dimanche 30 août 2020

Pour une femme, Marcel Lattès se bat avec un officier allemand

Marcel Lattès (coll. privée)
Le 4 octobre 1943, le compositeur Marcel Lattès est arrêté chez lui, dans le 9e près de Pigalle, après une dispute avec un officier allemand.
Un différend qui éclata à propos d'une femme, à la sortie d'une boîte de nuit aux Champs-Elysées, explique sa Variety Moszynski, sa petite fille. (1) 

Déporté à Auschwitz par le convoi n° 64 du 7 décembre 1943, il meurt le 12 décembre, au lendemain de son 57e anniversaire. 

Ce musicien de talent, né à Nice le 11 décembre 1886, avait été arrêté une première fois le 12 décembre 1941 lors de la rafle dite "des notables israélites", en représailles d'attentats anti-allemands. 

Envoyé à Compiègne-Royallieu, et transféré à Drancy le 19 mars 1942, il sera libéré grâce aux interventions de son frère, le banquier Georges Lattès, et de Sacha Guitry. Sous le matricule 5338 il sera affecté au service chargé de la confection des matelas.

Parmi ses compagnons d'infortune se trouvait le romancier-dramaturge Jean-Jacques Bernard qui, après-guerre, écrira dans " Le Camp de la mort lente " : " Le compositeur Marcel Lattès arriva (Ndlr : à Royallieu) les mains dans les poches, sans valise, sans couverture, souriant, persuadé et répétant à chacun que cette histoire était cocasse et que nous serions libérés avant 24 heures ".

Engagé volontaire en 1914, il servira dans les ambulances russes. 

Croix de guerre et officier de la Légion d'honneur, il s'était marié en 1923 à une catholique. Père d'un enfant, son mariage mixte lui permettra d'obtenir une exemption d'étoile jaune en mai 1943, qui lui sera bien utile pour continuer de travailler. (2)

Premier prix de piano au Conservatoire de Paris en 1906, compositeur du parolier Albert Willemetz, Lattès a été l'auteur prolixe d'opérettes et de comédies musicales à succès entre 1908 et 1935, notamment "Arsène Lupin banquier", en 1930, de Yves Mirande, d'après le personnage du gentleman cambrioleur imaginé par son oncle Maurice Leblanc, marié à Marguerite Wormser. Jusqu'en 1941 il composa de nombreuses musiques de films pour les plus grands réalisateurs (Pabst, Abel Gance, Tourneur, Christian-Jaque, Dréville, L'Herbier).

(1) Témoignage recueilli par l'auteur en janvier 2008
(2) CDJC-XXVa-185 Certificat d'exemption de l'étoile jaune du 15 mai 1943

vendredi 21 août 2020

Les limites du droit antisémite : Françoise Raphaël reconnue non juive

Françoise Raphaël (1908-1997) était la petite-fille de Georges Leygues (1857-1933), président du Conseil en 1920-21 et de nombreuses fois ministre de la Marine, de l’Intérieur, de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, des Colonies.

D'ascendance mixte, avec deux grands parents juifs et n’ayant pas été convertie au catholicisme, elle n'avait pu fournir suffisamment de preuves de sa non-judéité. Sa mère, Thérèse Leygues, s'était mariée en 1907 avec le banquier Lucien Raphaël (1872-1943).

Aussi, le Commissariat Général aux Questions Juives (CGQJ), s'appuyant sur sa déclaration de judéité du 14 décembre 1941, la considéra comme juive au regard du  second Statut des juifs (loi du 2 juin 1941). 

Début 1943, Françoise Raphaël engagea une action devant le tribunal d'Agen qui bloquera l'aryanisation de ses biens, estimant qu'elle n'était pas juive. 

Cette juridiction de première instance s'était basée sur le fait qu'elle avait suivi des cours de catéchisme, en contradiction avec la loi du 2 juin 1941 qui désignait de "race juive" celui qui "pratiquait la religion juive".

Elle pourra ainsi faire appel devant le Conseil d'Etat contre l'avis du CGQJ en fournissant de nombreux témoignages d’ecclésiastiques prouvant qu'elle adhérait depuis longtemps à la religion catholique, au sens de la loi du 2 juin 1941 et antérieurement à la date du 25 juin 1940. 

Ce recours sera rejeté en septembre 1943 par Darquier de Pellepoix, le Commissaire Général aux Questions Juives. (CDJC-CCXI-151)


Finalement, dans un arrêt du 22 juin 1944, le président du contentieux du Conseil d’Etat, M. Edmond Rouchon-Mazerat, estimera que le Commissaire Général aux Questions Juives avait excédé ses pouvoirs. En conséquence Mlle Raphaël sera reconnue comme non juive. (CDJC-XVII-36 (156))

Dans son action, Françoise Raphaël a bénéficié du soutien répété de l’amiral Darlan, chef de cabinet de Leygues durant l’entre-deux guerres, au ministère de la Marine.

Le 4 avril 1942, celui qui est encore chef du gouvernement de Vichy jusqu’au 18 avril (il sera assassiné à Alger le 24 décembre 1942), écrit à Bernard Ménétrel, le secrétaire particulier de Pétain : 

« Mon cher Ménétrel, docteur et ami,

J’avais confié à votre talent le cas de Françoise Raphaël, petite-fille de Georges Leygues, demi-juive qui ne voudrait plus l’être du tout.

Le Maréchal a déjà obtenu gain de cause pour les trois frères de Françoise. Je voudrais bien donner cette dernière joie à Mme Leygues qui, ainsi qu’elle l’écrit, a bien été pour moi une seconde mère.

Allons, Ménétrel, allons mon ami, un bon coup de collier ». 

(Cité par Henri Amouroux : Les passions et les haines (Laffont 1981), p.194-195)


Françoise Raphaël est décédée dans sa 89e année, le 25 janvier 1997. La famille Raphaël avait fondé la banque franco-britannique Raphaël en 1886, absorbée en 1973 par la banque Wormser.



Autre cas avec Selma Mazaud, née Kartow, 49 ans, arrêtée le 24 juillet 1942, pour infraction à la 8e ordonnance et internée à Drancy. 

Une demande de libération est lancée par la Direction des Etrangers et des affaires juives de la préfecture de police, le 15 décembre, au seul motif qu'elle n'avait pas été déclarée par son mari en 1941. 

Or, « la déclaration de la femme mariée incombait au mari ; la délivrance de l'insigne juif étant subordonné à cette déclaration il n'y avait pas lieu d'interner la femme pour défaut de cet insigne ». 

En conséquence, Selma Mazaud sera libérée du camp de Drancy le 15 janvier 1943 contre l'avis de la Sipo-SD. (1)


(1) CDJC-XXva-161a Ensemble de documents du 4 décembre 1942 au 20 janvier 1943.



Le faux certificat de baptême de Françoise Giroud


Françoise Giroud (copie d'écran RTS)
Françoise Giroud (1916-2003) est née Lea France Gourdji le 21 septembre 1916, à Lausanne, en Suisse.

La célèbre journaliste, co-fondatrice de  L'Express, directrice de la rédaction jusqu'en 1974, deviendra secrétaire d'Etat à la condition féminine (1974-1976) puis à la Culture (1976-1977).

Son père, Salih Gourdji, dirigeait l'Agence télégraphique ottomane à Constantinople, en Turquie, sa ville natale. Elda Faraggi, sa mère, était originaire de Thessalonique, en Grèce.

Lea France n'a que onze ans lorsque son père meurt. 

À 14 ans, elle quitte l'école pour travailler et aider sa mère financièrement, avec un unique diplôme de dactylo, qui se révélera bien utile dans sa carrière journalistique.

Employée de librairie boulevard Raspail à Paris, elle devient secrétaire d'André Gide, puis scripte de Marc Allégret, ami de la famille. 


