mardi 11 mars 2014

"Monuments Men" : pas d'étoile jaune pour mieux piller les oeuvres d'art !

Le film "The Monuments Men", avec George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, Jean Dujardin et John Goodman, raconte l'histoire de spécialistes envoyés en Europe par Roosevelt pour récupérer les oeuvres d'art dérobées à des Juifs par les nazis.

Avec George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, Jean Dujardin, John Goodman
"Monuments Men" s'inspire du livre éponyme de Robert M. Edsel et Bret Witter.
Pour mieux piller les collections d'oeuvres d'art, les nazis faisaient aussi appel à des marchands Juifs et certains ont même obtenu une exemption d'étoile jaune pour faciliter leur travail.
Ce film sort 50 ans après "Le Train", de John Frankenheimer, qui racontait l'odyssée du dernier convoi de tableaux de maîtres, intercepté par des hommes de la 2e DB du général Leclerc le 27 août 1944.


Hans Posse
L'histoire du plus grand hold up du XXe siècle avait commencé cinq ans plus tôt en juin 1939, lorsque le Dr Hans Posse, directeur de la Gemäldegalerie Alte Meister (galerie de peintures de Dresde), reçoit un ordre d'Hitler. Il a pour mission de collecter des oeuvres d'art pour alimenter le futur Führermuseum, imaginé par le chancelier allemand.
Au moins quatre exemptions d'étoile seront demandées par Posse pour faciliter l'activité des marchands d'art juifs à son service.
Allan et Emmanuel Loebl, en ont bénéficié en août 1942, avec Hugo Engel, un Juif autrichien, à la tête d'une importante galerie, et son fils Herbert Hengel.
Hugo Engel sera le premier à bénéficier de l'exemption, valable jusqu'au 30 novembre 1942.
Posse, qui mourra d'un cancer en décembre 1942, travaillait aussi avec le marchand berlinois Charles Haberstock.
Celui-ci passera par Helmut Knochen, pour délivrer l'exemption des Loebl, valable du 23 février 1943, jusqu'au 30 avril, puis prolongée jusqu'au 31 octobre 1943. (1)
Allan Loebl était affilié au syndicat des marchands d'art où l'on retrouve l'industriel Achille Boitel, liquidé par la Résistance en 1944, et l'antiquaire Yves Perdoux, qui révéla les cachettes des collections du marchand d'art Paul Rosenberg, dans le Bordelais, obtenant en contre-partie trois Pissaro et un Renoir. (2)
Ces opérations de spoliation à grande échelle sont lancées dès le 17 septembre 1940 lorsque le général Keitel, chef du Haut Commandement des forces armées à Paris, applique l'ordre du Führer de confisquer " les objets précieux des Juifs et de les transporter en Allemagne " grâce à l'Eisatzstab Reichsleiters Rosenberg (ERR), l'unité spéciale dirigée par Alfred Rosenberg.
A partir d'octobre, les oeuvres saisies sont entreposées au musée du Jeu de Paume et en avril 1941, l'ERR ira jusqu'à saisir des collections en zone libre, comme la collection David-Weill au château de Sourches (Sarthe). 
Vichy ne protestera qu'en juin, juste avant la loi du 22 juillet 1941 sur l'aryanisation des biens juifs. (3)
Le pillage des oeuvres d'art, lancé dans toute l'Europe occupée, fait suite à la directive de Hitler du 30 juin 1940, ordonnant la " mise en sûreté au delà des collections publiques des oeuvres d'art appartenant à des particuliers ".
Posse, éminent spécialiste de l'art baroque et de la Renaissance italienne et néerlandaise, dirigeait une galerie à Dresde.
Göring complètera ainsi ses collections commencées au début des années trente, grâce à Max Jakob Friedlaender (1867-1958). Cet expert, issu d'une famille juive de banquiers et de négociants en pierres précieuses, quitta l'Allemagne en 1939 pour les Pays-Bas et bénéficiera de la protection pour le moins intéressée de Göring. 
Collectionneur compulsif, le dirigeant nazi fera au moins douze visites au Jeu de Paume en 1941 et cinq en 1942 (4), où l'assistante de conservation, Rose Valland, jouera un rôle éminent pour répertorier les oeuvres volées, et permettre ainsi leur récupération par les "Monuments Men" américains. (5)
Détail révélateur sur l'utilisation des intermédiaires juifs : en prime d'un tableau d'Utrillo, tiré de la collection Bernheim, Göring recevra l'intégralité de la bibliothèque d'art d'Allen Loebl.
En 2000, la commission Matteoli, dressant le bilan de la spoliation des Juifs de France, estimera à plus de 100.000 les objets d'art pillés sur le territoire français entre 1940 et 1944.
Le 27 août 1944, le dernier train d'oeuvres d'art en partance pour l'Allemagne sera arrêté par des hommes de la 2e DB en gare d'Aulnay-sous-Bois. Parmi eux, le jeune lieutenant Alexandre Rosenberg, fils du collectionneur Paul Rosenberg (lire sa biographie écrite par sa petite fille, Anne Sinclair).

> POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE PILLAGE DES OEUVRES D'ART : voir le site ArtCult le journal du marché de l'art avec un article très complet d'Adrian Darmon.
 En 2015, éclata l’affaire Gurlitt – cet Allemand retrouvé avec plus de 1.500 tableaux volés à des familles juives et qui les avait tranquillement cachés dans un coffre en Suisse -.
 
L'histoire de ce dernier transport d'oeuvres d'art a inspiré
 le film Le Train  réalisé par John Frankenheimer
 et Bernard Farrel, avec Burt Lancaster et Michel Simon, sorti en 1964.

(1) CDJC-XXVa-186 Six documents, du 10 août 1942 au 13 juillet 1943, concernant l'exemption du port de l'étoile jaune pour Allan Loebl, Emmanuel Loebl et Hugo Engel .
(2) Laurence Bertrand Dorléac : " L'Art de la défaite " (Seuil, 1993)
Michel Rayssac : " L'exode des musées - Histoire des oeuvres d'art sous l'Occupation " (Payot, 2007)
Hector Feliciano : " Le Musée disparu - Enquête sur le pillage d'oeuvres d'art en France par les nazis " (Gallimard, 2009)
Anne Sinclair : " 21 rue La Boétie " (Grasset, 2012)
(3) André Gob : " Des musées au dessus de tout soupçon " (Armand-Colin, 2007) chap. 4 : Butin, saisies, spoliations 1933-1946, p. 142 à 144.
(4) Le rapport du 15 août 1945 de l'Office des Services Stratégiques Américain établira que, de février 1941 à novembre 1943, l'ERR organisa jusqu'à 28 " échanges " de peintures françaises de la fin du XIXe et XXe siècles, provenant principalement des collections Rosenberg-Bernstein. Dix-huit de ces échanges réalisés au seul profit de Göring.
(5) Corinne Bouchoux : « Rose Valland, La Résistance au musée » (Geste éditions 2006)

Aucun commentaire: