse. 
Une note du 26 juin 1941, de l'ambassade d'Allemagne à Paris, adressée à la 
Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés, indique 
" qu'il ne peut être fait droit aux requêtes de Madame et Mlle Bergson, du fait qu'elles 
soient juives". (3)

Louise Neuburger (1872-1946) avait épousé Bergson en 1892, à tout juste 20 ans. (4)
Bergson avait alors 33 ans.
Cousine de Marcel Proust, par Jeanne Weil, la mère de l’écrivain (5), qui sera garçon 
d'honneur de son mariage, Louise n’aura qu’un seul enfant avec le philosophe, Jeanne 
(1893-1961). Sourde et muette mais peintre et sculpteur de talent, elle sera l’élève de Bourdelle.
Bergson, emporté le 4 janvier 1941, à 81 ans, par une congestion pulmonaire, son disciple
Jacques Chevalier, secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse,
adressa un télégramme de condoléances à sa veuve.

Marcel Déat : " un Juif judaïssime " 

Une initiative amicale qui lui valut de violentes attaques de Marcel Déat, dans L'Oeuvre,
dénonçant " cet hommage solennel à un Juif judaïssime " (6). 
Le télégramme  de Chevalier sera approuvé par Pétain mais, le 6 janvier, jour des obsèques,
les Allemands refusent un Ausweiss à Chevalier qui abandonnera ses fonctions
ministérielles le 22 février.

Paul Valéry prononça en sa qualité de secrétaire de l'Académie française, l'éloge funèbre
 du "Juif Henri Bergson", ce qui lui vaudra de perdre ce siège mais lorsqu'il  meurt 
en juillet 1945, le général De Gaulle lui accorde des obsèques nationales.
Le 29 août 1941, Mme Bergson adressera une amicale carte à Paul Valéry 
depuis Saint-Jean-de-Luz, ce qui prouve qu'elle se trouvait encore en France à cette époque.
Quant aux amis de Touraine, leur hommage prévu dans le quotidien collaborateur local
La Dépêche du Centre sera refusé par la censure.
Une polémique surviendra sur une supposée conversion au catholicisme de Bergson
mais Louise Bergson publiera un extrait du testament de son mari, rédigé en 1937, où il
dit comprendre le sort réservé aux Juifs :
"Mes réflexions m'ont amené de plus en plus près du catholicisme où je vois
l'achèvement le plus complet du judaïsme. Je me serai converti, si je n'avais vu
se préparer depuis des années la formidable vague d'antisémitisme qui va déferler
sur le monde. J'ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés.
Mais j'espère qu'un prêtre catholique voudra bien, si le cardinal-archevêque de Paris
l'y autorise, venir dire des prières à mes obsèques ".

Pour ses 80 ans, en octobre 1939, Bergson avait improvisé un discours devant ses amis,
réunis dans sa propriété de " La Gaudinière" à Saint-Cyr-sur-Loire, " proclamant sa foi dans la 
victoire des nations alliées et surtout le triomphe de l'esprit et de la morale humaine ". (7)
Le philosophe avait refusé d'être dispensé des mesures du statut des Juifs : " Bergson
quitta son lit de douleur, lui qui depuis des années pouvait à peine se mouvoir et, vêtu
d'une robe de chambre et de pantoufles, appuyé au bras d'un de ses proches, il va faire
la queue pour se faire inscrire comme Juif, se voulant plus que jamais solidaire de son
 peuple " note sa biographe Raïssa Maritain. (8)
Bergson, enterré au cimetière de Garches (Hauts de Seine), sera rejoint par Louise Bergson,
décédée à Genève le 2 septembre 1946.

(1) Entretien de l'auteur avec le Pr Emile Aron (1907-2011) du 14 août 2006. Lui même, touché par le
statut des juifs, dénoncé par des confrères, interdit d'exercer et pourchassé par la Gestapo, ira se réfugier 
en Suisse. Il retrouvera son activité à la Libération et sera élu à l'Académie nationale de médecine
en 1979.

(2) Une maison de campagne, face au Mont-Blanc, «  L’Echappée « , entourée de forêts et avec vue sur le lac. 
Achevée de construire en 1914, de 1919 à 1930, Bergson y séjourna chaque été. Interdit d’altitude par le médecin, il 
villégiatura alors à Nyon, puis à Vevey.
Mais c’est à Saint-Cergue que furent pensées et écrites ses dernières oeuvres, en particulier sa philosophie morale et religieuse. 
L‘université de Lausanne souhaita lui décerner le titre de docteur honoris causa en 1939 mais la guerre éclate
et l’auteur de la Pensée et du Mouvant décède à Paris en 1941.
Le 12 septembre 1959, au cours de la réception offerte par Mlle Jeanne Bergson à «  L’Echappée », le représentant de 
la municipalité annonça qu’une plaque commémorative serait apposée sur le mur de la villa du philosophe. 
(Saint-Cergue et Henri Bergson : Marcel Reymond Revue Historique vaudoise 1959).


(3) CDJC-II-178 Note du 26 juin 1941, de Rudolf Schleier, de l'ambassade d'Allemagne à Paris, adressée
 à la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés, au sujet des requêtes de 
laissez-passer de Louise Bergson et de Jeanne Bergson.
(4) Une des deux soeurs de Louise, Mathilde, épousa Oscar Lange, dont le neveu par
alliance était Henri Franck, le frère de Lisette de Brinon.
(5) Bruno Halioua : "Mères juives des hommes célèbres" (Bibliophane, Daniel Radford 2002) - Jeanne Proust 
(p. 185-198)
(6) Jacques Chevalier : " Entretiens avec Bergson" (Plon 1959), pp. 299-300.
(7) Michel Laurencin : " Dictionnaire biographique de Touraine ", p. 83.
(8) Jacques et Raïssa Maritain : Grandes amitiés ( Parole et Silence 2000)
Lire aussi Philippe Soulez - Frédéric Worms : " Bergson : biographie " (Flammarion, 1997)
et Frédéric Worms : " Bergson ou les deux sens de la vie " (PUF, 2004)

vendredi 23 décembre 2011

Kostia Konstantinoff, pilier de Radio Paris

Konstantinoff, pianiste et chef de l'orchestre de Paris, comptait parmi les demandes d'exemption de l'étoile jaune, formulées par le maréchal Pétain, sous le nom de Constantin Konstantinoff. (1)


Kostia Konstantinoff
Né à Odessa, le 15 juin 1903, Kostia Konstantinoff s'installe à Constantinople à l'âge de 18 ans où vivait déjà son frère ainé, puis à Berlin, avant de venir s'installer à Paris où il termina ses études tout en étant professeur de piano au conservatoire russe.
Accompagnateur de chanteurs russes et tziganes, il dirige les orchestrations des spectacles du théâtre populaire russe.
Ses œuvres seront exécutées en 1932 au festival de la musique russe, donné au Théâtre des Champs Elysées.
Konstantinoff est l'auteur de nombreux ballets sous le nom de Karol Konstantinoff.
Dessin Paul Colin
La revue L'Elite internationale à Paris de novembre 1933, lui consacre un article accompagné de son portrait, dessiné à la plume par Paul Colin (ci-contre). 
Il y est écrit que " ce jeune compositeur, au talent à la fois fort et plein de charme, appartient à la culture franco-allemande ; il continue la lignée des grands Russes et sa musique, tout en étant moderne, reste fidèlement attachée à la beauté des vieilles traditions. A son talent de composition, il joint celui de pianiste virtuose et de chef d'orchestre ".
A partir du 16 août 1940, il joue pour Radio Paris (2) et le 6 avril 1941, au Palais de Chaillot, il sera le soliste du Concerto n°1 de Tchaikovsky enregistré avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, dirigé par Charles Münch.
Dans ce même enregistrement, il interprète en première audition le concerto pour piano de son ami Mitja Nikish.
Le 1er mars 1942, il interprète le Concerto en la de Liszt sous la direction de Gustave Cloëz.
Suite à l'introduction du port de l'étoile jaune en zone occupée, fin mai 1942, le maréchal Pétain formula plusieurs demandes d'exemption. 
Aussi, le 19 juin 1942, lors d'une réunion tenue à l'ambassade d'Allemagne, le nom de Constantin Konstantinoff est soumis aux autorités parmi d'autres demandes. Aucune décision ne sera prise...
Le compositeur, malgré les lois anti-juives de Vichy et les rafles allemandes, poursuit son activité professionnelle. 
Échappé de la rafle du Val d'Hiv, il se réfugie à Sully, près d'Orléans, dans le but de rejoindre l'Angleterre en Lysander, aidé par la résistance locale. L'avion ayant été abattu, il ne pourra partir et reste caché jusqu'à la Libération. Les américains, arrivés à Ouzouer-sur-Loire le prendront en charge.
En 1943, son opérette lyrique « Don Philippe » restera joué au Théâtre Pigalle et les représentations seront données jusqu'en 1944.
Véritable pilier de la programmation musicale de Radio Paris, sa carrière intriguait les autorités allemandes. En novembre 1943, Heintz Röthke, chef du service Juif à la SS de Paris, s'adressera au CGQJ pour en savoir plus sur l'appartenance raciale de cet " artiste étranger " devenu introuvable. (3)
Il lui est répondu le 22 décembre, que des recherches approfondies de la préfecture de police ont permis de découvrir qu'il avait un double état-civil et qu'il utilisait de faux papiers : une première carte d'identité avait été établie au nom de Schreiber-Fischmann. Sa véritable identité était Constantin Borissovitch Schraiber. (4)
Le directeur du statut des personnes du CGQJ précise qu'il pensait avoir affaire jusqu'alors à un orthodoxe alors qu'il le considère finalement comme juif.
A la Libération, son cas sera examiné par les commissions d'épuration, sans aucune sanction contre lui. (5)
Dès 1946, il reprendra sa carrière internationale avec des concerts à Londres, Vienne, Copenhague et outre-Atlantique, avec Charles Münch. Il comptait s'installer à New York mais il meurt dans un accident d’avion dans le Maryland, le 30 mai 1947, à 43 ans.