Assistante de Jean Renoir en 1937 - son nom apparaît dans le générique de La Grande Illusion - et de Pierre Billon pour Courrier Sud d'après le roman d'Antoine de Saint-Exupéry

(photo ci-contre), elle sera scénariste pour Jacques Becker en 1938. Elle travaille également pour la radio où elle prend le nom de Françoise Giroud.

Lors de l'exode de 1940, la famille rejoint Clermont-Ferrand où vit sa soeur Djénane.

Lorsque les lois raciales sont promulguées, elle ne se fait pas recensée et n'a pas porté l'étoile jaune, tout comme sa mère Elda et sa soeur Djénane, rappelle Laure Adler dans sa biographie,  «  Françoise »parue chez Grasset, en 2011.


Alix de Saint-André dans « Garde tes larmes pour plus tard » (Gallimard, 2012) apportera de nouveaux éléments à propos d’un vrai-faux acte de baptême, délivré le 23 avril 1942, avec une fausse date, grâce à un curé de l'Allier. 

Le chanoine Bardet, à Montcombroux-les-Mines, réalise en effet des certificats antidatés en 1917, pour la fille et sa mère, rajoutant même pour cette dernière 

«  après avoir renoncé à sa foi musulmane ».

Ce curé accommodant aurait été contacté car les Gourdji ont vécu à Nice et des connaissances niçoises travaillaient dans la mine du village.

Avec ses origines falsifiées, Françoise Giroud entreprend en mars 1942 des démarches administratives auprès du Comité d'organisation de l'industrie cinématographique, pour continuer de travailler dans le cinéma. 


Utilisant son pseudo de Giroud, elle sera reconnue comme  « scénariste d'origine catholique », et déclare sous la foi du serment être de race aryenne. 

Le 15 juin 1942 elle obtient son autorisation de travailler de l'Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC).

En 1943, elle écrit dans « Le Pont », périodique allemand édité en français, créé par la Propagandastaffel en 1940 et destiné aux travailleurs français en Allemagne. 

Elle écrit aussi dans Paris-Soir, dont la rédaction s'est repliée à Lyon.

Françoise Giroud, qui a été agent de liaison dans la Résistance, sera arrêtée par la Gestapo sur dénonciation. On lui reprochera d'avoir hébergé un chef de l'Armée secrète.

Incarcérée à Fresnes de mars à juin 1944, elle sera libérée grâce à l'intervention du collaborateur Joseph Joinovici.

En 1946, Françoise Giroud se marie à Anatole Eliacheff, producteur de cinéma.


Sa judéité cachée


Françoise Giroud a toujours voulu cacher sa judéité, jusqu'à ce que son petit-fils Nicolas (fils de la psychanalyste et pédopsychiatre Caroline Eliacheff et de Robert Hossein), décide d'enquêter sur ses origines familiales en 1982. 

Dans une lettre, il demande à sa grand-mère si elle est juive. Françoise Giroud niera mais, poursuivant ses recherches, il tombe sur des papiers d'état-civil qui ne laissent aucun doute.

En 1988, Françoise Giroud lui révèle la vérité dans une lettre : « Ta grand-mère est née juive. Pour te dire cela, je dois rompre un serment fait à ma mère sur son lit de mort ».

Nicolas Hossein-Eliacheff pourra alors renouer avec ses origines. 

Acteur passé par le Conservatoire, il ira étudier les fondements du judaïsme à Nice, au centre d'études du Rav Gronstein, huit années durant, avant de devenir rabbin. Il a pris le nom hébraïque d'Aaron Eliacheff, et exerce son ministère à Strasbourg.


                                                                                    Thierry Noël-Guitelman

Conversions et baptêmes

D'après le paragraphe 2 de l'article 1 de la loi du 2 juin 1941 - Second statut des Juifs - un individu ayant deux grands-parents juifs n'était Juif que s'il appartenait «   à la religion juive, ou y appartenait encore le 25 juin 1940 ». Il pouvait prouver qu'il n'était pas Juif à la condition de fournir « la preuve de l'adhésion à l'une des autres confessions reconnues par l'Etat avant la loi du 9 décembre 1905 »

Moyennant une conversion à la religion catholique, à la confession calviniste ou luthérienne, avant le 25 juin 1940, et à condition qu’il n’y ait pas plus de deux grands-parents de « race juive », on pouvait donc cesser d'être considéré comme Juif...

Aussi, à partir de 1942, suite à plusieurs affaires de fraudes et de falsification de registres paroissiaux, le Commissariat Général aux Questions Juives insistait sur la « charge de la preuve », estimant insuffisante la production de certificats de baptême pour délivrer les salvateurs certificats de « non-appartenance à la religion juive » rappelle le juriste Richard H. Weisberg dans « Vichy, la justice et les Juifs » (Editions des archives contemporaines) p. 138-141.

Même converti et baptisé, l’israélite restait considéré comme Juif s’il était issu d’au moins trois grands-parents de « race juive ». (CDJC-CXV-14A Lettre du préfet de police du 10 mars 1942 au CGQJ sur la définition du statut des Juifs)


Les conversions ont été souvent invoquées pour obtenir dérogations et libérations. Aussi, le maréchal Pétain recevait directement des courriers en ce sens :


Le 29 mars 1943, Henri Héloin demande la libération de sa femme Germaine, née Katzka, arrêtée à Rouen et internée au camp de Beaune-la-Rolande. Née juive, elle est convertie au catholicisme en 1937. (CDJC-CII-89)


Le 7 avril 1943, Mathilde Masse, de Saint-Dié, demande la libération de son mari Camille, et de sa belle-soeur Irène, tous deux convertis au catholicisme mais arrêtés pour non port de l’étoile jaune. (CDJC-CII-92)


Le 10 avril 1943, René Dhervillers, grand mutilé de guerre, s’adresse au chef de l’Etat pour faire libérer Antoinette Vernes. Son mari, ancien combattant de 14-18, est protestant et sa femme s’est convertie à la religion de son mari. (CDJC-CII-94)


Brinon sera aussi destinataire de courriers invoquant le fait religieux : 


Le 5 mars 1944, Marcel Daugy, préfet de la Meuse, écrit pour faire libérer Caroline Altmeyer, la belle-mère de son chauffeur, qui est d’origine juive mais convertie, ses trois enfants étant baptisés.

« Aussi, doit-on considérer que bien qu’israélite de naissance, Mme Altmeyer n’appartient plus en réalité à la communauté juive et qu’elle est totalement intégrée dans la nation française » souligne le préfet qui invoque aussi de graves problèmes oculaires. (CDJC-XLII-96)


Le 20 mars 1944, le commandant Hubert Cauchy, sous-chef de la Défense passive à Reims demande à Brinon la remise en liberté de son épouse Yvonne, née Sanders, israélite, internée à Drancy. Il précise dans son courrier qu’il est catholique, que ses trois enfants sont catholiques et baptisés, et a fourni sept certificats de baptême de ses ascendants à la préfecture de la Marne : « Il semble dans ces conditions qu’une mesure de faveur puisse intervenir pour ma femme et la rendre à son foyer, me trouvant isolé et souffrant ». (AN F60 1485)


Des missives sont également adressées au Commissariat Général aux Questions Juives (CGQJ) : 

L’évêché d’Orléans, dans une lettre du 9 juin 1941 à Xavier Vallat, Commissaire Général aux Questions Juives, attire son attention sur la situation de Charles et Gisèle Lustiger. Ce couple, d’origine polonaise, converti au catholicisme, a vu son commerce de bonneterie mis sous séquestre. Le CGQJ répond le 19 juin 1941 qu’ils sont juifs en vertu de la loi du 2 juin 1941. (CDJC- CX-55)

M. et Mme Lustiger étaient les parents du futur Cardinal de Paris Jean-Marie Lustiger (1926-2007), né Aron Lustiger qui sera baptisé catholique à 14 ans, le 25 août 1940. 

Déportée, Gisèle Lustiger mourra à Auschwitz le 13 février 1943. Charles Lustiger, réfugié à Decazeville, sera caché jusqu’à la Libération par l’Ecole jésuite d’ingénieurs de Purpan, à Toulouse.


Suzanne Laubier est d'origine juive, mais baptisée depuis 1923. Mariée depuis 1930 à un non juif, elle était directrice du lycée de jeunes filles de Lille. Elle en sera écartée du fait de ses origines. Son mari a écrit au CGQJ pour obtenir une dérogation. Une copie de son acte de mariage a été adressée au Cardinal Suhard, afin qu'il puisse appuyer sa demande. 

M. Ditte, responsable du service du statut des personnes au CGQJ répond au Cardinal dans une lettre du 2 septembre 1941 que ce sont les chefs hiérarchiques de Mme Laubier qui décideront de la réintégrer ou non dans son emploi. (CDJC-CCXXXVII-10)


André Weidenbach, dans une lettre du 7 juin 1942 au préfet du Loir-et-Cher, expose son " cas particulier " justifiant une exemption d'étoile. Il parle de «  vexation morale très pénible » le fait d'être « montré du doigt comme ayant une tare alors que ma vie et celle de mes parents n'a toujours été que droiture ». Il met en avant plus d'un siècle et demi d'ancêtres français et souligne que son père a été tué au champ d'honneur en février 1915. Il ajoute que sa femme, née dans le Périgord, « est aryenne, mes deux enfants de religion catholique le sont aussi et je n'ai moi-même jamais opté pour la religion juive ».

La lettre sera transmise le 26 juin à la direction générale de la police au Ministère de l'Intérieur qui répondra le 13 juillet qu'il « ne lui appartient pas d'accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre aux Autorités Allemandes. Il convient en conséquence, d'inviter les Juifs qui présenteraient des demandes de cet ordre, à s'adresser aux Kommandanturen dont ils dépendent »(AD 41)


L'influent Léo Israélowicz, ancien ténor d'opéra

Juif polonais, Léo Israélowicz est né en 1912 à Tarnow, près de Cracovie. Ancien ténor des choeurs de l’opéra de Vienne - connu sous le nom de Léo Ilkar - il devient à 26 ans membre du Judenrat, le conseil juif de la capitale autrichienne, instauré par les nazis. 

En mars 41, Adolf Eichmann l’envoie à Paris pour exporter la formule du conseil juif en zone occupée. Il prend alors la direction de l’hebdomadaire « Informations juives », lancé le 19 avril 1941, et dispose d’un hôtel particulier, au 77 avenue Paul-Doumer, dans le 16e, qu'il occupe avec sa mère Balbina Rauchwerg, 54 ans, et sa fiancée Margareta Spitzer, 20 ans, qu'il épousera. Le père de la jeune femme deviendra son conseiller juridique.

Avec la loi du 29 novembre 1941 qui institue l’UGIF (Union Générale des Israélites de France), il devient chef du service 14 chargé de la liaison avec le service des affaires juives de la SS et en janvier 1942, « Informations juives » devient le « Bulletin de l'UGIF ». 

Israélowicz interviendra souvent pour appuyer des demandes de libération auprès d’Aloïs Brünner qui commande le camp de Drancy. 

Le 21 octobre 1942 il fera libérer Alice Glass, arrêtée pour ne pas avoir retiré son étoile jaune dans les délais, étant souffrante. Son mari s’était présenté le 10 juin 1942 avec trois jours de retard au commissariat du 10e, alors que l’étoile ne pouvait être retirée que par son porteur.

L’historien Michel Laffitte, dans « Juif dans la France allemande » note que la « qualité de conjointe d’aryen a sans doute été l’élément majeur qui a évité à Alice Glass, pendant ces presque cinq mois d’internement au camp de Drancy, de faire partie d’un convoi de déporté «. (1)

Tout au long de l’année 1942, à la demande du rabbin de Poitiers Elie Bloch-Debré, il interviendra pour la libération des enfants Richard et Louisette Fliegelman, de Niort, lycéens orphelins, et de leurs oncle et tante Maximilien et Sabine Vollmann, et leurs enfants Emilie et Marc Liebermann, transférés au camp de Poitiers.

Ces derniers ne seront pas déportés, mais Richard, 16 ans, partira à Sobibor par le convoi n° 53 du 25 mars 1943, après ses oncles et tantes qui périront à Auschwitz, arrivés par le convoi n° 42 du 6 novembre 1942. Seule Louisette survivra.

Dans une lette au rabbin, Israélowicz écrivait : «  Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’avertir du départ pour Drancy des enfants Liebermann et de m’envoyer au plus tôt leur acte de naturalisation pour que je puisse faire l’impossible pour les sauver ». (2)

Début juillet 1943, il délivre une attestation à Robert Gamzon, du conseil d’administration de l’UGIF en zone sud et membre du Consistoire central, pour pouvoir disposer d’une exemption d’étoile jaune et passer outre le couvre-feu pour deux mois, lors d’un séjour en zone occupée, en accord avec Heinz Röthke. (3)

Gamzon (1905-1961), petit-fils d’Alfred Lévy, grand rabbin de Paris, fonda en 1923 les Eclaireurs Israélites de France (EIF). A la fois membre du Consistoire central et de l'UGIF, il mettra en place, à Lautrec (Tarn), une filière d’évasion d’enfants juifs, sauvant ainsi plusieurs milliers de jeunes. 

Entré dans la clandestinité fin 1943, il organisa la résistance militaire des EIF et prendra en 1944 le commandement du maquis EIF de Vabre (Tarn). Installé en Israël après guerre, chercheur au département électronique de l’Institut Weizmann, il meurt noyé accidentellement.


Avec l'arrivée d'Aloïs Brunner à la direction du camp de Drancy, le 30 juin 1943, l'étau se resserra un peu plus. Les dirigeants de l'UGIF, responsables du ravitaillement, sont souvent convoqués.

Le 21 juillet 1943, Israélowicz, 31 ans, et André Baur, 39 ans, vice-président de l’UGIF, sont en mission à Drancy. Or, le cousin de Baur, Adolphe Ducas s’est évadé avec un autre détenu. Baur sera retenu en otage et Israélowicz laissé en liberté provisoire mais leurs familles seront menacées d’arrestation si, sous huit jours, les deux fugitifs ne réintègrent pas le camp. 

Le 10 septembre 1943, André Baur est rejoint par sa femme Odette Pierre-Kahn, arrêtée avec ses quatre enfants, de 3 à 10 ans. Avec Israélowicz tous seront déportés à Auschwitz par le convoi n° 63 du 17 décembre 1943. Dans le même convoi, le rabbin Elie Bloch-Bloch, son épouse Georgette et leur fille Myriam âgée de 6 ans, la mère et la femme d'Israélowicz.

Fin septembre 1943, alors que Israélowicz est à Drancy depuis deux mois, un rapport du CGQJ, fait état des accusations d’une femme dont le mari est au camp de Beaune-la-Rolande. Elle a entendu dire «  qu’un juif nommé Israélowicz avait fait sortir des juifs moyennant rétribution ». (4)

La fille d’Israélowicz témoignera après guerre pour rétablir l’honneur de son père : 

«  Un soir, la Gestapo est venue chez nous et a demandé à mon père de les accompagner pour aller chercher des Juifs qui n’étaient pas de nationalité française et dont mon père possédait la liste (…) Mon père refusa catégoriquement mais l’officier de la Gestapo qui commandait le groupe de trois hommes sortit son révolver et me le mit contre la tempe en disant à mon père : «  Ou bien tu viens immédiatement avec nous, ou bien c’est ta fille qui sera victime de ton refus ». Mon père atterré, contraint et forcé, s’exécuta et il est parti avec eux ».


Transféré au camp de Monowitz au printemps 1944, Israelowicz, reconnu par des déportés, tomba sur Herbert, un capo juif polonais, dont sa femme et ses trois filles ont été gazées. Il était devenu la terreur des déportés du Commando n°54. Herbert se rendra nuitamment dans le bloc d’israélowicz, le fera lever et le roua de coups. Après une troisième nuit de violences, il le laissera pour mort. (5)


(1) Michel Laffitte : Juif dans la France allemande (Tallandier,  2006), p. 145

(2) CDJC-CDXXIV-9 Correspondance du 9 janvier 1942 au 15 décembre 1942.

(3) CDJC-CDX 70 Attestation du 8 juillet 1943

(4) CDJC-XXVIII-212 Rapport du 28 septembre 1943 du Commissariat Général aux Questions Juives dénonçant les agissements de l’UGIF.

(5) Témoignages tirés de « La triste fin de Léo Israélowicz » sur http://d-d.natanson.pagesperso-orange.fr


Des indics exemptés d’étoile jaune

Dans sa déposition, en octobre 1946, Kurt Schendel, ancien secrétaire du service de liaison de l'UGIF, fera allusion aux pratiques de Robert Jodkun, de la Sipo-SD, qui «  avait à sa solde des indicateurs, hommes et femmes »Plusieurs de ces indicateurs sont Juifs. (4)

Une liste de 32 personnes sera fournie lors de l'interrogatoire de l'inspecteur Henri Jalby, recueilli dans le cadre de la même commission rogatoire. (5)

Ainsi, Serge Epstein a « fait arrêter des centaines de ses coréligionnaires »affirme Jalby en précisant que cet indicateur de la rue des Saussaies, « était autorisé à sortir sans étoile ».

Le 30 novembre 1942, Epstein s'était vu accorder une exemption par Röthke. (6)

Trafiquant d'or, il aurait réalisé une fortune « de plus d'un million de francs » affirmait Jalby dans son interrogatoire.

Autre personnage très impliqué, exempté : Maurice Lopatka. (7)

Né à Varsovie le 7 juin 1883, Moszek Lopatka est considéré par Léon Poliakov comme le « plus terrible des informateurs juifs, employé par les services anti-juifs tant allemands que français. Responsable de l’arrestation de centaines de juifs qu’il faisait chanter avant de les dénoncer pour toucher des deux côtés »(8)

Une accusation que l’on retrouve dans l’interrogatoire par la commission d’épuration, d’Alfred Jurgens, traducteur alsacien, détaché aux Affaires juives de la Gestapo : « Vous connaissez Lopadka ? »

Réponse : « C’est un sale juif, dénonciateur de centaines de ses coréligionnaires »(9)

Arrêté par les FFI à la Libération de Paris, détenu dans la prison clandestine de la villa Saïd (ancienne résidence de Pierre Laval, transformée en centre de détention), il sera transféré à Fresnes et fusillé. (10)

Six autres exemptions d’étoile seront délivrées en juin 1942 pour six personnes travaillant avec la police anti-juive. (11)

Elles concernent : Roger Nowina, 47 ans. 

Les frères Robert et Claude Lambert, 43 et 42 ans. Ils seront déportés à Auschwitz avec leurs femmes et enfants (sept personnes) par le convoi n°62, du 20 novembre 1943. Leur père Daniel, arrêté le 4 décembre 1943, sera déporté par le convoi n° 63, du 17 décembre.

Gaston Naxara, 35 ans, interné à Drancy le 13 novembre 1943, ne sera pas déporté.

Deux femmes : Hildegard Bergmann, 21 ans, et Camille Wilenski, 44 ans. 

La première, secrétaire allemande, sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 55, du 23 juin 1943.


(4) CDJC-XCVI-56 bis Déposition du 7 octobre 1946 de Kurt Schendel, ancien secrétaire du service de liaison de l'Union générale des israélites de France (UGIF).

(5) CDJC-XCVI-61 Déposition du 15 octobre 1946 d'Henri Jalby, ancien inspecteur à la Police des questions juives.

(6) CDJC-XXVa-179 Exemption accordée jusqu'au 15 septembre 1942, prolongée jusqu'au 31 décembre. Samuel Epstein est né en Russie le 20 mai 1888.

(7) CDJC-XXVa-189 Certificat du 24 juillet 1942, signé par Röthke. Exemption jusqu’au 31 août 1942, prolongée par trois fois jusqu’au 3 avril 1943.

(8) Léon Poliakov : " L’Etoile jaune - La Situation des Juifs en France sous l'Occupation - Les Législations nazie et vichyssoise " (Editions Grancher, 1999), p. 70.

(9) Archives de la Préfecture de police de Paris. Dossier d’épuration n° KB 59.

(10) Jean Bocagnano : " Quartier des Fauves, prison de Fresnes " (Editions du Fuseau, 1953) p. 83-84.

(11) CDJC-XXVa-165, 166, 171, 184, 194, 195. CDJC-XXVa-206.


André Haffner, le condamné à mort acquitté...

Le 4 août 1949, après dix-huit audiences devant la Cour de justice du procès des 35 ex-inspecteurs et cadres de la SEC - la Section d’enquêtes et de contrôle du Commissariat Général aux Questions Juives - de simples peines de prison sont prononcées contre 16 personnes. Neuf seront acquittées, et neuf condamnées aux travaux forcés, entre cinq et vingt ans. Des peines amnistiées plus tard…

Condamné à mort par contumace fin 1947, l’ancien commissaire général Louis Darquier de Pellepoix, réfugié en Espagne franquiste, y mourra à 82 ans en 1980, sans avoir jamais été inquiété. Retrouvé par un journaliste de "L’Express" en 1978, il déclara : « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux ». (1)

Son prédécesseur jusqu’en mai 1942, Xavier Vallat, arrêté à Vichy le 26 août 1944, condamné à dix ans de prison en 1947, bénéficia d’une libération conditionnelle fin 1949. Il sera amnistié en 1954...

Autre contumax, André Haffner, condamné à mort le 3 novembre 1949 par la Cour de justice de la Seine. Il se rendra en 1955 après dix ans de cavale. 

Directeur de la SEC, de novembre 1943 à fin mai 1944, il part à Clermont-Ferrand où nommé intendant de police, il s’illustra avant sa fuite en Allemagne dans une opération contre les maquis d’Auvergne.

Acquitté en 1956 par le Tribunal des Forces Armées de Paris… Il décède à 78 ans en 1987.

Ancien avocat à Tunis, sa ville natale, administrateur de « Tunis Journal », directeur éditorialiste de Radio-Tunis où il invitait chaque jour à s’enrôler dans la Phalange Africaine, membre du PPF, il sera évacué vers l’Italie le 13 mai 1943, une semaine après la prise de Tunis par l’armée britannique. 

