samedi 4 février 2012

Les handicapés et l'étoile

Certaines infirmités ne peuvent-elles dispenser un Juif du port de l’étoile ?
Cette question, soulignée en rouge sur le document, est formulée le 16 novembre 1942 par Henri Florent, chargé de mission de Jean Marques Rivière, délégué régional des SS du Nord-Pas de Calais.
Une demande transmise au directeur de la Police des Questions Juives (PQJ de Paris).
Non sans compassion, il est précisé  que cette personne a la main gauche mutilée.  « Elle ne peut avoir de profession manuelle et se voit fermer toutes les portes à cause de son insigne » (…) Et d'ajouter qu'il ne s’agit pas " d’un Juif comme les autres ", que " ses sentiments nationaux sont hors de doute et qu’il eut en toute circonstance une conduite véritablement digne d’éloges ". (1)
Une argumentation surprenante, en totale contradiction avec l’idéologie nazie, qui rappelons-le, a toujours rejeté le handicap. Hitler, dans « Mein Kampf », considérait  la « pureté du sang » comme un postulat de la « race aryenne » et dès 1934, le parti nazi éliminera les allemands les plus faibles, les handicapés mentaux et physiques.
Arrivés à Auschwitz II-Birkenau, les personnes présentant un handicap étaient immédiatement dirigées vers les chambres à gaz.

Photo CDJC et BN
Dans la France de Vichy, Pierre Régnier, président de la Fédération des amputés de guerre, écrira le 16 juillet 1942 à Darquier de Pellepoix pour demander une mesure d'exemption du port de l'étoile en faveur des mutilés de guerre Juifs.
Il mettra en avant la situation de Victor Faynzylberg, ce soldat du 22e régiment de marche étranger (polonais) qui a perdu sa jambe gauche en 1940, et dont la femme Ita, a été arrêtée en juillet 1942.
La libération d'Ita est demandée et Régnier explique « qu‘il n‘est pas guéri de son amputation et doit subir quotidiennement des soins particuliers. Il ne peut utiliser que des béquilles pour se déplacer ». Il précise qu’il habite un logement au cinquième étage et que « sa situation est particulièrement navrante du fait qu’il reste seul avec ses deux enfants en bas âge ».

C’est sur les conseils d'un voisin, que Faynzylberg, coiffeur boulevard de la Villette, s'est fait photographier avec ses deux enfants. Il a envoyé le cliché au maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, pour appuyer la demande de libération de son épouse, arrêtée parce que juive. 
Le cabinet de Pétain, note Henri Amouroux, alertera Laval, qui transmettra au président de la Fédération des amputés. (2)
Sa croix de guerre et sa médaille militaire sont bien visibles. Sa fille porte l'étoile. Le petit garçon, qui n'a pas encore six ans, ne la porte pas encore.

La réponse adressée à Pierre Régnier, le 23 juillet, tient en sept lignes, formule de politesse comprise : " les autorités occupantes s'opposent à toute mesure de faveur ". (3)
Finalement, Ita Faynzylberg sera déportée à Auschwitz par le convoi n°34, le 18 septembre 1942. Victor, arrêté chez lui, refusera d'obtempérer et se défendra à coups de béquilles. La police l'emportera ligoté sur une civière, et il sera du convoi n° 68, du 10 février 1944.

Un autre cas de mutilés, anciens combattants, est évoqué début juillet 1942, dans une correspondance entre le préfet de police et le Commissariat général aux questions juives sur une possibilité de dérogation du port de l'étoile dans le palais de justice. (4)
La demande avait été formulée par trois agents du service de surveillance, en uniforme, soldats de 1914-1918, décorés. Ces concierges en contact permanent avec le public, on d'ailleurs été affectés dans un autre service. La demande sera transmise aux autorités allemandes, sans suite...

Yves Lecouturier, dans « Shoah en Normandie 1940-1944 » (5) relève qu’un « Juif de Brionne, bien que médaillé militaire, et dont le fils a été distingué de la croix de guerre, complètement impotent, se voit refuser l’exemption du port de l’étoile jaune qu’il demande. La préfecture répond qu’aucune dérogation n’est prévue ».
(1) CDJC-CXV-86 Lettre du 16 novembre 1942.
(2) Cité par Henri Amouroux, dans " Quarante millions de Pétainistes" (Laffont, 1977) p. 496.
La photo de Faynzylber se trouve aussi dans "Images de la Mémoire Juive, immigration et intégration en France depuis 1880" de Nicole Priollaud, Victor Zigelman, Laurent Goldberg (Liana Lévi - Mémoire Juive de Paris, 2000)
(3) CDJC-CXCIV-92_002 Lettre du 23 juillet 1942.
(4) CDJC-CXCIII-72_001 Correspondance du 1er au 7 juillet 1942.
(5)Editions Cheminements, 2004. p. 57