(1)  CDJC-XLIXa-91b Lettre et note, datées du 18 juin 1942, du SS-Sturmbannführer Herbert Hagen de la Sipo-SD de Paris, adressées au commandant de la Sipo-SD de Paris, suite à une réunion à l'ambassade d'Allemagne.
(2) Limor Yagil : " Au nom de l'art 1933-1945 - Exils, solidarités et engagements " (Fayard, 2015)
(3) CDJC-CXIII-32 Lettre du 5 novembre 1943 de Heinz Röthke, Obersturmführer, adressée au Commissariat général aux questions juives, au sujet de l’appartenance raciale de Constantin Konstantinoff.
(4) CDJC-XXXII-152a et 153 Lettre du 22 décembre 1943 du directeur du Statut des personnes et des Affaires juriques, à l’attention de Heinz Röthke, portant sur Constantin Konstantinoff ou Schreiber.
Note du 22 décembre 1943 de Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux Questions juives, adressée au SS-Obersturmführer Röthke, au sujet de l’identité de Constantin Schreiber, dit " Konstantinoff ".
(5) Myriam Chimènes – Josette Alviset : " La vie musicale sous Vichy "  (Editions Complexe, 2001)
Yannick Simon : " Composer sous Vichy " (Editions Symétrie 2009)
AN-F21 8103, dossier n° 3

Des exemptions à explorer...

Le Centre de documentation juive contemporaine conserve des certificats d'exemption d'étoile qui restent, pour l'instant, sans explication.
Des recherches plus approfondies sont à mener pour comprendre les conditions dans lesquelles ces exemptions ont été obtenues.
Elles concernent les 8 personnes suivantes :

Markela Devidels née le 1er octobre 1899. Libérée du camp de Drancy sur instruction de Heinz Röthke le 21 juillet 1942 (CDJC-XXVa-176).
Ignaz, Stella et Gerhard Alexander Bacher, originaires de Vienne. Une triple exemption accordée jusqu'au 31 mai 1943 et prolongée jusqu'au 30 avril 1944 (CDJC-XXVa-169).
Germaine Durand née Neumann, le 12 juin 1891 à Paris (CDJC-XXVa-177).
Simone Majorette : une note du 1er décembre 1943 indique une prolongation d'exemption jusqu'au 28 février 1944 (CDJC-XXVa-190).
Halina Bornstein, née le 31 juillet 1913 à Lodz (Pologne) : exemption du 11 juin 1942 (CDJC-XXVa-173).
Eva Aronowicz, née le 1er janvier 1924 à Varsovie. Domiciliée 2, rue de l'Entrepôt à Paris 10e : exemption du 6 juin 1942. 
(CDJC-XXVa-168)
Internée à Drancy le 6 novembre 1943. 
Déportée à Auschwitz par le convoi n° 62 du 20 novembre 1943. 
Décédée le 25 novembre 1943 à l'âge de 19 ans.
Son nom figure sur le mémorial des Juifs de Saint-Quentin (Aisne) victimes de la barbarie nazie, avec le nom d'Aron Aronowicz (son père ?), né le 15 mai 1890 à Piotrkow (dans la voïvodie de Lodz). Ferblantier, domicilié 16 rue Moreau à Paris 12e, il a été déporté à Auschwitz par le convoi n°9 le 22 juillet 1942. Il est décédé le 19 octobre 1942 à 52 ans.

dimanche 11 décembre 2011

Les interventions de Léo Israelowicz, de l'UGIF

Chef du service 14 de liaison entre l'UGIF (Union générale des israélites de France) et le service des affaires juives de la SS, Léo Israelowicz intervient souvent en faveur d'internés juifs à Drancy.
Il est régulièrement reçu par Aloïs Brünner qui commande le camp, pour examiner ensemble des demandes de libération. (1)
Juif polonais, Israelowicz est né le 15 février 1912 à Tarnow, près de Cracovie.
Ancien ténor des choeurs de l'Opéra de Vienne - il chantait alors sous le nom de Léo Ilkar - il devient, à 26 ans, membre du conseil juif de Vienne, en Autriche.
C'est Adolf Eichmann qui le fait venir à Paris, le 18 mars 1941. Il arrive avec Wilhelm Biberstein, également membre du Judenrat de Vienne.
Objectif : constituer un conseil juif central en zone occupée. (2)
Israelowicz disposera d'un hôtel particulier au 77, avenue Paul-Doumer, dans le 16e arrondissement de Paris, où il vit avec sa mère Balbina Rauchwerg, 54 ans, et sa fiancée Margareta Spitzer, 20 ans. Le père de cette dernière deviendra le conseiller juridique d'Israelowicz.
Dès son arrivée à Paris, il prend la direction de l'hebdomadaire " Informations juives ", créé pour " souder la communauté juive ".
Le premier numéro paraît le 19 avril 1941, et devient le Bulletin de l'UGIF, à compter du 23 janvier 1942, qui sera visé chaque semaine par le sergent SS Ernst Heinrichson.
Israelowicz est dans son rôle, le 8 juillet 1943, lorsqu'il délivre une attestation, qui, avec l'accord de Röthke, fournit une exemption de l'étoile jaune à Robert Gamzon, membre à la fois du conseil d'administration de l'UGIF pour la zone sud, et du Consistoire central. (3)
Le document permet aussi de passer outre le couvre feu, après 20 heures, pour deux mois de séjour en zone occupée. (4)
CDJC-CDX-70 Attestation du 8 juillet 1943 pour Robert Gamzon,
provisoirement dispensé du port de l'étoile jaune.
Il s'agit d'une mesure assez exceptionnelle, les dirigeants et cadres de l'UGIF disposant seulement, en zone nord, à partir de juin 1942, d'une carte de légitimation qui n'exempte en rien des mesures antisémites en vigueur.
Dans une note du 2 décembre 1942, Israelowicz rappelle que Röthke confirme " le désir de maintenir la protection qui s’étend à nos employés. Ceci à la condition que ces derniers ne se rendent coupables, ni d’infractions ni de délits ".
Et de laisser entendre que la " non observation d’ordonnances en vigueur par un employé de l’UGIF était préjudiciable pour le reste du personnel et, qu’en cas d’arrestation, les démarches étaient rendues bien plus difficiles ". Et de conclure par un appel à l’ensemble du personnel pour " observer strictement les prescriptions en vigueur ". (5)
Pour la libération du rabbin Meyers
Israelowicz interviendra notamment pour la libération du rabbin Robert Meyers. (6)
Rabbin de la Haute-Savoie et directeur régional de l’UGIF, aumonier de la Croix-Rouge, cet homme de 44 ans est arrêté à Annemasse le 28 décembre 1942, avec son épouse Suzanne, 42 ans, secrétaire régionale de l’UGIF, alors qu’il se rendait à l’hôpital pour visiter des malades. On les accuse d’avoir voulu passer en Suisse. (Fin août 1942, lors de la grande rafle de la zone libre, le rabbin avait prévenu personnellement les 700 familles juives d'Annecy et avait obtenu de l'évêque, Mgr Cesbron, de les accueillir dans les couvents. Seulement quarente personnes seront arrêtées. Cible du préfet, le rabbin avait été menacé de déportation s'il n'arrêtait pas ses actions).
Internés à Drancy, ils sont délestés de leur argent (130.000 F).
Dans un courrier émouvant, le rabbin estime "  n’avoir contrevenu à aucune loi française, ni aucune loi allemande ". Une mention manuscrite précise " ma femme et moi sommes très sérieusement malades ".
En dépit de l’intervention du fils du rabbin auprès du Pape Pie XII, Robert Meyers et Suzanne seront déportés le 13 février 1943, par le convoi n° 48. (7)
Par contre, l’intervention sera positive en faveur d’Alice Glass, arrêtée pour ne pas avoir retiré son étoile jaune dans les délais. Son mari, non juif, s’était présenté, alors qu’elle était souffrante, le 10 juin 1942, avec trois jours de retard au commissariat du 10e arrondissement. Or, l’étoile ne pouvait être retirée que par son porteur. Lorsqu’elle se présentera, elle sera arrêtée…
Certificat médical à l’appui, le mari contacte l’UGIF et Lucienne Scheid-Haas, responsable du service juridique, interviendra deux fois auprès d’Israelowicz.
L’ordre de libération interviendra le 21 octobre 1942.
Michel Laffitte, dans " Juif dans la France Allemande " note que " la qualité de conjointe d’aryen a sans doute été l’élément majeur qui a évité à Alice Glass, pendant ces presque cinq mois d’internement au camp de Drancy, de faire partie d’un convoi de déporté ". (8)
D'autres sauvetages
Israelowicz interviendra par contre très promptement, en octobre 1942, suite à la demande du rabbin Elie Bloch, de Poitiers, pour faire libérer la famille Friedmann, les enfants orphelins Richard et sa sœur Louisette Fligelman, élèves des lycées Fontanes et de jeunes filles à Niort (respectivement premier prix de version latine au concours général et mention très bien à la première partie du bac, et prix d’excellence), leurs oncle et tante Maximilien, 60 ans, et Sabine Vollmann, 51 ans, (tous domiciliés au 251 avenue de La Rochelle) et les enfants Emilie et Marc Lieberman, transférés au camp de Poitiers.
Ces derniers n’avaient pas leur acte de naturalisation. 
Israelowicz écrit au rabbin : " Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’avertir du départ pour Drancy des enfants Liebermann et de m’envoyer au plus tôt leur acte de naturalisation pour que je puisse faire l’impossible pour les sauver ". (9)
Richard Fligelman, 16 ans, sera déporté à Sobibor, par le convoi n° 53 du 25 mars 1943.
Ses oncle et tante périront à Auschwitz par le convoi n° 42 du 6 novembre 1942. 
Seule Louisette survivra. Emilie et Marc Lieberman ne seront pas déportés.
Autre intervention en faveur d’enfants, mais négative, en mars 1943, suite à une requête du consulat de Suisse à l’ambassade d’Allemagne pour deux enfants juifs polonais, Nathan Ollech et Wolfgang Stimler,  hébergés dans un centre d’enfants de l’UGIF, pour qu’ils puissent rejoindre leurs parents en Suisse.
Röthke refusera ce genre de "rapatriement" en demandant au consulat de s'abstenir de telles demandes à l'avenir… (10)
Israelowicz arrêté, sa fille menacée...
Le 21 juillet 1943, Israelowicz accompagnait André Baur, vice-président de l’UGIF pour la zone nord, au camp de Drancy. Baur sera retenu comme otage suite à deux évasions – dont le cousin de Baur, Adolphe Ducas –  et Israelowicz sera laissé en liberté provisoire mais leurs familles seront menacées d’arrestation si dans un délai de huit jours les deux évadés ne se présentaient pas volontairement.
L’UGIF montera une mission pour retrouver les fugitifs et Baur demandera au garde des Sceaux d'intervenir auprès des autorités helvétiques pour obtenir l’extradition de Ducas. (11)
Baur et Israelowicz seront déportés à Auschwitz le 17 décembre 1943 par le convoi n° 63. (12)

Un rapport interne du Commissariat général aux questions juives, du 28 septembre 1943, relate la dénonciation de l’épouse de Lucien Cahen, interné au camp de Beaune-la-Rolande, qui " a entendu dire qu’un Juif nommé Israelowicz avait fait sortir des Juifs moyennant rétribution ". (13)
La fille d’Israelowicz donnera ce témoignage visant à défendre l’honneur de son père, à Serge Smulevic, rescapé d’Auschwitz :
" Un soir, la Gestapo est venue chez nous et a demandé à mon père de les accompagner pour aller chercher des Juifs qui n’étaient pas de nationalité française et dont mon père possédait la liste. Il faut croire que cette action n’avait rien d’officiel puisqu’ils auraient pu se procurer la même liste au bureau de l’UGIF, ce qui expliquait leur arrivée inopinée chez nous.
Mon père joua là-dessus, refusa catégoriquement, mais l’officier de la Gestapo, qui commandait le groupe de trois hommes, sortit son révolver et me le mit contre la tempe en disant à mon père : " Ou bien tu viens immédiatement avec nous, ou bien c’est ta fille qui sera victime de ton refus ".
Mon père atterré, contraint et forcé, s’exécuta et il est parti avec eux.
Ils sont revenus régulièrement trois à quatre fois par semaine, mais toujours après 20 heures, et ils ont prévenu mon père que cela ne servirait à rien d’essayer de nous faire partir ma mère et moi pour nous cacher. Que vouliez-vous qu’il fasse ?
Me laisser tuer sous ses yeux ? Ils en étaient capables et il ne l’aurait pas supporté. Il a préféré partir chercher des Juifs avec eux. Je vous raconte tout cela parce qu’aujourd’hui nombreux sont ceux qui savent ce que mon père a fait, mais ne savent pas dans quelles conditions cela s’est passé. Ils avaient aussi dit à mon père qu’il n’arriverait rien à ces juifs et qu’ils partaient simplement travailler en Allemagne.
Cela a duré à peu près deux mois, puis un soir après être venus chercher mon père, il n’est plus revenu. Mais nous avons appris par la suite ce qui était arrivé à ces malheureux ".


Roué de coups
Serge Smulevic entendra parler d’Israelowicz pour la première fois en février 1943, à Grenoble.
Israelowicz, qui se trouvait encore à Paris, aurait eu un besoin urgent de faux papiers pour sa famille.
A Auschwitz, Smulevic retrouve à nouveau le nom d’Israelowicz dans la bouche de plusieurs de ses victimes. Il tomba sur Herbert, un capo Juif polonais, qui avait vu sa jeune femme et ses trois petites filles gazées à Auschwitz, dès leur arrivée. Herbert était devenu la terreur des déportés du Kommando n° 54.
Apprenant l’arrivée d’Israelowicz, Herbert se rendra dans son bloc en pleine nuit, le fit lever et le roua de coups. La scène se reproduira deux nuits de suite, laissant Israelowicz pour mort la troisième nuit.
Le lendemain, Herbert donna sa démission de kapo et se laissera mourir. (14)

(1) CDJC-CDXXX-29 Modèle de requête en allemand, adressée aux Allemands par l'intermédiaire du service 14.
CDJC-CDXXV-29 Ensemble de lettres et de notes du 21 janvier 1942 à 21 juin 1944, écrites entre autres par Léo Israelowicz concernant les laissez-passer, les arrestations, les mariages mixtes et des restaurant juifs proposés aux autorités d’occupation pour remplacer ceux qui ont été fermés. Israelowicz informe aussi certains parents que leurs enfants ont été arrêtés.
CDXXV-40 Ensemble de lettres et de notes du 21 juin 1943 au 13 janvier 1944 échangées entre des membres de la famille Bralet, Léo Israelowicz et le directeur du Statut des personnes du Commissariat général aux questions juives, concernant l'arrestation et la libération de Mme Berthe Bernheim et de sa fille, Mme Bralet. Libérée, Mme Bernheim remercie chaleureusement Léo Israelowicz. Après Drancy, elle est transférée à l'hôpital Rothschild, puis déportée vers l'Est.
(2) Marrus et Paxton, " Vichy et les Juifs ", (Biblio Livre de poche, Essais), p. 158.
Xavier Vallat, secrétaire général du gouvernement de Vichy aux anciens combattants, craignant de perdre son autorité, présenta un projet de conseil juif pour la zone occupée et la zone non occupée.
La loi du 29 juillet 1941 officialisera la création de l'UGIF.
(3) Robert Gamzon (1905-1961), né à Lyon, est le petit-fils d'Alfred Lévy, grand rabbin de Paris. Fondateur des Eclaireurs Israélites de France (EIF) en 1923, il sera officier du Génie en 1940. Il sera décoré de la croix de guerre pour avoir participé à la destruction du central téléphonique de Reims, afin qu'il ne tombe pas aux mains des Allemands. A Lautrec, près de Toulouse, il participe à l'organisation d'une filière d'évasion d'enfants juifs, permettant le sauvetage de milliers de jeunes.
Fin 1943, il entre dans la clandestinité sous le pseudo de "capitaine Lagnes", organise la résistance militaire des EIF - dissous en janvier 1943 - qui compte dans l'OJC (Organisation Juive de Combat).
En 1944, il prend le commandement de la 2e compagnie du maquis EIF de Vabre (Tarn). Après guerre, il s'installe en Israël en 1949. Ingénieur de formation, maître de recherche au département électronique de l'Institut Weizmann, il meurt noyé accidentellement.
(4) CDJC-CDX 70 Attestation du 8 juillet 1943.
CDJC-CDXXIV-8 Une note d'Israelowicz du 18 avril 1943 à Röthke demande de laissez-passer pour autoriser un voyage en zone nord, du 28 avril au 15 mai 1943, pour Robert Gamzon, Maurice Brener, secrétaire général de l'UGIF, et Jules Jefroykin, inspecteur social à la direction générale de l'UGIF.
(5) CDJC-CDXXIV-3 Note au chef du service 14 du groupe 1 de l’UGIF du 2 décembre 1942.
CDJC- CDXXVI-1 Dans un certificat non daté de Léo Israelowicz, et du vice-président de l'UGIF, M. Edgar Geismar, chef du centre d'enfants rue Guy Patin, est autorisé à effectuer des achats en dehors des heures fixées par la 9e ordonnance.
(6) CDJC-CDXXIV-8 Correspondance du 11 janvier 1943 au 18 avril 1943 du secrétariat général du service 14 de l'Union générale des israélites de France, au sujet de demandes de libération concernant Odette Perper, Salomon Baumann, Sophie Picard et le rabbin Meyers et son épouse, tous internés à Drancy.
(7) Paul Lévy : "  Hommes de Dieu dans la tourmente - L’histoire des rabbins déportés " (Editions Safed, 2006) – Les rabbins assassinés – p. 293 et 394.
(8) Michel Laffitte : " Juif dans la France Allemande " (Taillandier, 2006) p. 145.
(9) CDJC-CDXXIV-9 Correspondance du 9 au 15 janvier 1942 entre le rabbin Elie Bloch et le secrétaire général de l'Union générale des israélites de France. 
Pour en savoir plus sur les juifs déportés des Deux-Sèvres : http://www.lycee-jeanmace.fr/Projets/pologne_2012/reperes/reperes.html
(10) CDJC-XLVI-0 Sept documents, du 16 février 1943 au 28 octobre 1943. (Ex-cote XLVI-398/404)
(11) CDJC-XXVIII-183 Lettre du 5 août 1943 du Commissariat général aux questions juives, signée Louis Darquier de Pellepoix, demandant au Garde des Sceaux les mesures à prendre suite à la requête du 2 août, d'André Baur de se faire libérer du camp de Drancy.
CDJC-XXVIII-200 Correspondance du Commissariat général aux questions juives du 4 septembre au 7 septembre 1943 concernant l'impossibilité de demander l'extradition de M. Ducas.
(12) Sa mère, Balbina Rauchwerg, née à Tarnow le 10 octobre 1897, et sa femme Margareta Spitzer, née à Biesad le 25 mars 1921, seront également dans le convoi n° 63.
(13) CDJC- XXVIII-212 Rapport daté du 28 septembre 1943 du Commissariat général aux questions juives destinée à la direction du Statut des personnes.
(14) http://perso.wanadoo.fr/d-d.natanson
Témoignage tiré de " La triste fin de Léo Israélowicz ".

Les anciens combattants trahis

Les anciens combattants juifs n'ont pas échappé à l'étoile jaune et près de 4.000 seront déportés.

Armand Abraham Reis, né le 13 mars 1878 à Mutzig (Bas-Rhin), vénère le maréchal Pétain et en appelle à sa bienveillance dans une lettre du 18 août 1942 :
" Comme juif, je suis interné dans le camp de La Lande, par Monts (Indre-et-Loire), pour avoir voulu franchir la ligne de démarcation, sans être porteur de l'insigne, et sans autorisation de déplacement, je mérite en effet une peine disciplinaire pour infraction à l'ordonnance allemande en vigueur ".
Il dit attendre l'intervention du chef de l'Etat pour " adoucir ou écourter ma peine " et invoque ses états de service, rappelant qu'il a " eu le très grand honneur " de servir en qualité de chauffeur dans l'état-major particulier du maréchal pendant plus de deux ans, puis du général Fayolle, jusqu'à sa démobilisation en février 1919, à Mayence.
Il insiste sur son état de santé et les actions de plusieurs membres de sa famille, comme son frère, ingénieur et officier d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur, décédé suite à une maladie contractée sur le front.
Egalement, son beau-père, médecin-chef pendant la guerre, et sa soeur, infirmière-major, sans oublier son épouse qui " partage mon malheureux sort ". (1)
Reis, interné à Drancy, sera déporté à Auschwitz, par le convoi n° 48, le 13 février 1943 où il sera exterminé le 18 février.

Toujours dans ce camp de La Lande, parmi les 133 internés du convoi n° 8, parti d'Angers le 20 juillet 1942, les Allemands regrouperont le 16 juillet, à 5 h du matin, les hommes valides.
Un survivant raconte : " Je me souviens d'un interné juif qui portait ses médailles militaires françaises, nombreuses, et aussi son étoile jaune. Les Allemands lui ont demandé d'enlever ses médailles, mais il s'y est refusé. Alors il a été battu à mort, le sang a coulé. Quand il s'est relevé une fois, le chef de la Gestapo l'a frappé lui-même à coups de pieds et à coups de cravache ". (2)

Ce témoignage illustre la " double peine " infligée aux anciens combattants Juifs.
" Il faut interdire aux Juifs de porter des décorations, comme c'est le cas dans notre pays, et la question sera résolue " avait répondu le général Reinecke, du Haut commandement Allemand à Paris, à Georges Scapini, chef des services de protection des prisonniers de guerre, qui réclamait l'exemption de l'étoile aux anciens combattants Juifs décorés, considérant " pas convenable " le port d'une décoration française à côté d'une étoile juive. (3)

Les anciens combattants sont respectueux de l'administration et leur patriotisme est sans cesse rappelé.
Ainsi, André Weidenbach, de Vendôme, adressa le 7 juin 1942, une lettre au préfet du Loir-et-Cher, exposant son " cas particulier " justifiant une exemption d'étoile, après avoir appris " qu'il pouvait être fait des exceptions pour des cas particuliers ". (4)
Il parle de " vexation morale très pénible " le fait d'être " montré du doigt comme ayant une tare alors que ma vie et celle de mes parents n'a toujours été que droiture ".
Il met en avant plus d'un siècle et demi d'ancêtres français, et souligne que son père a été tué au champ d'honneur en février 1915.
Il ajoute que sa femme, née dans le Périgord, " est aryenne, mes deux enfants de religion catholique le sont aussi et je n'ai moi-même jamais opté pour la religion juive ".
La lettre sera transmise par le préfet le 26 juin, et le 13 juillet, la direction générale de la police au Ministère de l'Intérieur répond " qu'il ne lui appartient pas d'accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre aux Autorités Allemandes. Il convient, en conséquence, d'inviter les juifs qui présenteraient des demandes de cet ordre, à s'adresser aux Kommandanturen dont ils dépendent ".

D'autres demandes, transmises à ces Autorités Allemandes, seront refusées.
Celle d'Amélie Alméras, qui met en avant trois de ses frères qui " ont participé à la première guerre mondiale aux côtés des Français et qu'un autre frère est actuellement prisonnier de guerre en Allemagne ". (5)

Mme Leib réclamera, en vain, la libération de son mari, ancien combattant, arrêté à la Bastille pour infraction au port de l'étoile, cachée par son manteau. La lettre est appuyée par un courrier de l'adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, président adjoint de l'Union nationale des combattants.
Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, répondra qu'il ne peut rien faire. (6)

C'est aussi Alexander Rosam, juif Allemand, qui s'adresse à l'UGIF, pour lui éviter le port de l'étoile. Cet ancien combattant invoque de graves blessures et ses décorations. (7)
La législation ne manque pas non plus de paradoxes : dans une lettre du préfet de la Seine, il est demandé si une veuve de guerre, juive, occupant un poste de médecin-inspecteur des écoles de la ville de Paris peut bénéficier d'une réintégration, et si ces fonctions peuvent être exercées dans les écoles " sans contrevenir aux dispositions de l'ordonnance allemande relative aux porteurs de l'étoile jaune ".
Il est répondu " qu'en tant que veuve de guerre, l'intéressée est en droit d'obtenir son maintien au tableau de l'Ordre des médecins ". Mais, elle ne peut " réintégrer les cadres de l'administration de laquelle elle a été évincée.
Par ailleurs, les Juifs porteurs de l'étoile jaune sont admis à vaquer à leurs occupations dans les lieux publics tels que les écoles, dont l'accès ne leur est pas interdit ". (8)

Autre demande d'exemption, celle de Robert-Benoit Lévy, ancien combattant, croix de guerre et médaille militaire, qui, le 19 juin 1942, dit " être favorable au rapprochement franco-allemand, et avoir soutenu le chancelier Hitler avant-guerre ". (9)
Renée Poznanski, dans " Les Juifs en France 1939-1945 " évoque la honte des porteurs d'étoile en citant cette lettre du 18 juin 1942 adressée au CGQJ : " J'ai l'honneur de vous faire connaître que je ne peux me faire à l'idée de sortir avec l'étoile de Sion sur la poitrine, que je regarde comme un stigmate indigne d'un ancien combattant français depuis plus de quinze générations : je préfère rester chez moi ou obtenir une permission d'exception dont je crois pouvoir bénéficier en raison de mes titres de citoyen français ". (10)
Cette confusion provenait sans doute des dispositions du premier statut des Juifs, du 3 octobre 1940, qui permettait aux anciens combattants de bénéficier d'assouplissements comme le maintien dans la fonction publique.
Le second statut, du 2 juin 1941, sera plus restrictif. Un fonctionnaire, bien que cité au cours de la campagne 14-18, qui n'avait pas sa carte de combattant, ne pouvait pas conserver son poste, et les décorations (Légion d'honneur ou médaille militaire) n'étaient valables que si elles avaient été attribuées pour faits de guerre et non plus au seul titre militaire.
Pétain, dans une lettre à Xavier Vallat, demandera d'examiner avec " beaucoup d'attention "
la demande d'exemption du statut des Juifs pour le colonel Bernard, " qui a rendu à la France le service exceptionnel de rallier plusieurs provinces indochinoises ". (11)

Les béquilles de Faynzylberg

Citons enfin le cas, grâce à une photo emblématique, de Victor Faynzylberg. Ce soldat du 22e régiment de marche étranger (polonais) a perdu sa jambe gauche en 1940, et sa femme Ita a été arrêtée en juillet 1942.
Sur les conseils d'un voisin, le soldat, coiffeur boulevard de la Villette, s'est fait photographier avec ses deux enfants et a envoyé le cliché au maréchal Pétain pour appuyer la demande de libération de son épouse.
Sa croix de guerre et sa médaille militaire sont bien visibles. Sa fille porte l'étoile. Le petit garçon, qui n'a pas encore six ans, ne la porte pas. (12)
Pierre Régnier, président de la Fédération des amputés de guerre, écrira le 16 juillet 1942 à Darquier de Pellepoix pour demander une mesure d'exemption du port de l'étoile pour les mutilés de guerre Juifs.
Il mettra en avant la situation de Faynzylberg expliquant « qu‘il n‘est pas guéri de son amputation et doit subir quotidiennement des soins particuliers. Il ne peut utiliser que des béquilles pour se déplacer ». Et de préciser qu’il habite un logement au cinquième étage « et sa situation est particulièrement navrante du fait qu’il reste seul avec ses deux enfants en bas âge ».
La réponse du 23 juillet en sept lignes, formule de politesse comprise, sera négative : " les autorités occupantes s'opposent à toute mesure de faveur ". (13)
La libération d’Ita Faynzylberg avait été demandée mais elle sera déportée à Auschwitz par le convoi n°34, au départ de Drancy le 18 septembre 1942. Victor, arrêté chez lui, sera emporté ligoté sur une civière, et sera du convoi n° 68, du 10 février 1944.

Zena, fille de prisonnier de guerre

Autre cas " sans suite favorable " avec Zéna Frenkel.
Agée de 17 ans, elle est arrêtée le 12 septembre 1942 à Evreux, pour ne pas avoir porté l'étoile.
Condamnée à dix semaines de prison, elle aurait dûe être libérée mais, début décembre, sa mère, Ernestine Frenkel, restait sans nouvelles.
Dans une lettre poignante, adressée le 9 décembre 1942 à la maréchale Pétain, elle dit être
" une mère en grande détresse ", et a la conviction que " seulement vous, avec l'aide de Dieu, pouvez restaurer le bonheur à notre foyer ". (14)
Elle explique que son mari est prisonnier de guerre : " Ayez donc pitié de nous, Madame la Maréchale. Humblement, je vous supplie de faire tout ce qui est humainement possible, d'attendrir les autorités occupantes en sa faveur.
Pensez à l'inquiétude de ma fille de ne pouvoir plus avoir le droit de m'écrire et de ne pas savoir ce qu'on a l'intention de faire d'elle, et à l'inquiétude de mon mari et de moi-même.
Laissez moi espérer que tout n'est pas encore perdu, que je verrai ma petite bientôt pour me consoler pendant l'attente de la libération de mon mari ".
En post-scriptum, elle précise : " J'étais donneuse de sang bénévole pour les blessés de guerre ".
Ernestine Frenkel adressera aussi un courrier au service diplomatique des prisonniers de guerre de Georges Scapini, qui fera suivre sa demande de libération au Commissariat général aux questions juives.
Ce dernier, le 29 janvier 1943, répondra que " dans les circonstances actuelles, il ne peut être donné une suite favorable à la requête de Mme Frenkel "...

(1) Archives départementales d'Indre-et-Loire 120 W 35

(2) Témoignage de Michel Gelber, cité par Sophie Paisot-Béal et Roger Prévost : Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire, 1940-1944 (chez R. Prévost, 1994)

(3) Rapport de Reinecke du 10 août 1942, cité au Procès de Nuremberg ND NOKW-3538, et dans " Vichy et les Juifs ", Marrus et Paxton (Livre de Poche, 2004), p. 334.

(4) Archives départementales du Loir-et-Cher. Lettre du 7 juin 1942 et réponse du Ministère de l'Intérieur du 13 juillet 1942.

(5) CDJC-XLIXa-51a Lettre du 3 juin 1942 et réponse manuscrite négative du SS-Hauptsturmführer Dannecker.

(6) CDJC-CII-85a Lettres des 24 et 26 janvier 1943, et du 24 février 1943.

(7) CDJC-CDXXV-44 Lettres du 8 juin 1942 de M. Rosam et lettre du 20 juin de l’UGIF plaidant en sa faveur.

(8) CDJC-CXV-147 Correspondance du 4 février 1944, entre M. Izard, directeur du service de la Législation du Commissariat général aux questions juives, et le préfet de la Seine.

(9) CDJC-CXIV-76 Lettre du 19 juin 1942 adressée au représentant du Militärbefehlshaber in Frankreich.

(10) AN AJ 38 - 172 citée par Renée Poznanski : " Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre Mondiale " (Hachette Littératures Pluriel Histoire, 2005) p.292.

(11) CDJC-CCXXXVI-10 Lettre du Maréchal Pétain du 30 octobre 1941.

(12) Cité par Henri Amouroux dans " Quarante millions de Pétainistes - juin 1940 - juin 1941 " (Laffont, 1977) p. 496
Nicole Priollaud, Victor Zigelman, Laurent Goldberg : " Images de la Mémoire Juive, immigration et intégration en France depuis 1880 " (Liana Lévi - Mémoire Juive de Paris, 2000)

(13) CDJC-CXCIV-92_002 Lettre du 16 juillet 1942.

(14) CDJC-LXI-103b Ensemble de documents de décembre 1942 et de janvier 1943 concernant l'internement de Mlle Zéna Frenkel.