vendredi 21 août 2020

André Haffner, le condamné à mort acquitté...

Le 4 août 1949, après dix-huit audiences devant la Cour de justice du procès des 35 ex-inspecteurs et cadres de la SEC - la Section d’enquêtes et de contrôle du Commissariat Général aux Questions Juives - de simples peines de prison sont prononcées contre 16 personnes. Neuf seront acquittées, et neuf condamnées aux travaux forcés, entre cinq et vingt ans. Des peines amnistiées plus tard…

Condamné à mort par contumace fin 1947, l’ancien commissaire général Louis Darquier de Pellepoix, réfugié en Espagne franquiste, y mourra à 82 ans en 1980, sans avoir jamais été inquiété. Retrouvé par un journaliste de "L’Express" en 1978, il déclara : « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux ». (1)

Son prédécesseur jusqu’en mai 1942, Xavier Vallat, arrêté à Vichy le 26 août 1944, condamné à dix ans de prison en 1947, bénéficia d’une libération conditionnelle fin 1949. Il sera amnistié en 1954...

Autre contumax, André Haffner, condamné à mort le 3 novembre 1949 par la Cour de justice de la Seine. Il se rendra en 1955 après dix ans de cavale. 

Directeur de la SEC, de novembre 1943 à fin mai 1944, il part à Clermont-Ferrand où nommé intendant de police, il s’illustra avant sa fuite en Allemagne dans une opération contre les maquis d’Auvergne.

Acquitté en 1956 par le Tribunal des Forces Armées de Paris… Il décède à 78 ans en 1987.

Ancien avocat à Tunis, sa ville natale, administrateur de « Tunis Journal », directeur éditorialiste de Radio-Tunis où il invitait chaque jour à s’enrôler dans la Phalange Africaine, membre du PPF, il sera évacué vers l’Italie le 13 mai 1943, une semaine après la prise de Tunis par l’armée britannique. 

Fin mai 1943 à Paris, il entre à la SEC comme "chargé de mission" le 1er juin. Très actif sur le terrain, il signera les procès-verbaux d’arrestations de 111 personnes, souligne Laurent Joly. (2)

Pour réaliser sa politique du chiffre, l’historien précise qu’Haffner s’entourait d’indicateurs juifs qu’il fait déporter une fois qu’ils ont permis l’arrestation de tous les coreligionnaires de leur quartier, comme l’a rapporté l’officier de police Jacques Delarue dans son rapport du 11 juillet 1957. (3)


Retour sur quelques "actions" zélées visant des femmes : 

7 mars 1944 : Haffner prend la tête d’une arrestation place Voltaire à Paris. Il s’agissait d’un contrôle destiné à dépister les israélites en infraction avec l’ordonnance allemande leur interdisant de faire leur marché en dehors de certaines heures. Golda Diament, 34 ans, sera arrêtée au 1, rue de la Roquette alors qu’elle parlait à une voisine. Seule avec trois enfants depuis l’arrestation de Zalman-David son mari, assassiné à Auschwitz le 10 juin 1942, sa fille Jacqueline avait 14 ans et ses deux garçons, 7 et 3 ans. Elle sera déportée à Auschwitz, depuis Drancy, par le convoi n° 69 du 7 mars 1944.

4 avril 1944 : toujours place Voltaire. M. Lipfrant, 56 ans, est arrêté et sera envoyé à la chambre à gaz. Arrêtée également, sa fille Raymonde, 15 ans, rentrera vivante de Birkenau. Mme Lipfrant avait été arrêtée lors de la rafle du Vél d’Hiv.

23 mai 1944 : Rose Sitbon, est arrêtée dans la rue. Ses papiers sont en règle. Veuve de 35 ans, ouvrière chez Renault, elle a cinq enfants à nourrir. L’aîné a 17 ans, le plus jeune 8 ans. Direction Drancy et Auschwitz par le convoi n° 75 du 30 mai 1944. Elle survivra.

Autre opération, le 25 mai 1944 : métro Porte de Clignancourt, avec trois inspecteurs. Esther Lasri, 63 ans, née à Oran, et sa fille Ida sont arrêtées. La mère mourra à Auschwitz, déportée par le convoi n° 75 parti de Drancy le 30 mai 1944. Ida, rentrera très malade.

Fin mai 1944, Régine Kaufmann, arrêtée dans la rue, n’avait pas ses papiers sur elle. On lui demande de se présenter à la SEC le lendemain. Elle sera déportée avec son mari, son père et son fils. Ces deux derniers ne rentreront pas…


(1) "L’Express" du 26 octobre 1978, interview par Philippe Ganier Raymond.

(2) Laurent Joly : Vichy dans la "Solution Finale" - Histoire du Commissariat Général aux Questions Juives (Grasset 2006), p. 633 

(3) CDJC-DXLVI-73 Rapport d’enquête. Commission rogatoire du juge d’instruction près le Tribunal permanent des Forces Armées de Paris.


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