mercredi 14 octobre 2015

Marrus et Paxton : Vichy n'a pas épargné les Juifs français

Trente-quatre ans après la publication de "Vichy et les Juifs", les historiens canadien et américain Michael Marrus et Robert Paxton publient aujourd'hui chez Calmann-Lévy, une nouvelle édition de leur célèbre ouvrage.


Cette nouvelle édition bat en brèche l’idée trop répandue que la survie de 75 % des Juifs de France est un résultat heureux, en partie attribuable à Vichy qui aurait sacrifié les Juifs étrangers pour épargner les Juifs français.

Les deux universitaires nord-américains démontrent, documents à l'appui, que "proportionnellement", la déportation des Juifs a été plus importante en France que dans les autres pays occupés, voire qu'en Italie fasciste.
"Sans la participation du régime de Vichy, sans la livraison aux Allemands de 10.000 Juifs étrangers en zone non occupée, sans la participation de la police française aux arrestations, sans l'action des individus (dénonciateurs, acheteurs de biens juifs aryanisés), sans tous ces éléments, le bilan aurait été moins lourd", insiste Robert Paxton dans une interview à l'Agence France Presse.
Le livre dénonce l'idée que Vichy aurait essayé d'épargner les Juifs anciennement établis en France. "S'il est vrai qu'en 1942 (après l'invasion de la zone libre), Vichy a des velléités de reporter un peu le départ de ses citoyens juifs, c'est trop tard et trop peu", dit Robert Paxton.
Critiqués en 1981 pour avoir souligné le soutien d'une grande partie des Français aux lois raciales de Vichy, les deux auteurs ne manquent pas de rendre hommage "aux Français anonymes et admirables" qui ont apporté leur aide aux Juifs persécutés. Le livre leur est dédié.

Une réponse à Zemmour

Cette nouvelle contribution des historiens permet de répondre de manière incontestable à Eric Zemmour. L'éditorialiste-polémiste, tentait d'expliquer dans son livre "Le suicide français", paru en octobre 2014, que Pétain avait sauvé les Juifs français !
Marrus et Paxton rappellent dans leur nouvelle préface que "le bilan final - la perte de 25% de Juifs vivant en France, y compris 15% des citoyens juifs de France, dont de nombreux enfants - est plus lourd qu'il ne l'aurait été sans la participation de l'administration et de certains citoyens français ".
Faut-il rappeler que le statut des juifs, voulu par Pétain excluaient les Juifs des services publics, instaurait des quotas à l’université ; la loi du 22 juillet 1941 décidait l’aryanisation des biens juifs... tous ces textes ne faisaient aucune distinction entre juifs français et juifs étrangers.
Faut-il rappeler que la police française était en première ligne de la rafle du Vel d'Hiv ?
Finalement, Pétain n'aura protégé que quelques Juifs français "amis" en demandant des "exemptions" de l'étoile jaune aux allemands, sans condamner par ailleurs cet insigne infamant.
Le 25 août1942, Heinz Röthke, chef du service juif de la SS, officialisa une unique liste de 26 exemptés

En tête, se trouvait Jeanne-Louise de Brinon, née Franck, épouse de Fernand de Brinon, ambassadeur de Pétain auprès des allemands, et les filles du baron Louis Stern : Marie-Louise de Chasseloup-Laubat et Lucie Girot de Langlade (qui finalement n'obtiendra pas son exemption et sera arrêtée et déportée en janvier 1944).
S'ajoutera la comtesse Suzanne Sauvan d'Aramon, épouse de Bertrand Sauvan d'Aramon, député de Paris qui vota les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940.
Les autres exemptés sont des "rouages économiques" pour faire tourner l'industrie aux mains de l'occupant, et des Juifs au service de la police anti-juive...


dimanche 4 octobre 2015

La famille Klapisch n'a pas porté l'étoile jaune

Des saumons et harengs fumés réputés
Le grand-père paternel du cinéaste Eric Klapisch, Salomon Klapisch, dit Solly, et son épouse Blima Lax, n'ont pas porté l'étoile jaune. Ils avaient aussi refusé de se faire recenser comme juifs.

Joseph et David, les deux frères de Solly, ont été arrêtés et déportés. Seul, David, reviendra de déportation.

Solly, Blima et plusieurs membres de la famille s’étaient réfugiés à Aix-les-Bains, en zone d’occupation italienne, où Solly entra en contact avec un réseau de policiers gaullistes qui fabriquaient des faux papiers.
Le beau-père de Solly, Jakob Lax, industriel en fourrures, refusa de rejoindre la famille.
Arrêté par la police française, interné à Drancy, il sera déporté à Auschwitz et gazé à son arrivée le 16 novembre 1942.
Lorsque les Allemands envahissent la région d’Aix-les-Bains, Solly est prévenu qu’il est sur une liste noire...
La famille part se réfugier à Montbrison (Loire), sous le nom de Clapier, jusqu’à la Libération.
Solly et Blima ont eu quatre enfants : Liliane Klapisch, artiste-peintre (elle épousa le philosophe franco-israélien Stéphane Mosès), Robert Klapisch, le père de Cédric, Fernand et Marcel.
Cachés à Trévignin (Savoie), ils se trouvaient avec d'autres enfants Juifs dans une maison d'enfants dirigée par les soeurs Francia et Louise Labioz-Lamberlin, qui ont reçu en 2010 le titre de Justes devant les Nations pour leurs actions de sauvetage. (voir ici la fiche de Yad Vashem)

La famille Klapisch, venue de Pologne, était arrivée à Paris en 1913.
En 1919, Mordechai, l'aïeul, avec ses trois fils ainés, Harry, David et Joseph, fonda à Décines, près de Lyon, la société Klapisch et ses fils, spécialisée dans la production et la commercialisation du saumon et du hareng fumé.
En 1921, l’entreprise s’installera à Cachan, en banlieue sud de Paris.
Brillant physicien des particules, Robert a été directeur de la recherche au CERN, où il dirigea le programme qui aboutira à l’attribution du prix Nobel de physique en 1984. Marié d'abord à la psychanalyste Françoise Meyer (la mère de Cédric), il épousa en secondes noces Christiane Zuber, directrice d'études au Centre de recherches historiques.

Cédric Klapisch et sa mère
devant l'album familial
Cédric Klapisch a raconté l'histoire de ses grands-parents maternels, Raymonde et Robert Meyer,  dans un court-métrage, réalisé en 2014 : "Mon livre d'histoire".
(Voir la bande annonce ICI)
Un film qui part de l'inauguration d'une plaque commémorative à Montélimar, le 28 août 2013, au n° 7 de la rue Chabaud, où les époux Meyer furent arrêtés. 
La mère du réalisateur a accepté que son fils ouvre le livre après un travail de deuil de 70 ans, car elle se disait pendant longtemps qu'elle reverrait ses parents un jour...
Au service de l'Armée secrète, ils furent arrêtés le 11 octobre 1943 à Montélimar, et seront déportés à Auschwitz où ils mourront.