vendredi 16 février 2018

La famille Millner sauvée par les Cluzeau, Justes des Nations

La famille Millner doit sa survie à Maurice et Paulette Cluzeau, reconnus Justes des Nations en 1994. Henri et David Millner avaient bénéficié d'une exemption d'étoile jaune.


Le caveau familial des Millner au
cimetière parisien de Bagneux
 (col. particulière)
Henri Millner et son fils David Millner ont bénéficié d'une exemption d'étoile jaune le 11 juin 1942. (CDJC-XXVa-192)
Cette double exemption, signée par Röthke, le chef du service IV J de la Sipo-SD de Paris, a été accordée jusqu'au 31 août 1942. Une validité limitée dans le temps avec " l'obligation de présenter avant cette date les documents prouvant son appartenance à la race aryenne ".
Henri est né en 1888 à Bender (Russie) et David, en 1911 à Paris.
Ferrailleur, David a pu profiter de cette profession stratégique en temps de guerre pour obtenir les faveurs des autorités d'occupation, au titre des activités économiques
Mais la famille Millner échappa à la déportation grâce à son sauvetage par un couple de charcutiers du XIe arrondissement de Paris, Maurice, Cluzeau, né en 1913, et son épouse Paulette, née en 1910.

Dans le Dictionnaire des Justes de France,  les détails de ce sauvetage sont relatés (Editions Yad Vashem et Fayard, 2003, page 175) 
« C'est à l'armée que David Millner, un Juif français né en 1911, rencontra Maurice Cluzeau qui avait le même âge que lui. Les deux Parisiens avaient été mobilisés en 1939. Jusqu'à la débâcle de juin 1940, ils combattirent côte à côte dans le 144e bataillon d'infanterie et devinrent de bons amis.
Démobilisés après la défaite française, ils rentrèrent tous deux à Paris, retrouvant famille et foyer. 
Maurice Cluzeau et sa femme étaient propriétaires d'une charcuterie et habitaient un bel appartement situé au dessus de la boutique. David, marié lui aussi, était père de deux bébés, l'un né en 1939, l'autre en 1940. 
A la différence de la majorité des Juifs de Paris, les Millner refusèrent de se soumettre au recensement de la population juive de la ville. Ils passèrent dans la clandestinité, ce qui les empêcha d'obtenir des cartes d'alimentation.
L'assistance de Maurice Cluzeau devint donc vitale pour eux.
Au milieu du mois de juillet 1942, lors de la grande rafle des Juifs de Paris, Maurice offrit à ses amis Millner l'hospitalité de son grand appartement dans le XIe arrondissement. Il savait pourtant qu'un hôtel voisin avait été réquisitionné par les Allemands pour y loger des soldats.
Malgré le danger de cette proximité, les Millner passèrent plusieurs mois dans l'appartement ; Maurice leur apportait du ravitaillement ainsi qu'à plusieurs parents et amis qui étaient venus les rejoindre.
En 1943, M. Cluzeau envoya la famille juive dans une retraite plus sûre, auprès de membres de sa famille à Salins-les-Bains dans le Jura, à proximité de la frontière suisse.
Toutefois madame Millner, enceinte de quatre mois, revint à Paris au début du mois d'avril 1944 pour consulter son gynécologue. Il lui apprit qu'elle devrait subir une césarienne, vers la fin du mois d'août.
Maurice Cluzeau, qui l'avait accompagnée chez le médecin, lui promit de l'aider et la recueillit à son domicile. Elle y vécut jusqu'au 18 août, où elle donna le jour à une petite fille qu'elle appela Victoire - l'enfant étant née pendant la Libération de Paris-. 
Après la guerre, les familles Cluzeau et Millner restèrent très liées, de longues années durant.
Le 2 août 1994, Yad Vashem a décerné à Maurice et Paulette Cluzeau le titre de Juste des Nations ». (Dossier 6216

Les personnes sauvées sont : David Millner (1911-1954), son épouse Raymonde Millner, née Karpoff (1915-1990), Claudine Lentzner (née Millner), Willy Millner et Victoire Millner (1944-1995).

La petite-fille de David Millner nous apporte des précisions sur ces éléments biographiques : « Ils ont également été cachés à Orléans et à Marseille. Les Cluzeau cachaient aussi un résistant allemand. Mon père est né le 19 juillet 1938 et le prénom de sa soeur Victoire a une histoire différente. En fait, elle devait s'appeler Murielle mais l'état civil lui refusa ce prénom en raison des événements de la Libération, et on l'appela Victoire. La société de David Millner se trouvait rue Valiton, à Clichy. »

Henri Millner, est décédé en 1954, et son épouse Beila Kirgner, née en 1889, vivra jusqu'en 1969. Quant à David Millner« il est mort jeune à 58 ans, en 1969, suite à un choc anaphylactique, lié à une allergie à la pénicilline » précise sa petite-fille.

Associé à Joinovici

Dans le livre Les patrons sous l'Occupation (Odile Jacob, 1995), de Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera, le nom de David Millner apparaît à la page 188 lorsque les auteurs évoquent les compromissions d'un autre ferrailleur : Joseph Joinovici (1905-1965).

Ce personnage trouble, agent double, bénéficia du certificat WWJ (Juif économiquement précieux) et d'un certificat d'aryanisation. 
Fournisseur des autorités allemandes, il fera fortune.
Lié à la Gestapo française de la rue Lauriston - "La Carlingue" -, financeur d'un réseau de policiers résistants, " Monsieur Joseph " sera condamné en 1947 à 4 milliards de francs, et en 1949 à cinq ans de prison puis en 1950 à 54 millions de francs pour infractions douanières. Il sera libéré en 1952.
L'Etat d'Israël lui refusa l'application de la loi du retour et l'extrade aux autorités françaises. Il meurt dans un dénuement total à Clichy, en 1975.

Joinovici, Bessarabien, arrivé en France en 1925, débuta comme manoeuvre, chez un cousin éloigné, ferrailleur à Clichy, Benjamin Krough.
Joseph Joinovici, portrait anthropométrique
" Joinovici gardera cette place pendant deux ans, mais, avec ou sans l'accord de son patron, il entamera aussi assez vite un parcours autonome en louant, dit un rapport de police, une "baraque vétuste dans la zone de Clichy " où,  
" nanti d'une poussette à bras, il ramassait de vieux vêtements, chiffons, ferraille, etc., en criant à tous vents sa raison sociale " rapportent les auteurs.
En 1927, Joinovici " s'émancipe professionnellement, se mettant définitivement à son compte, avant de fonder, officiellement du moins, sa première société, au capital de cinquante mille francs, en 1929, année où on le trouve inscrit au registre du commerce. Il a au début deux associés, David Bidnik et David Millner, mais on le retrouve bientôt seul maître de son entreprise, la Société de récupération des métaux, transformée un peu plus tard en Société de triage et de récupération ".