mercredi 16 septembre 2020

Leguay - Bousquet : un parcours complice

Jean Leguay a vécu sa carrière de haut fonctionnaire dans l’ombre de celle de René Bousquet. Les deux hommes qui sont nés la même année, en 1909, auront un parcours complice. Co-responsables de la mort de milliers de juifs, ils mèneront après-guerre de brillantes carrières dans le privé…

Leguay, né le 29 novembre 1909 à Chevreuse, était le fils du président de la chambre des notaires de Rambouillet. Ancien élève des lycées Montaigne et Louis-le-Grand, diplômé de Sciences Po, docteur en droit et avocat, il débuta sa carrière dans la préfectorale en 1932. 
Le 3 octobre 1935, alors qu’il est secrétaire général des Basses-Alpes, il épouse Christine Janin, fille de Marie-Thérèse Nénot (soeur d’Antoinette Nénot, première épouse de Gontran Barry de Longchamps).
En 1936, il devient sous-préfet de Haute-Savoie. En juin 1939, il est nommé sous-préfet de Vitry-le-François (Marne), poste occupé depuis avril 1938 par René Bousquet, nommé secrétaire général à la préfecture de Châlons-sur-Marne, avec le soutien d’Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, frère de Maurice Sarraut, sénateur radical-socialiste de l’Aude et propriétaire de La Dépêche de Toulouse.
Du 16 novembre 1940, au 1er janvier 1942, Leguay lui succède au secrétariat général, Bousquet étant devenu préfet de la Marne, le plus jeune de France à 31 ans. 
Bousquet, né le 11 mai 1909 à Montauban, est aussi fils de notaire.
Diplômé de la faculté de droit de Toulouse, il débuta comme chef de cabinet du préfet de Tarn-et-Garonne. A 22 ans, en 1931, il devient chef de cabinet adjoint du sous-secrétariat d’Etat à l’Intérieur dans le premier gouvernement Laval. Sous le Front Populaire de 1936, il est chargé du fichier central de la Sûreté nationale.

Fin 1941, Leguay devient directeur de cabinet du préfet délégué en territoires occupés. 
En avril 1942,  lorsque Pierre Laval nomme Bousquet au secrétariat général à la Police, Leguay devient son délégué à Paris dans les territoires occupés et il est promu préfet hors cadre. Des rôles de premier plan pour la collaboration policière de Vichy avec l’occupant allemand.
Début juillet, Leguay participe avec Dannecker, chargé de la Question Juive à la Gestapo de Paris, à la commission préparatoire à la rafle du Vél d’Hiv. 

La déportation des enfants

Alors que Laval proposait dans un premier temps que les enfants de moins de 16 ans accompagnent leurs parents « lors de l’évacuation des familles juives de la zone non-occupée », le chef du gouvernement accepte finalement que les juifs de zone occupée et de zone libre, enfants compris, soient livrés…
Le 15 juillet 1942, Bousquet, sous l’autorité de Darquier de Pellepoix, Commissaire Général aux Questions Juives, donne officiellement l’ordre d’arrêter les juifs apatrides de région parisienne. 
Les 16 et 17 juillet, lors de la rafle du Vél'd’Hiv, près de 3000 policiers français arrêtent 13.152 juifs à Paris et banlieue.
Le 17 juillet, lors d’une réunion consacrée aux enfants arrêtés, Jean Leguay plaide « avec insistance » le principe de leur déportation, et leur transfert dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Plus de 800 enfants de moins de 6 ans seront finalement déportés dix à quinze jours après leurs parents…
Le 18 août Bousquet abaisse de 5 à 2 ans l’âge d’arrestation des enfants juifs en zone sud. 
Fin 1943, Pétain révoquera Bousquet et Leguay. En 20 mois à la tête de la police, ils auront participé à la déportation de 60.000 personnes de confession juive.
Préfet de l’Orne depuis janvier 1944, Leguay sera suspendu à la Libération et révoqué en 1945.
Il poursuivra une carrière dans le privé aux Etats-Unis. D’abord pour le groupement professionnel des industries d’art et de création, puis de 1950 à 1957 comme vice-président de la distribution des parfums Nina Ricci. Sa révocation sera annulée en 1955, et il sera réintégré dans le corps préfectoral en 1957.
De 1958 à 1970 il sera directeur général du groupe Warner-Lambert Co, un conglomérat industriel pharmaceutique dont il deviendra président international jusqu’en 1974. En 1975, il prend sa retraite après avoir présidé les laboratoires Substantia à Suresnes. 
Inculpé de crimes contre l’humanité en 1979 pour son rôle dans l’organisation de la rafle du Vél'd’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, il meurt avant l’ouverture d’un procès le 2 juillet 1989. 

Quant à René Bousquet, il comparaîtra en 1949 devant la Haute-Cour mais sera acquitté, à l’issue d’un procès expédié en trois jours. 
Ecarté de la fonction publique il réussira à faire une brillante carrière d’homme d’affaires sans avoir à s’exiler à l’étranger. On le retrouve à la Banque d’Indochine, et au conseil d’administration du quotidien La Dépêche du Midi, qu’il dirige aux côtés de la veuve de Jean Baylet, décédé en 1959. 
Une décision du Conseil d’Etat lui permet en 1957, de retrouver sa Légion d’Honneur. Il est amnistié en 1958. Ami de François Mitterrand depuis le début des années 50, il sera même candidat de l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance) aux élections législatives dans la Marne. 
Jusqu’en 1978, il siège au conseil d’administration d’UTA, compagnie aérienne dirigée par Antoine Veil, qui obtiendra sa démission.

En 1986, une instruction judiciaire est lancée contre Bousquet mais François Mitterrand, devenu Président de la République, interviendra pour ralentir la procédure. 
La Cour de cassation tranche en faveur d’un procès en cour d’assises, suite à l’acquittement de 1949, les partisans d’un nouveau procès invoquant une nouvelle infraction pénale, le crime contre l’humanité.
En 1989, une plainte en ce sens est déposée par trois associations suite à la déportation de 194 enfants.
Bousquet sera inculpé en 1991 mais l’instruction sera close et il n’y aura jamais de procès car le 8 juin 1993, Bousquet est assassiné à son domicile par Christian Didier qui, condamné à dix ans de prison, sera libéré en 2000.
                                                                                                                                          T. N-G


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