Fin mai 1943 à Paris, il entre à la SEC comme "chargé de mission" le 1er juin. Très actif sur le terrain, il signera les procès-verbaux d’arrestations de 111 personnes, souligne Laurent Joly. (2)

Pour réaliser sa politique du chiffre, l’historien précise qu’Haffner s’entourait d’indicateurs juifs qu’il fait déporter une fois qu’ils ont permis l’arrestation de tous les coreligionnaires de leur quartier, comme l’a rapporté l’officier de police Jacques Delarue dans son rapport du 11 juillet 1957. (3)


Retour sur quelques "actions" zélées visant des femmes : 

7 mars 1944 : Haffner prend la tête d’une arrestation place Voltaire à Paris. Il s’agissait d’un contrôle destiné à dépister les israélites en infraction avec l’ordonnance allemande leur interdisant de faire leur marché en dehors de certaines heures. Golda Diament, 34 ans, sera arrêtée au 1, rue de la Roquette alors qu’elle parlait à une voisine. Seule avec trois enfants depuis l’arrestation de Zalman-David son mari, assassiné à Auschwitz le 10 juin 1942, sa fille Jacqueline avait 14 ans et ses deux garçons, 7 et 3 ans. Elle sera déportée à Auschwitz, depuis Drancy, par le convoi n° 69 du 7 mars 1944.

4 avril 1944 : toujours place Voltaire. M. Lipfrant, 56 ans, est arrêté et sera envoyé à la chambre à gaz. Arrêtée également, sa fille Raymonde, 15 ans, rentrera vivante de Birkenau. Mme Lipfrant avait été arrêtée lors de la rafle du Vél d’Hiv.

23 mai 1944 : Rose Sitbon, est arrêtée dans la rue. Ses papiers sont en règle. Veuve de 35 ans, ouvrière chez Renault, elle a cinq enfants à nourrir. L’aîné a 17 ans, le plus jeune 8 ans. Direction Drancy et Auschwitz par le convoi n° 75 du 30 mai 1944. Elle survivra.

Autre opération, le 25 mai 1944 : métro Porte de Clignancourt, avec trois inspecteurs. Esther Lasri, 63 ans, née à Oran, et sa fille Ida sont arrêtées. La mère mourra à Auschwitz, déportée par le convoi n° 75 parti de Drancy le 30 mai 1944. Ida, rentrera très malade.

Fin mai 1944, Régine Kaufmann, arrêtée dans la rue, n’avait pas ses papiers sur elle. On lui demande de se présenter à la SEC le lendemain. Elle sera déportée avec son mari, son père et son fils. Ces deux derniers ne rentreront pas…


(1) "L’Express" du 26 octobre 1978, interview par Philippe Ganier Raymond.

(2) Laurent Joly : Vichy dans la "Solution Finale" - Histoire du Commissariat Général aux Questions Juives (Grasset 2006), p. 633 

(3) CDJC-DXLVI-73 Rapport d’enquête. Commission rogatoire du juge d’instruction près le Tribunal permanent des Forces Armées de Paris.


Dénonciations...

Entre 1940 et 1944, des milliers de personnes ont payé de leur vie les dénonciations faites aux autorités de Vichy et nazies. En 1983, le journaliste André Halimi réalisait un premier travail de fond dans "La délation sous l’Occupation" (Editions Alain Moreau). En 2012, l’historien Laurent Joly publiait "La délation dans la France des années noires" (Editions Perrin).

Déjà, en 2007, dans "Vingtième siècle. Revue d’Histoire" il publiait le fruit de ses recherches sur "La délation antisémite sous l’Occupation" en explorant méthodiquement les archives du Commissariat Général aux Questions Juives. 

Nombre de lettres de dénonciations visaient directement des juifs de zone occupée ne portant pas l’étoile jaune :


Lettre du 19 juillet 1942 au Commandant von Gross-Paris : on veut savoir où l’on peut « signaler des Juifs qui ne portent pas l’étoile jaune (…) On en trouverait des milliers si on lançait une chasse dans les cafés et restaurants du XVIe arrondissement de Paris et autour de la place de l’Etoile ». (CDJC-XLIXa-104)


Lettre du 25 juillet 1942 à la Kreiskommandantur 895 de Versailles : « les filles du juif suédois Liegmanson ne portent pas l’étoile jaune ». Courrier transmis à la Sipo-SD de Paris (CDJC-XLIXa-106)


Note du 9 août 1942 des indicateurs 351 et Bx 534 de Biarritz au sujet de Juifs de Paris qui ne portent pas l'étoile : «  On se demande si vos juifs riches devraient arrêter de porter l’étoile comme la fille des usines automobiles Citroën qui a épousé M. Montesquio et habite à Paris ; une autre la riche juive Ravel qui ne porte pas l’étoile parce qu’elle est la cause de la discrimination aryenne. De même, Mme Brinon, la femme de l’ambassadeur Brinon, qui est prétendue juive est devenue aryenne. On ne devrait pas permettre ces exceptions. Cherchons si les juifs sont encore riches, autrement les Français penseront que les Allemands se vendent aux riches juifs ». (CDJC-XLIXa-107)

En réalité André Citroën avait une fille Jacqueline (1915-1994) qui épousa en 1935, selon le rite catholique en l’église ND de Grâce de Passy, le marquis Paul de Rafélis de Saint-Sauveur (1910-1999).


Rapport de la SEC (Section d'enquête et de contrôle) : « Monsieur, je viens vous signaler le cas de 2 juifs qui ne portent – déjà – plus l’étoile. Une juive qui travaille chez Delangre 202, Fbg St-Denis au fond du passage et qui depuis plusieurs mois déjà ne porte plus l’étoile ». Liba Polonski (née Kozlowski) sera arrêtée, déportée le 18 juillet 1943. Assassinée à Auschwitz… (AN Z6 1387, scellé 41, rapport de la SEC, 17 juin 1943)


Lettre du 28 août 1942 : un commerçant voisin des Rosenthal écrit au CGQJ pour adopter leur fille Sylvie, 12 ans, car il a perdu la trace de sa mère et de son frère réfugiés à Pornic (Loire-Atlantique) arrêtés parce qu’ils ne portaient pas l’étoile. Sylvie, envoyée au camp de La Lande (Indre-et-Loire) sera déportée à Auschwitz par le convoi n°36 au départ de Drancy le 23 septembre 1942.


Lettre de 1943 au CGQJ : « Puisque vous vous occupez des Juifs, et si votre campagne n’est pas un vain mot, voyez donc le genre d’existence de la fille Muriel Adler, ancienne danseuse, actuellement en hôtel 31 Bd de Strasbourg,  ne portant pas l’étoile. Cette personne non contente d’être juive débauche les maris des vraies françaises. Sachez donc de quoi elle vit ?? Défendez les femmes contre les Juives et ce sera votre meilleure propagande et vous rendrez un mari Français à sa femme ». (CDJC-XXXVIII-102)

Les espoirs déçus des anciens combattants

Dans une lettre du 3 juin 1942 adressée au chef de la Sipo-SD, Amélie Alméras, fait une demande d'exemption de l'étoile jaune qu'elle justifie par le fait que trois de ses frères ont participé à la Première Guerre Mondiale aux côtés des français et qu'un autre frère est actuellement prisonnier de guerre en Allemagne. En guise de réponse, Theodor Dannecker ordonne dans une note manuscrite de ne pas accorder d'exemption à Mme Alméras. (CDJC-XLIXa-51a)


Les anciens combattants Juifs n'échappent donc pas à l'étoile jaune. 

Nombre d'entre eux, qui vénèrent le maréchal Pétain, lui adressent directement des courriers :


Le 18 août 1942Armand Abraham Reis, né le 13 mars 1879 à Mutzig (Bas-Rhin) fait appel à la "bienveillance" du maréchal :


Monsieur le Maréchal,

J'ai l'honneur de solliciter votre haute bienveillance sur l'attention de mon cas particulier.

Comme Juif, je suis interné dans le camp de La Lande, par Monts (Indre-et-Loire), pour avoir voulu franchir la ligne de démarcation, sans être porteur de l'insigne, et sans autorisation de déplacement ; je mérite en effet une peine disciplinaire pour infraction à l'ordonnance allemande en vigueur ".

En raison de mes états de service et de ceux de ma famille, je me permets, M. le Maréchal d'intervenir auprès des autorités allemandes, d'adoucir ou d'écourter ma peine ".

Il invoque ses états de service au 152e régiment d'infanterie et rappelle qu'il a " eu le très grand honneur " de servir en qualité de chauffeur dans l'état-major particulier du maréchal pendant plus de deux ans, au groupe d'Armée du Centre et du Grand Quartier général, puis comme attaché, et conducteur personnel du général Fayolle, jusqu'à sa démobilisation en février 1919.

M. Reis insiste sur son état de santé et les actions des membres de sa famille : son frère, ingénieur et officier d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur, décédé suite à une maladie contractée sur le front. Egalement, son beau-père, médecin-chef, et sa soeur, infirmière-major, sans oublier son épouse qui " partage mon malheureux sort, m'ayant accompagné ". (AD37-120W35)


Les béquilles de Wigdor Fajnzylberg


Victor Faynzylberg et ses enfants (Images de la
Mémoire Juive, immigration et intégration en France
depuis 1880. Liana Lévi, 2000)
Cette photo sera adressée au maréchal Pétain par Wigdor Fajnzylberg. Ce coiffeur de 34 ans, qui habite boulevard de la Villette, s'est fait photographier avec ses deux enfants et ses béquilles, sur les conseils d'un voisin, pour appuyer la demande de libération de son épouse Ita, 42 ans, née Mikowski, arrêtée en juillet 1942.

Ce soldat originaire de Laskarzew (Pologne) a été amputé de sa jambe gauche en 1940 alors qu'il était soldat du 22e régiment de marche étranger.

Avec sa croix de guerre et sa médaille militaire, bien visibles, il est avec sa fille Liza qui porte l'étoile, alors que son petit garçon n'est pas en âge de la porter.

Dans une lettre du 16 juillet 1942, le président de la Fédération des amputés de guerre avait demandé au Commissariat Général aux Questions Juives une intervention d'urgence pour cette libération, en mettant en avant la situation de Fajnzylberg. Il expliquait " qu'il n'est pas guéri de son amputation et doit subir quotidiennement des soins particuliers. Il ne peut utiliser que des béquilles pour se déplacer ". Il précisait que Wigdor Fajnzylberg habite un logement au 5e étage et que " sa situation est particulièrement navrante du fait qu'il reste seul avec ses deux enfants en bas âge ".

Le 23 juillet 1942, réponse en sept lignes, formule de politesse comprise : " les autorités occupantes s'opposent à toute mesure de faveur ". (CDJC-CXCIV-92)

Ita Fajnzylberg sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 34 au départ de Drancy, le 18 septembre 1942. Wigdor, arrêté chez lui, emporté ligoté sur une civière, sera du convoi n° 68 du 10 février 1944.


Ernestine Frenkel cherchait sa fille Zena

Cette épouse de prisonnier de guerre, sans nouvelle de sa fille arrêtée, écrit une lettre poignante à Mme Pétain.

Zena Frenkel, 17 ans, a été interpellée le 12 septembre 1942 à Evreux, pour ne pas avoir porté l'étoile jaune.

Condamnée à dix semaines de prison, elle aurait dû être libérée mais, passé les 4-5 décembre, sa mère, Ernestine Frenkel, qui habite à Paris, restait sans nouvelles, sa dernière lettre remontant au 9 novembre.

Dans sa lettre du 9 décembre 1942, Mme Frenkel dit être " une mère en grande détresse ", et a la conviction que " seulement vous, avec l'aide de Dieu, pouvez restaurer le bonheur à notre foyer " (...) " J'espère que mon appel à votre bon coeur ne sera pas vain ". (CDJC-LXI-103b Ensemble de documents de décembre 1942 et de janvier 1943 concernant l'internement de Mlle Zéna Frenkel)

Elle explique que son mari est prisonnier de guerre : " Ayez donc pitié de nous, Madame la Maréchale. Humblement, je vous supplie de faire tout ce qui est humainement possible, d'attendrir les autorités occupantes en sa faveur.

Pensez à l'inquiétude de ma fille de ne pouvoir plus avoir le droit de m'écrire et de ne pas savoir ce qu'on a l'intention de faire d'elle, et à l'inquiétude de mon mari et de moi-même.

Laissez moi espérer que tout n'est pas encore perdu, que je verrai ma petite bientôt pour me consoler pendant l'attente de la libération de mon mari ".

En post-scriptum, elle précise : " J'étais donneuse de sang bénévole pour les blessés de guerre ".

Ernestine Frenkel adressera aussi un courrier au Service diplomatique des prisonniers de guerre de Georges Scapini, qui fera suivre sa demande de libération au Commissariat général aux questions juives.

Réponse le 29 janvier 1943 : " dans les circonstances actuelles, il ne peut être donné une suite favorable à la requête de Mme Frenkel "...


En janvier 1943, Mme Leib réclamera, en vain, la libération de son mari, ancien combattant, arrêté à la Bastille. Dans une lettre elle affirme qu'il portait bien son étoile jaune mais " qu'elle était un peu cachée par son manteau ". Sa lettre est appuyée par un courrier de l'adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, président adjoint de l'Union nationale des combattants.

Darquier de Pellepoix, Commissaire Général aux Questions Juives, répondra à l'élu qu'il ne peut rien faire. (CDJC-CII-85a Lettres des 24 et 26 janvier 1943, et du 24 février 1943.)

Nelly Frankfurt, 17 ans : "Je m'adresse à votre bonté"...

 

La carte d'identité tamponnée "JUIVE" de Nelly Frankfurt
(Archives départementales d'Indre-et-Loire)

A Tours, Nelly Frankfurt avait 17 ans. Né à Varsovie le 19 septembre 1925, elle suivait des cours de secrétariat et vivait avec sa famille d'origine polonaise, expulsée de Gironde, au camp de La Lande 
depuis décembre 1940.
En novembre 1941 elle avait obtenu l'autorisation de fréquenter l'école Pigier pour apprendre la sténographie. 
Le 3 mai 1942, elle adresse une lettre au général chef de la Kommandantur de Paris, en vue d'une exemption d'étoile. (1) 
« Je voudrais vous adresser une prière. Comme vous le savez, il est interdit de paraître en public, à partir du 7 juin, sans porter l'étoile jaune. Cela me chagrine beaucoup parce que je suis juive. Je suis femme et j'ai de la peine à concevoir que je ne pourrai plus me trouver en société sans provoquer chez certains un sentiment d'animosité. J'aime tous les êtres humains sans distinction, et me voir repoussée par ceux que j'aime, surtout par mes camarades de classe, me cause un vif chagrin. (...) 
Je m'adresse donc à votre bonté, à vos sentiments humains qui, j'en suis sûre, sont aussi forts qu'en moi, et vous prie de bien vouloir me répondre avant le 7 juin, date à laquelle le décret entre en vigueur » ...
Pour seule réponse, Nelly sera arrêtée et déportée à Auschwitz par le convoi n° 8 du 20 juillet 1942 avec sa mère Alla, 54 ans. Un convoi parti d'Angers, le seul de cette période alors que les convois formés à Bordeaux, Rouen, Nancy et Dijon seront annulés suite à un accord du 2 juillet 1942 entre la Sipo-SD et René Bousquet prévoyant le report temporaire des juifs français au profit des étrangers.
Le père, Stanislas, né à Lodz le 26 août 1883, chef de bureau chez Massey-Harris à Bordeaux sera également déporté vers Auschwitz le 11 septembre 1942, par le convoi n° 31. 
Dans une lettre au préfet d'Indre-et-Loire, datée du 6 janvier 1941, la mère de Nelly  demandait l'autorisation de se rendre à Tours pour effectuer des "achats de chaussures d'hiver". Elle soulignait "sa bonne conduite" et celle de son mari "qui a été à Pithiviers"...

(1) CDJC-XLIXa-51b : Lettre du 3 mai 1942 au chef de la Feldkommandantur de Paris.

Sarah Lichtsztejn : échappée du Vél d'Hiv avec sa mère

 Sarah Lichtsztejn, 14 ans, est arrêtée avec sa mère Maria, le premier jour de la rafle du Vél d'Hiv' le 16 juillet 1942.

A 6 h du matin, dans leur petit appartement du 20e arrondissement, deux policiers français frappent à la porte.

Le père Moïse, arrêté en juillet 1941, vit caché ailleurs après s'être échappé du camp de Pithiviers... 

Les scellés sont mis sur la porte et elles rejoindront en autobus le Vélodrome. 

Le soir, après une journée infernale, elles réussiront à s'échapper en marchant à reculons vers la rue : " Je ne porte pas l'étoile jaune. Des autobus arrivent sans cesse et, pendant que la police s'occupe des nouveaux venus, je m'avance un peu sur le trottoir. Un agent s'approche et me demande : " Qu'est-ce que vous faites là ? ". Je réponds : " Je ne suis pas juive, je suis venue pour voir quelqu'un ". " Foutez moi le camp, vous reviendrez demain " dit-il (...) " Je prends la rue Nocard, en face du Vél d'Hiv' et là, je la suis n'osant me retourner, tremblant qu'on ne me rappelle et le coeur lourd d'avoir laissé maman. Au bout de la rue un agent arrête les gens qui veulent entrer. Je m'avance le coeur battant, mais il me laisse passer croyant que j'habite un immeuble de cette rue ".

Sarah retrouvera sa mère au métro Glacière. Elle avait pu s'évader vingt minutes après, pour rejoindre une cache amie dans le 13e.

Après deux ans, dénoncées, elles sont à nouveau arrêtées sur dénonciation anonyme et le 30 mai 1944, font partie du convoi n° 75 vers Auschwitz. 

Sarah retrouvera sa mère et effectueront des travaux de bagnards. Le 18 janvier, elle feront la "marche de la mort" et après cinq jours et cinq nuits, elles arrivent au camp de Bergen-Belsen, libéré le 15 avril par les Britanniques. 

Sarah est de retour à Paris le 24 mai 1945. En 1952 elle se marie et aura deux enfants. En 2011, Sarah a publié son témoignage. 


Sarah Lichtsztejn-Montard, "Chassez les papillons noirs". Editions Le Manuscrit, 2011


Hélène Berr : " Le contrôleur m'a dit "Dernière voiture" "

Hélène Berr a tenu son journal du 7 avril 1942 au 15 février 1944. Il commence par une visite à Paul Valéry qui lui avait dédicacé un livre, et se termine à Drancy par le mot "Horror !"

Hélène Berr (dr)
Arrêtée chez elle avec ses parents, le 8 mars 1944 à l'aube, envoyés à Drancy, ils seront déportés à Auschwitz, par le convoi n° 70, le jour de ses 23 ans, le 27 mars 1944. 
Son père, Raymond Berr, polytechnicien et ingénieur des Mines, vice-président des Ets Kuhlmann, petit-fils de Maurice Lévy, président de l'Académie des Sciences, avait été arrêté une première fois le 23 juin 1942, au prétexte que son étoile jaune était agrafée et non cousue. 
Libéré sous caution après trois mois passés à Drancy, il avait été contraint de travailler chez lui, dans le 7e arrondissement de Paris. Il mourra le 27 septembre 1944. Sa mère, Antoinette Rodrigues-Ely, qui avait eu cinq enfants, sera gazée le 30 avril 1944...
Hélène préparait une agrégation d'anglais et abandonna ses études pour devenir assistante sociale bénévole à l'UGIF début juillet 1942.
Envoyée à Bergen-Belsen, elle ne se leva pas un matin, à l'heure de l'appel. Atteinte du typhus, elle sera battue à mort le 10 avril 1945, quelques jours avant la libération du camp par l'armée britannique.
Son journal, publié par sa nièce en 2008, a été préfacé par Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014.
Le 9 juin 1942, deux jours après l'entrée en vigueur de la 8e ordonnance allemande, des instructions données au métro parisien imposaient aussi que les Juifs montent uniquement dans la dernière voiture de la rame.
Hélène Berr écrira : « Je ne voulais pas porter l'étoile, mais j'ai fini par le faire, trouvant lâche ma résistance. Il y a eu d'abord deux petites filles avenue de La Bourdonnais qui m'ont montrée du doigt. Puis, au métro à l'Ecole-Militaire (quand je suis descendue, une dame m'a dit : « Bonjour, mademoiselle »), le contrôleur m'a dit : « Dernière voiture. » Alors, c'était vrai le bruit qui avait couru hier. Cela a été comme la brusque réalisation d'un mauvais rêve. Le métro arrivait, je suis montée dans la première voiture. Au changement, j'ai pris la dernière. Il n'y avait pas d'insignes. Mais rétrospectivement, des larmes de douleur et de révolte ont jailli à mes yeux, j'étais obligée de fixer quelque chose pour qu'elles rentrent.

Je suis arrivée dans la grande cour de la Sorbonne à deux heures tapantes, j'ai cru apercevoir Molinié au milieu, mais, n'étant pas sûre, je me suis dirigée vers le hall au bas de la bibliothèque. C'était lui, car il est venu me rejoindre. Il m'a parlé très gentiment, mais son regard se détournait de mon étoile. Quand il me regardait, c'était au-dessus de ce niveau, et nos yeux semblaient dire : « N'y faites pas attention. » Il venait de passer sa seconde épreuve de philo.

Puis il m'a quittée et je suis allée au bas de l'escalier. Les étudiants flânaient, attendaient, quelques-uns me regardaient. 

Bientôt, Vivi Lafon est descendue, une de ses amies est arrivée et nous sommes sorties au soleil. Nous parlions de l'examen, mais je sentais que toutes les pensées roulaient sur cet insigne. Lorsqu'elle a pu me parler seule, elle m'a demandé si je ne craignais pas qu'on m'arrache mon bouquet tricolore, et ensuite elle m'a dit : « Je ne peux pas voir les gens avec ça. » Je sais bien ; cela blesse les autres. Mais s'ils savaient, eux, quelle crucifixion c'est pour moi. 

J'ai souffert, là, dans cette cour ensoleillée de la Sorbonne, au milieu de tous les camarades. Il me semblait brusquement que je n'étais plus moi-même, que tout était changé, que j'étais devenue étrangère, comme si j'étais en plein dans un cauchemar. Je voyais autour de moi des figures connues, mais je sentais leur peine et leur stupeur à tous. C'était comme si j'avais eu une marque au fer rouge sur le front. » [...]


Extrait de Hélène Berr, Journal (1942-1944), préface de Patrick Modiano, Tallandier, 2008

D'autres arrestations...

