dimanche 4 mars 2012

Béatrice de Camondo, la cavalière à l’étoile

Béatrice de Camondo, et son frère
Nissim, mort dans un combat
aérien en 1917

Béatrice de Camondo, la fille du comte Moïse de Camondo - collectionneur d'art et financier célèbre (1860-1935) - portait son étoile jaune sur sa veste de cavalière et parcourait tous les jours les allées du bois de Boulogne. 
Fine écuyère, elle continuait de participer à des concours hippiques avec des officiers allemands.
« Plus israélite que juive, foncièrement française et aristocrate à sa manière, sure d’elle et assez snob, elle se sentait protégée par l’ombre de son frère mort pour la France. Comme beaucoup, elle croyait que les juifs étrangers étaient visés prioritairement sinon exclusivement. On disait aussi qu’elle avait noué des relations utiles dans ces manèges fréquentés par des officiers junkers. On disait même qu’elle avait participé avant-guerre à des chasses à courre avec Goering et que cela l’immunisait contre le sort commun. Du moins en était-elle persuadée », écrit Pierre Assouline dans « Le dernier des Camondo ». (1)
Bien que convertie au catholicisme début 1942, Béatrice sera arrêtée avec sa fille Fanny, 22 ans, le 5 décembre 1942, chez elle, à Neuilly.
Son époux, Léon Reinach (dont elle venait de divorcer le 26 octobre 1942), et leur fils Bertrand, 19 ans, seront également arrêtés le 12 décembre 1942, à Sentein dans l'Ariège, trahis par celui qui devait les faire passer en Espagne.
Ils seront tous internés à Drancy où Béatrice sera un temps responsable du service des nourissons du camp.
En souvenir de la famille
Léon, Bertrand et Fanny seront déportés pour Auschwitz par le convoi n° 62 du 25 novembre 1943.
Béatrice partira par le convoi n° 69 du 7 mars 1944. Elle mourra le 4 janvier 1945, deux semaines avant la libération du camp.
Ainsi disparaissait une famille entière dont le nom restera associé à l'art : le legs au musée du Louvre d'Isaac de Camondo, cousin de Moïse, comptait une cinquantaine de toiles impressionnistes, dont le célèbre " Joueur de fifre " de Manet.
En août 1941, Léon Reinach, adressera une lettre de protestation au directeur des musées nationaux, où il évoque le tableau représentant Irène de Camondo, la mère de son épouse Béatrice, peint par Renoir, " La petite fille au ruban bleu ", contenu dans une caisse saisie en vertu de la législation sur les biens juifs.
Il rappelait tout ce que sa famille avait fait en faveur du patrimoine français et réclamait la " restitution et l'assurance que nos biens mobiliers seront à l'avenir respectés "... (2)
Jérôme Carcopino,  secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse, transmettra la requête à Xavier Vallat, Commissaire général aux questions juives, en espérant une " suite favorable ". 
Celui-ci adressera un courrier à la Délégation française dans les territoires occupés où il évoquait l'occupation du domicile des Reinach par les forces allemandes. Il soulignait que Mme Reinach, " obtint des autorités occupantes l'autorisation de se rendre à Paris pour y récupérer des objets personnels ". C'est là qu'elle " constata que la bibliothèque de son mari était en partance pour l'Allemagne. M. Reinach ne pouvant plus que se livrer à des travaux intellectuels, serait heureux que la bibliothèque lui fut rendue ".
Dans une lettre du 31 mars 1943, Georges Duhamel, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, interviendra auprès de Fernand de Brinon, pour que soit adoucit le sort de la famille Reinach. 
Brinon, transmettra le courrier à Helmuth Knochen de la Sipo-SD.
Léon Reinach sera considéré comme " un Juif typique et insolent " par les différents services des autorités allemandes qui proposèrent, en guise de réponse, sa déportation. (3)
Aujourd'hui, à Paris, le musée Nissim de Camondo (du nom du frère de Béatrice, mort dans un combat aérien en 1917) présente une exceptionnelle collection d'art du XVIIIe siècle.
Inauguré en 1936, tout son contenu légué aux Arts décoratifs et à l’Etat, avait été transféré au château de Valencay, avec d'autres collections (des Rothschild et David-Weil), où tout failli disparaître dans l'incendie allumé par la division SS "Das Reich".
Les Reinach donnèrent aussi à l'Institut de France la Villa grecque Kérylos, à Beaulieu-sur-Mer (Alpes Maritimes), construite par Théodore Reinach (1860-1928), père de Léon.
Irène de Camondo qui avait divorcé en 1902, s'était convertie au catholicisme pour épouser le Comte Charles Sampieri, d'origine Italienne, en charge des écuries Camondo.
Elle ne sera pas inquiétée, protégée par son nom italien et sa conversion. Elle hérita de sa fille Béatrice et de la fortune des Camondo qu'elle dilapida dans les casinos de la Côte d’Azur. Elle meurt en 1963 à 91 ans.

(1) Pierre Assouline : " Le dernier des Camondo " (Gallimard, 1997, p. 314).
Philippe Erlanger : " Notes sur l'histoire des Camondo " (Archives Paribas, 1972)
Jean Cassou : " Le pillage par les Allemands des oeuvres d'art et des bibliothèques appartenant à des Juifs en France " (Editions du Centre, 1947).
(2) CDJC-CCXI-39_002 Lettre du 10 août 1941 de Léon Reinach, et lettre du 27 août 1941 du secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse, Jérôme Carcopino à Xavier Vallat, et la demande du Commissaire général aux questions juives, du 18 novembre 1941,  à la Délégation française dans les territoires occupés.
(3) CDJC-XLVI-484/490 Ensemble de sept documents, datés du 24 mars 1943 au 15 mai 1943, concernant Léon Reinach.

Aucun commentaire: