vendredi 19 août 2016

26 août 1942 : la grande rafle de la zone libre

La rafle du Vél d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, étant devenue le symbole de la collaboration active de l’Etat français de Vichy dans la politique allemande d’extermination des Juifs, la grande rafle du 26 août 1942, s’est retrouvée occultée par la mémoire collective.
Elle marque pourtant l’extension de la chasse aux Juifs étrangers dans les 40 départements de la zone libre, considérée jusqu’alors comme un refuge.
En 1983, Serge Klarsfeld, dans son livre " Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la Solution Finale de la Question Juive en France 1942 ", publié chez Fayard, consacre de nombreuses pages à la suite de ce terrible été.
74 ans après les faits, alors que l’antisémitisme reste une constante inquiétante de la société française, il n’est pas inutile de rappeler la chronologie de ces faits insoutenables.

Heinz Röthke (1912-1966), chef du service des Affaires juives de la Gestapo, définit dès le 28 juillet 1942 la feuille de route des prochaines déportations de juifs vers l'Allemagne : treize convois en août et treize en septembre.
De son côté, le gouvernement de Vichy s’était déclaré prêt à livrer trois à quatre mille Juifs internés dans les camps de la zone libre avant la mi-août. Et prêt aussi à arrêter tous les Juifs apatrides réfugiés en zone libre. 
Au total, allemands et français conviennent de livrer 32.000 Juifs...
René Bousquet et Pierre Laval

  • Le 31 juillet, au conseil des ministres, Pierre Laval (1883-1945), chef du gouvernement, précise l'accord passé entre les deux polices, soulignant que "le problème des enfants est réglé ". Du 8 au 12 août ils ne seront pas séparés de leurs parents… Mais pas un mot sur les détails du programme de livraison : transfert de 3.000 Juifs d'ici le 10 août, arrestations massives en zone libre et transfert en zone occupée.
  • Le 3 août, le haut fonctionnaire Jean Leguay (1909-1989), seul négociateur et organisateur des convois, rassure le préfet régional d'Orléans chargé de séparer plus de 2.000 mères de leurs enfants : " Les enfants ne doivent pas partir dans les mêmes convois que les parents ; ils seront gardés dans un camp soit à Pithiviers, soit à Beaune-la-Rolande ". Et ces " trains d'enfants seront mis en route dans la deuxième quinzaine d'août ". 
Mais pour les convois des 3, 5 et 7 août, Leguay sait que les enfants seront séparés de leurs mères. Elles seront 2000 à être déportées à ces dates...
Toujours le 3 août, Laval et René Bousquet (1909-1993), secrétaire général de la police de Vichy, confirment la « livraison » des Juifs apatrides internés en zone libre, entre le 8 et le 15 août, un "coup de filet éclair" permettant d'arrêter les autres Juifs apatrides après le 20 août.
Des protestations sont venues d'organisations humanitaires américaines et du Nonce apostolique, qui représente le Pape, mais rien ne peut arrêter l’engrenage infernal...

La situation des enfants s'aggrave. Entre le 13 et le 17 août, plus de 3.000 quittent les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, encadrés par la police francaise, pour Drancy. Serge Klarsfeld détaille le mécanisme de la déportation en masse des enfants, dans son «  Vichy-Auschwitz », pages 332 à 335.

Les préparatifs de la grande rafle de la zone libre s'affinent. 
  • Le 18 août les préfets sont informés de la date du 26 août à garder "rigoureusement secrète".
Le cadre des exemptions prévues pour la grande rafle de la zone libre
Bousquet supprime 11 exemptions prévues pour n'en conserver que 6, craignant des résultats insuffisants.
Restent exemptés : les vieillards de plus de 60 ans, les intransportables, les femmes enceintes, les parents d'enfants de moins de 2 ans, ceux qui ont un conjoint ou un enfant français.
Désormais, les enfants de moins de 18 ans doivent partir avec leurs parents.
Les autorités religieuses vont réagir, suite aux articles de presse de la zone occupée évoquant la déportation de 4.000 juifs apatrides " astreints à un travail utile ". 

  • Le 19 août, le cardinal Gerlier, qui à Lyon représente les évêques de la zone libre, écrit au Maréchal Pétain pour que, face aux nouvelles mesures anti-juives, " soient épargnées, s'il est possible, à ces malheureux, les souffrances qui en accablent déjà en si grand nombre ".
Le lendemain, le pasteur Boegner adresse à son tour une missive à Pétain en évoquant la livraison des Juifs et dénonce les " conditions d'inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies ". Il conclue : " Je vous supplie, Monsieur le Maréchal, d'imposer des mesures indispensables pour que la France ne s'inflige pas à elle-même une défaite morale dont le poids serait incalculable ".
Mgr Saliège, Archevêque de Toulouse

  • Le dimanche 23 août, l'Archevêque de Toulouse, Mgr Jules Saliège (1870-1956), fait lire publiquement, malgré l'interdiction du préfet de Haute-Garonne, sa lettre pastorale dans les églises du diocèse, accusant les autorités françaises de traiter les Juifs comme "un vil troupeau" : 
La lettre pastorale de Mgr Saliège

Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n'est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et ces mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d'autres. Un chrétien ne peut l'oublier".
Mgr Saliège, nommé Compagnon de la Libération deviendra également Juste devant les Nations en 1969.


L'interdiction préfectorale visant Mgr Saliège
Le lendemain, le Nonce rencontre Laval qui confirme les prochains contingents de 12 à 13.000 Juifs, se vantant d'avoir obtenu d’Hitler que les enfants suivent leurs parents. Et d'évoquer le regroupement de tout les Juifs d'Europe en une seule région...



Les consignes destinées aux gendarmeries pour le "ramassage" des Juifs étrangers
26 août à l'aube...
Hommage à Mgr Saliège, à la synagogue Palaprat à Toulouse


  • Le 25 août, le Consistoire central israélite, averti de l'imminence de la grande rafle de la zone libre, rédige une motion de protestation contre les déportations, destinée à être remise par le Grand Rabbin Kaplan à Laval. Sur plus de trois feuillets, elle commence ainsi :
    Le Consistoire central des Israélites de France, conscient du devoir de solidarité religieuse qui lui incombe, exprime au Chef du Gouvernement, l'indignation que lui inspire la décision prise par le Gouvernement Français de livrer au Gouvernement Allemand des milliers d'étrangers de diverses nationalités, mais tous de religion israélite, résidant en zone non occupée et qui s'étaient réfugiés en France avant la guerre, pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes ". 
Dénonçant la volonté d'extermination elle souligne que Vichy est au courant du sort réel des déportés.
  • Au matin du 26 août, en zone occupée, le 24e convoi qui quitte la gare du Bourget compte 1.002 Juifs, dont 365 ont moins de 15 ans. Destination Auschwitz...

En zone libre, la grande rafle est lancée depuis 4-5 heures du matin...
Le 28 août, le pointage du ministère de l'intérieur fera état de 6.584 arrestations...
Les préfets recevront des le 27 puis le 31 août des consignes rappelant que les enfants de 2 à 16 ans doivent être arrêtés avec leurs parents.

  • Le 30 août, Bousquet reproche aux préfets l'écart entre les Juifs recensés et ceux qui ont été arrêtés. 
Aussitôt, de nouvelles opérations policières seront intensifiées entraînant l'arrestation de 1.041 Juifs regroupés au camp de Rivesaltes avant leur transfert à Drancy.

L'évêque de Montauban, Mgr Pierre-Marie Théas (1894-1977), ville où est né Bousquet, fera lire dans toutes les églises de son diocèse ce dimanche 30 août une lettre pastorale dénonçant la rafle, les mesures antisémites prises étant " un mépris de la dignité humaine, une violation des droits les plus sacrés de la personne et de la famille ".

