vendredi 21 août 2020

Les limites du droit antisémite : Françoise Raphaël reconnue non juive

Françoise Raphaël (1908-1997) était la petite-fille de Georges Leygues (1857-1933), président du Conseil en 1920-21 et de nombreuses fois ministre de la Marine, de l’Intérieur, de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, des Colonies.

D'ascendance mixte, avec deux grands parents juifs et n’ayant pas été convertie au catholicisme, elle n'avait pu fournir suffisamment de preuves de sa non-judéité. Sa mère, Thérèse Leygues, s'était mariée en 1907 avec le banquier Lucien Raphaël (1872-1943).

Aussi, le Commissariat Général aux Questions Juives (CGQJ), s'appuyant sur sa déclaration de judéité du 14 décembre 1941, la considéra comme juive au regard du  second Statut des juifs (loi du 2 juin 1941). 

Début 1943, Françoise Raphaël engagea une action devant le tribunal d'Agen qui bloquera l'aryanisation de ses biens, estimant qu'elle n'était pas juive. 

Cette juridiction de première instance s'était basée sur le fait qu'elle avait suivi des cours de catéchisme, en contradiction avec la loi du 2 juin 1941 qui désignait de "race juive" celui qui "pratiquait la religion juive".

Elle pourra ainsi faire appel devant le Conseil d'Etat contre l'avis du CGQJ en fournissant de nombreux témoignages d’ecclésiastiques prouvant qu'elle adhérait depuis longtemps à la religion catholique, au sens de la loi du 2 juin 1941 et antérieurement à la date du 25 juin 1940. 

Ce recours sera rejeté en septembre 1943 par Darquier de Pellepoix, le Commissaire Général aux Questions Juives. (CDJC-CCXI-151)


Finalement, dans un arrêt du 22 juin 1944, le président du contentieux du Conseil d’Etat, M. Edmond Rouchon-Mazerat, estimera que le Commissaire Général aux Questions Juives avait excédé ses pouvoirs. En conséquence Mlle Raphaël sera reconnue comme non juive. (CDJC-XVII-36 (156))

Dans son action, Françoise Raphaël a bénéficié du soutien répété de l’amiral Darlan, chef de cabinet de Leygues durant l’entre-deux guerres, au ministère de la Marine.

Le 4 avril 1942, celui qui est encore chef du gouvernement de Vichy jusqu’au 18 avril (il sera assassiné à Alger le 24 décembre 1942), écrit à Bernard Ménétrel, le secrétaire particulier de Pétain : 

« Mon cher Ménétrel, docteur et ami,

J’avais confié à votre talent le cas de Françoise Raphaël, petite-fille de Georges Leygues, demi-juive qui ne voudrait plus l’être du tout.

Le Maréchal a déjà obtenu gain de cause pour les trois frères de Françoise. Je voudrais bien donner cette dernière joie à Mme Leygues qui, ainsi qu’elle l’écrit, a bien été pour moi une seconde mère.

Allons, Ménétrel, allons mon ami, un bon coup de collier ». 

(Cité par Henri Amouroux : Les passions et les haines (Laffont 1981), p.194-195)


Françoise Raphaël est décédée dans sa 89e année, le 25 janvier 1997. La famille Raphaël avait fondé la banque franco-britannique Raphaël en 1886, absorbée en 1973 par la banque Wormser.



Autre cas avec Selma Mazaud, née Kartow, 49 ans, arrêtée le 24 juillet 1942, pour infraction à la 8e ordonnance et internée à Drancy. 

Une demande de libération est lancée par la Direction des Etrangers et des affaires juives de la préfecture de police, le 15 décembre, au seul motif qu'elle n'avait pas été déclarée par son mari en 1941. 

Or, « la déclaration de la femme mariée incombait au mari ; la délivrance de l'insigne juif étant subordonné à cette déclaration il n'y avait pas lieu d'interner la femme pour défaut de cet insigne ». 

En conséquence, Selma Mazaud sera libérée du camp de Drancy le 15 janvier 1943 contre l'avis de la Sipo-SD. (1)


(1) CDJC-XXva-161a Ensemble de documents du 4 décembre 1942 au 20 janvier 1943.



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