6 juin 1942 : la veille du jour où la 8e ordonnance allemande instaurait le port de l’étoile, une circulaire du directeur de la police judiciaire et du délégué du préfet de police de Paris, était adressée à tous les commissaires pour préciser les mesures à prendre contre les Juifs qui ne portent pas de façon évidente l’étoile jaune. (CDJC-XX-31)

Conséquence immédiate, le 8 juin, deux femmes contrôlées par la Feldgendarmerie sont écrouées à la caserne des Tourelles : Berthe Steinberg ne portait pas son étoile et Alice Heni n’avait pas sa carte d’identité. (CDJC-XLIXa-74)

10 juin 1942 : dans une note du SS-Obersturmführer Heinz Röthke sur l’introduction de l’étoile jaune,  il est fait mention de l’arrestation d’environ 40 personnes : « parce qu'elles ne portaient pas l'étoile juive, parce qu'elles portaient encore d'autres insignes ou parce qu'elles portaient plusieurs étoiles. Outre ces Juifs, un certain nombre de non-Juifs qui portaient l'étoile jaune sans y être obligé ou portaient des imitations de l'étoile jaune avec des inscriptions différentes ou d'autres insignes fantaisistes ont été arrêtés. Les Juifs ayant 18 ans révolus ont été internés à Drancy, les autres Juives aux Tourelles. Les non-Juifs ont été traités de la même manière. Les enfants et les jeunes, gardés 24 ou 48 heures, après avoir été rappelés fermement à l'obéissance à l'ordonnance, ont été libérés ». (CDJC-XLIXa-33 et Cécile Gruat et Cédric Leblanc : Amis des Juifs, les résistants aux étoiles, Tiresias - Les oubliés de l’histoire, 2005)


Françoise Siefridt, jeune lycéenne de la Jeunesse étudiante chrétienne féminine (JECF) avait brodé le mot "papou" sur son étoile. Elle restera à Drancy jusqu’au 31 août 1942. (Françoise Siefridt : « J’ai voulu porter l’étoile jaune », Robert Laffont, 2010)


1er septembre 1942 : Louise Jacobson, lycéenne de 17 ans, est incarcérée à Fresnes. Dénoncée pour ne pas avoir porté d’étoile, elle est arrêtée chez elle, rue des Boulets (11e), par la police française. Drancy, Beaune-la-Rolande, elle est gazée à son arrivée à Auschwitz, par le convoi n° 48 du 13 février 1943. Sa mère Olga, emprisonnée à la Petite Roquette, partira par le convoi N° 62.

Louise a laissé six mois de lettres émouvantes écrites pendant sa captivité que sa soeur fera publier en 1989 et qui seront adaptées au théâtre. (Nadia Kaluski-Jacobson : Les lettres de Louise Jacobson et de ses proches 1942-43, Laffont, 1997)


10 novembre 1942 : arrestation à La Couarde-sur-Mer, à l’Ile de Ré, de Pauline, 73 ans, et Moïse Berger, 77 ans. Dénoncés par le maire Gaston B. à un inspecteur, il indiqua « qu’ils ne portaient pas toujours bien l’insigne ». Les époux Berger seront arrêtés à leur domicile parisien avec leurs filles Rose, 44 ans, Emma, 41 ans et Hélène, 36 ans. Tous seront déportés à Auschwitz, convoi n°48, parti de Drancy le 13 février 1943. (CDJC-CCXVIII-24_001)


8 décembre 1942 : Albert Morhaim, 18 ans, est arrêté dans le métro par Robert Douillet, chef du service des inspecteurs à la SEC pour absence d'étoile jaune. Amené au siège de la SEC il est brutalisé. Plus tard, à Champigny-sur-Marne, sa famille est arrêtée : ses parents, son frère Roger et sa soeur Rachel. Ils seront tous déportés le 11 décembre 1943 par le convoi n° 47. Aucun n'a survécu. (Laurent Joly : Vichy dans la Solution Finale - Histoire du Commissariat Général aux Questions Juives, Grasset 2006, p. 622-643)


1er janvier 1943 : Emile Moha, 62 ans, déjà arrêté au début de la guerre par la police française, l'est à nouveau pour absence d'étoile. Soupçonné de camoufler son origine juive, il est convoqué par la police pour violation de la 9e ordonnance et non port de l'étoile jaune. Le 18 février, demande sera faite au commissaire Permilleux d'arrêter toute sa famille et de les interner à Drancy. (CDJC-XLII-41)


5 août 1943 : Marguerite Gleidmann, d’origine hongroise, est arrêtée par l’inspecteur Robert Douillet, pour avoir attaché son étoile avec des épingles au lieu de l’avoir cousue. Déportée par le convoi n°59 du 2 septembre 1943. (CDJC-LXXXIX-92)

 

26 octobre 1943 : Douillet arrête Simone Lackenbacher, 32 ans, employée d’une pharmacie rue des Batignolles (20e). Le rapport précise : «  Trouvé la Juive à la caisse sans étoile. Cette juive a tenté de prendre la fuite mais a été appréhendée à nouveau ». Consignée au poste, elle sera déportée par le convoi n°62 du 20 novembre 1943. 

L'inspecteur Douillet sera condamné à 15 ans de travaux forcés par la Cour de justice de Paris en août 1949. (AN-AJ 38-6)


27 janvier 1944 : Enfant cachée, Colette Rozen, 12 ans, de Saint-Dizier (Haute-Marne), dénoncée, est arrêtée dans sa classe par les gendarmes. Déportée à Auschwitz, convoi n°68 du 10 février 1944. Sa petite soeur Annette, 3 ans, ne sera pas arrêtée. Leur père Mordka, tailleur, né à Lodz (Pologne), qui faisait passer des courriers aux familles d'accueil de ses enfants, sera arrêté avec sa femme Bayla. Déportés le 27 juillet 1942, ils sont morts à Auschwitz le 1er août 1942. Il écrivait : 

« J'espère que Colette n'aura pas besoin de porter l'insigne vu que nous ne sommes plus là. Elle n'attirera pas l'attention des gens ». (Récit de Sylviane Cuartero pour Guysen Israël News du 14 avril 2007).

« Nous éviter la si pénible blessure imposée à notre amour propre »

Alice Houlman-Lévy, 73 ans, et Renée-Claire Kahn, 61 ans, tenaient le commerce LOB à Romorantin (Loir-et-Cher). Ces deux veuves vivaient dans cette sous-préfecture depuis 42 ans, au 11 Faubourg d'Orléans. Le 9 juin 1942, elles adressent à la préfecture ce courrier très déférent à propos de l’étoile jaune :

« Je vous fais pour nous deux serments que notre honorabilité est parfaite (…) Alors, vous plairait-il, Monsieur le Préfet, comme il y a, paraît-il, des exceptions prévues à cette loi de nous mettre à même d’en profiter et nous éviter la si pénible blessure imposée à notre amour propre ? S’il en était ainsi et que vous puissiez avoir la bonté de nous prendre sous votre haute protection, nous vous en aurions, je vous le promet, une gratitude infinie. » (Archives départementales du Loir-et-Cher)

Lettre du 13 juillet 1942 (Archives départementales 41)

Le préfet, Jacques-Félix Bussière transmet la missive au ministère de l’Intérieur le 26 juin. 

Le 13 juillet, il reçoit cette réponse : « J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il n’appartient pas à mes services d’accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre aux Autorités allemandes. 
Il convient, en conséquence, d’inviter les juifs qui présenteraient des demandes de cet ordre, à s’adresser aux Kommandanturen dont ils dépendent ».

Arrêtées le 22 septembre 1942, Alice et Renée-Claire seront déportées par les convois n°58 du 31 juillet 1943 vers Auschwitz et n° 53 du 25 mars 1943 vers Sobibor.

Le 16 octobre 1942, le préfet Bussière avait interrogé la Gestapo d’Orléans sur le motif des deux arrestations. Sa note souligne qu’elles sont de « race juive, mais de nationalité française ».

Réponse le 4 novembre : arrestations pour « action anti-allemande ». 

Jacques-Félix Bussière (1895-1945) a été préfet de Mayenne, de Haute-Marne, du Loir-et-Cher, du Loiret en novembre 1942 puis préfet régional à Marseille en janvier 1944. 

Il se rapprocha de la résistance pour préparer le débarquement allié en Provence. Arrêté par la Gestapo le 14 mai 1944, il sera déporté au camp de Neuengamme et trouvera la mort le 3 mai 1945 à bord du « Cap Arcona », sur la Baltique. Ce paquebot qui transportait 6.500 déportés sera coulé par la Royal Air Force.