Le 30 août encore, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat, signent une lettre indignée  au Grand Rabbin de France :
Devant les mesures qui viennent d'être infligées en zone libre comme en zone occupée aux Israélites proscrits de leur pays qui avaient trouvé asile dans le nôtre, devant la barbarie du traitement que subissent leurs enfants, c'est de l'horreur qu'on éprouve ".

Huit jours plus tard, sept convois seront organisés avec 5.259 Juifs arrêtés en zone libre.
Ajoutés au 4.613 Juifs de zone libre des cinq convois entre le 7 et le 25 août, ce sont donc pas moins de 9.872 Juifs de zone libre qui ont été remis par Vichy, en moins d’un mois.
Ces déportations depuis la zone Sud de la France furent les seules en Europe depuis un territoire qui n’était pas occupé par les troupes allemandes.

Dans l'Ain, " ces opérations se sont déroulées
dans l'ensemble sans incidents graves "


700 JUIFS SAUVES PAR LE RABBIN ROBERT MEYERS
Robert Meyers (1898-1943).
(Photo Yad Vashem)

A Annecy (Haute-Savoie), le rabbin Robert Meyers, 44 ans, aumônier des Groupes de Travailleurs Etrangers, est parvenu à se procurer la liste des 700 Juifs étrangers du département dont l'arrestation est prévue dans la nuit du 25 au 26 août 1942. 
Avec sa femme Suzanne-Esther, il réussira à prévenir la plupart des personnes et la gendarmerie n'arrêtera qu'une quarantaine de Juifs étrangers.
Beaucoup seront exfiltrés en Suisse et l'évêque d'Annecy, Mgr Auguste Cesbron fera cacher de nombreuses familles dans des couvents.
Le rabbin sera convoqué par le préfet et en octobre il se voit refusé l'accès à la prison d'Annemasse où il rend souvent visite aux internés. Alors qu'il proteste auprès de la préfecture, il est menacé d'arrestation. La Gestapo l'arrêtera le 28 décembre 1942 avec Suzanne-Esther et ils seront déportés par le convoi n°48 dans la nuit du 12 au 13 février 1943.
Dans " L'Eglise de France face à la persécution des Juifs  (CNRS, 2012) : l'action du rabbin Meyers à Annecy (Books Google) p. 353, Sylvie Bernay souligne qu'il s'agit de l'action de sauvetage la plus spectaculaire lors de la rafle du 26 août 1942.
Lire aussi, à propos du rabbin Meyers "Les interventions de Léo Israelowicz"
Les deux fils du rabbin, Marcel et Alexis, passés en Suisse, seront sauvés. Jean-Pierre Meyers, petit-fils du rabbin, est l'époux de Françoise Bettencourt-Meyers.

Ressources documentaires 

Le site Jewishtraces

Le blog de l'historien-rabbin Alain Michel 

Mgr Jules Saliège Compagnon de la Libération

AKADEM : les rafles en France

Le cas particulier de la Corse (Corse-Matin du 4 juillet 2013)

1 commentaire:

Claude Mercutio a dit…

Documents exceptionnels et instructifs ! J'ai corrigé une affirmation erronnée disant que les Juifs Allemands, Autrichiens et Polonais ne furent pas arrêtés les 16 et 17/07/1942. Ils l'étaient depuis longtems et se trouvaient à ¨Pithiviers, Baune la Rolande ou ailleurs et furent "transférés" à Drancy pour être dépportés. Ce sont les Juifs Français "étoilés" de fraîche date qu'on arrêtait ! L'ayant vécu avant mes 7 ans, je sais de quoi je parle ! Ma famille gréco-turque transférée à Drancy m'y a rejoint. Ils sont partis par le convoi N° 45 du 11/11/1942 et ne sont pas revenus. 2 jours plus tôt, on a déporté des Juifs Aschkénazes par le convoi N° 44. J'eus une chance incroyable ...