mercredi 29 mai 2019

Il y a 77 ans, l'étoile jaune...

Il y a 77 ans, le 29 mai 1942, la 8e ordonnance allemande imposait le port de l’étoile jaune aux Juifs, français et étrangers de zone occupée, dès l’âge de six ans. Face à la montée de l'antisémitisme en France, n’oublions pas ! 


Ce signe distinctif, entré en vigueur le dimanche 7 juin 1942, sera un rouage déterminant de la "Solution finale", avec la contribution active de la police de l'Etat français de Vichy, chargée de sa distribution dans les commissariats et les sous-préfectures.

L'étoile jaune, imposée par la 8e ordonnance 
allemande du 29 mai 1942, sera obligatoire
à compter du dimanche 7 juin 

L’étoile facilitera le repérage des « indésirables » , leur arrestation et leur déportation. 
Suivra, le 16 juillet 1942 la rafle du Vél d’Hiv… 
Imprimé à 400.000 exemplaires, à raison de trois étoiles par personne, ce signe distinctif était prévu pour 100.455 personnes (61.684 français et 38.591 étrangers).
Si Vichy s’opposa à l’extension de l’étoile en zone sud, après l’invasion allemande du 11 novembre 1942, la mention « Juif », tamponnée à l’encre rouge, sera imposée sur les papiers d’identité et cartes d’alimentation. Un dispositif déjà en vigueur à Paris depuis une ordonnance du préfet de police du 10 décembre 1941.
L’instauration de l’étoile jaune marque une nouvelle étape dans l’irréparable après le recensement de septembre 1940 qui permettra aux autorités françaises la création du fichier des Juifs, l'exclusion sociale par les statuts des Juifs d’octobre 1940 et de juin 1941, l'exclusion économique par la loi sur « l’aryanisation » des biens Juifs de juillet 1941, et le premier convoi de déportation du 27 mars 1942.

Dans ce contexte implacable d'élimination des Juifs du paysage français, des stratégies de survie seront élaborées : refus du recensement, passages clandestins de la ligne de démarcation, placements d'enfants, conversions, réseaux de sauvetage, actions individuelles des Justes.
L’étoile jaune, marqueur discriminatoire, deviendra aussi un enjeu de refus. 
Certains décideront de ne pas la porter en dépit des risques de dénonciation, comme le Pr Robert Debré, le poète Max Jacob ou la future journaliste Françoise Giroud.
Des gestes de solidarité apparaîtront aussi lors de l'entrée en vigueur de l'ordonnance allemande : une quarantaine de personnes seront arrêtées pour défaut d'étoile, ou pour avoir porté d'autres insignes, des étoiles fantaisistes avec des inscriptions comme "zazou", "swing", "potache", "papou ». 
Des protestations seront lancées par les autorités religieuses catholiques et protestantes, tandis que les dirigeants de l'Union générale des israélites de France (UGIF) appelaient à "porter l'insigne dignement et ostensiblement".
Replié en zone libre à Lyon, le Consistoire israélite ne réagit pas publiquement mais seulement en interne, fin juin 1942, dans l'espoir - qui sera déçu - d'un transfert inter-zones des familles juives françaises.
En vain, des demandes d’exemption seront formulées par la Fédération des amputés de guerre, l’Ordre des médecins et les Sapeurs-pompiers de Paris. 
Les mesures d’exemption, prévues par la réglementation allemande (pour plus de 9.800 étrangers issus de pays belligérants, alliés ou neutres), permettront à quelques uns d’en profiter : le 25 août 1942, une liste de seulement 26 exemptions sera publiée par la SS de Paris. (1)
Ces mesures individuelles concernaient notamment des proches du Maréchal Pétain : l’épouse de l’ambassadeur de Vichy à Paris, Jeanne de Brinon, née Franck ; la marquise de Chasseloup-Laubat, née Stern ; la comtesse d’Aramon, née Stern.
Pétain réclamera en vain, des exemptions pour la veuve de Bergsonl'épouse du général Billotte, née Catherine Nathan, et le pianiste Konstantinoff, chargé de la programmation musicale de Radio Paris. (2)
D’autres exemptions seront accordées pour « de pressants motifs économiques » à des cadres d’entreprises au service des allemands, à des agents des services de contre-espionnage, à des Juifs « travaillant avec la police anti-juive », à des intermédiaires chargés du pillage des oeuvres d’art, et à quelques rares cas suite à des demandes individuelles répondant aux critères dérogatoires (mariages mixtes).

Un seul sous-préfet, Louis Tuaillon, en poste à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques) écrira en mai 1943 un courrier courageux au chef de la Sûreté allemande à propos des Juifs évacués de la côte Basque «  mis dans l’obligation de porter l’étoile jaune et de se présenter chaque semaine à la mairie. » (3)
En l’absence d’instruction il refusa de suivre d’effet ces demandes, rappelant qu’aucun texte français n’a imposé l’étoile en zone sud. 
Nommé préfet du Lot-et-Garonne, puis à Limoges et Marseille, il sera arrêté par la Gestapo en juin 1944 et déporté à Neuengamme puis à Terezin. Libéré en mai 1945, réintégré dans la préfectorale à Metz, il meurt en 1947 d'une crise cardiaque.
Quant à Maurice Papon, alors secrétaire général de la préfecture de Gironde - condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité à dix ans de réclusion criminelle - il affirma à la 68e journée de son procès avoir accordé pas moins de 1.182 dérogations au port de l'étoile. La partie civile contestera ce chiffre, évoquant seulement 11 dérogations...
Aucun commentateur, aucun historien n'a mis en doute les affirmations de Papon, alors que seules les autorités allemandes disposaient du pouvoir d'exemption de l'étoile...


Thierry Noël-Guitelman

(1) Archives du CDJC : XXVa-164
(2) CDJC-XLIXa-91b
(3) Archives départementales Pyrenées-Atlantiques SDA 64

Ressources : USC Shoah Foundation
CNDP Centre national de documentation pédagogique

A lire  : Cédric Gruat et Cécile Leblanc : Amis des Juifs - Les résistants aux étoiles (Tirésias 2005)
Serge Klarsfeld : L'étoile des Juifs (L'Archipel 1992)
Léon Poliakov : L'Etoile jaune - La situation des Juifs en France sous l'Occupation (Grancher 1999)
Maurice Rajsfus : Opération étoile jaune (Le Cherche Midi, 2002)

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