mardi 1 avril 2014

Disparition de Nita Raya à 99 ans : une grande artiste oubliée

Nita Raya (studio Harcourt)

Nita Raya est décédée le 25 mars à Trégastel, dans sa 99e année. Elle a été inhumée le 30 mars, dans la stricte intimité familiale au cimetière de Kermaria-Sulard (Côtes d'Armor).

Retour sur la carrière exceptionnelle de la jeune juive moldave sauvée de la déportation par son compagnon Maurice Chevalier.

Nita Raya, de son vrai nom Raïssa Beloff-Jerkovitch, est née le 15 octobre 1915 à Kichinev, en Moldavie.
Danseuse, meneuse de revue, chanteuse et actrice, elle a été la compagne de l'illustre Maurice Chevalier (1888-1972) à partir de 1935.
Arrivée en France en 1926, à onze ans, son père était à la fois tailleur et chauffeur de taxi.
Très douée, Nita suivra les cours de danse de la russe Olga Préobrajenska, et débuta au cabaret "Le bal Tabarin" avec Viviane Romance comme partenaire dans un spectacle de French Cancan. Un accident l'obligera à laisser tomber la danse pour s'orienter vers les cours de comédie de René Simon.
Enchaînant les petits rôles de figuration, elle débute au cinéma en 1931 dans "Olivier se marie", un moyen-métrage de Maurice de Canonge.
Au théâtre Hébertot, elle participe le 22 décembre 1934 à la création de "Marie Galante" de Jacques Deval.
Elle n'a que 19 ans, elle rencontre Chevalier qui rentre d'Hollywood.
Le chanteur-vedette la découvre dans un petit rôle de "Broadway", une pièce américaine montée au Théâtre de la Madeleine dans laquelle Marlène Dietrich débuta. (1)
Maurice Chevalier et son célèbre canotier
La revue "Lambeth Walk" au Casino de Paris
Chevalier lui apprendra à chanter et il la fera débuter au Petit-Casino, puis à Bobino, l'Européen et l'ABC.
Après "Au son des guitares" en 1936, de Jean-Pierre Ducis, avec Tino Rossi (musique de Vincent Scotto), elle perce véritablement dans "Ignace" le plus gros succès de l'année 1937, un film de Pierre Colombier, avec Fernandel, où elle chante "La Mexicana" aux côtés d'Andrex.
Avec Fernandel dans "Ignace" (1937)
Elle tourne avec les plus grands cinéastes de l'époque comme Abel Gance, Christian-Jaque, Marcel L’Herbier, Pierre Colombier.
En 1938, Maurice Chevalier joue aux côtés de Nita Raya dans la revue "Lambeth Walk" au Casino de Paris.
Toujours en 1938, elle tourne "Chipée" de Roger Goupillières, mais surtout "Bécassine" de Pierre Caron (scénario de Jean Nohain), avec Max Dearly et Paulette Dubost.
 Un morceau exceptionnel !
Le film sortira très discrètement le 3 septembre 1940, éclipsé par la déclaration de guerre. Outre la judéité de Nita Raya, dans le collimateur de l'occupant allemand, des députés bretons essayèrent de faire interdire le film au motif qu'il donnait une mauvaise image de la Bretagne...


Avec Raimu dans "Les Rois du sport" (1937)
Les vedettes Tino Rossi, Fernandel, Raimu, Andrex, Charpin, Saturnin Fabre, Madeleine Renaud, Alice Tissot, Edwige Feuillère, Gaby Morlay, joueront à ses côtés. (voir des photos et sa filmographie dans l'encyclopédie en ligne Notre cinéma et dans Actrices de France)
La guerre viendra mettre un terme provisoire à ce début de carrière très prometteur.

Cachée près de Cannes
 
Nita Raya tombant sous le coup des lois anti-juives, Chevalier la cache dans sa villa "La Louque", à La Bocca, près de Cannes, jusqu'à la réquisition des lieux par l'aviation française.
Elle se réfugie alors en Dordogne, à Mauzac, dans la propriété des danseurs Desha Delteil et son mari Jean Myrio.
Lorsque l'armée allemande envahit la zone libre le 11 novembre 1942, Chevalier fait venir les parents de Nita Raya et leur fournit de faux papiers.

Un faux certificat...
 
Grâce à un faux certificat rédigé en roumain, Nita Raya échappera à la déportation. Le document, reconnu authentique, établissait qu’elle et sa mère Anna n'étaient pas juives mais catholiques orthodoxes.
Le 21 mars 1944, le directeur du Statut des personnes du Commissariat Général aux Questions Juives lui délivre une lettre de présomption de qualité non-juive. L’enquête avait été lancée en août 1943 par la redoutable section d'enquêtes et de contrôle du Commissariat général aux questions juives, la SEC. (2)
En 1946, Chevalier se sépare de Nita Raya et cette année là, il évoquera son idylle amoureuse dans son livre "Ma route et mes chansons" (volume 3) paru chez Julliard.

Une séparation due sans doute à la courte relation de Nita avec Francis Lopez, le compositeur basque qui proposait aussi des chansons à Maurice Chevalier.
Lopez écrira dans ses mémoires :

« Mi-femme enfant, mi-femme fatale, bien plus jeune que Maurice, qui portait toujours beau malgré sa cinquantaine avancée, elle était la juste récompense d’une star internationale ».
"Une machine à faire rêver" écrira Francis Lopez dans ses mémoires
« Jambes interminables, hanches rondes et poitrine haute, Nita Raya nous regardait de ses yeux noirs, avec un air soumis qui laissait croire à chaque homme qu’il pouvait être le seul, l’unique…. Pourtant, elle n’aguichait pas.  Simplement, elle était une machine à faire rêver.  Involontairement, ce qui est pire.  Et, c’est pour ça qu’elle devint la vedette des Folies-Bergère ».  (3)  

1946 : Nita Raya chante



A défaut de retrouver des rôles dans le cinéma d'après-guerre, Nita Raya renoue avec l'opérette et la chanson. En 1945 avec Francis Lopez dans "Heureux comme un roi". En 1948, elle enregistre "La cane du Canada" avec le grand orchestre de Raymond Legrand.

Mariée en 1949 à Joseph Akcelrod

A 34 ans, en 1949, Nita Raya épouse Joseph Akcelrod, un industriel de 35 ans.
Le couple aura un enfant, Patrick, né en 1951, mais un divorce les séparera en 1954.
Cette année là, Nita Raya joue son dernier rôle au cinéma dans "La rafle est pour ce soir" de Maurice Dekobra où elle donne la réplique à Armand Mestral.
Sa carrière s'essouffle et ses interviews deviennent rares. Dans "Samedi soir" du 24 décembre 1954, elle répond aux questions de Monique Galy et évoque ses origines roumaines. Après le grand écran, elle revient à sa première passion, la danse et on la retrouve en 1955 comme meneuse de revue aux Folies-Bergère.

Elle chante et écrit pour Piaf

Complicité avec Edith Piaf (photo Presse Magazine)
Dans les années soixante, Nita Raya devient auteure de chansons et s'affilie à la SACEM. Elle écrit pour les éditions Méridian et Concorde jusqu'en 1966.
Nita Raya comptera particulièrement dans la fin de carrière d'Edith Piaf, née comme elle en 1915. Non seulement elle chante en première partie de ses concerts mais surtout elle lui écrira deux chansons inoubliables : "Je m'imagine" en 1960, (musique de Marguerite Monnot), et "Toujours aimer" en 1961, (musique de Charles Dumont). Elle est aussi l'auteure de "Pourquoi je l'aime" chantée par Théo Sarapo, le dernier mari de Piaf.
Le Télégramme 24 janvier 2012
En 1966, l'annonce du décès de Nita Raya sera faite par erreur !
Une fausse nouvelle mentionnée par Miguel Azzopardi dans "Le Temps des vamps 1915-1965, cinquante ans de sex appeal" paru chez L'Harmattan en 1997, et par Régine dans ses mémoires, "Mes P'tits papiers", parues en 2002 chez Pauvert.
Nita Raya a vécu ses dernières années entre Trégastel et Perros-Guirec, en Bretagne, dans une maison de retraite médicalisée. Le journal local, "Le Télégramme" la montrait toute pimpante aux côtés du maire, lors d'un banquet d'anciens donné en janvier 2012.
Son fils, devenu un grand industriel (il est le PDG de la société d'armement Manurhin), confiait quelques temps avant sa disparition, qu'elle était "fatiguée" et "qu'elle a de plus en plus de mal à reconnaître ses proches".
Désormais, Nita Raya appartient à l'Histoire de la scène et du cinéma.
Depuis le décès d'Yvette Lebon, à 103 ans, le 28 juillet 2014, la doyenne des actrices est Gisèle Casadesus, qui a fêté ses 100 ans le 14 juin 2015. 

(1) Maurice Chevalier, « les tempes grises », in Ma route et mes chansons volume 3, (Mémoires), Ed. Julliard, Paris, 1946.
« Elle y jouait un rôle de second plan avec tant de simplicité et elle était d’une si juvénile beauté que mon intérêt masculin, un peu trop au repos depuis mon retour d’Amérique, se mit à rebondir. Elle avait dix-neuf ans. Très belle, brune, superbe plastique et dominant toute cette féminité, une grâce, une gentillesse naturelle qu’agrémentait encore une intelligence peu commune chez un semblable « poulet de grains ». Un e sorte de complexe d’infériorité que je lui sentis dès notre entrée en conversation la rapprocha encore plus de moi et nos premières entrevues, toutes platoniques, mais si fraiches et agréables, m’apprirent que mon cœur, si largement mis à contribution au cours de mon existence amoureuse, avait, malgré tout, gardé un coin tout neuf pour un sentiment d’une qualité encore inconnue. Elle respirait la vraie jeunesse. L’atmosphère des coulisses n’avait pas encore eu le temps de la flétrir et l’avait seulement déniaisée. Elle était une surprise, une apparition dans ma vie…Je n’avais jamais rencontré dans le monde artistique, un alliage si inconcevable de beauté, d’esprit et de modestie ».
(2) CDJC-XXXVI-83 Lettre du 14 mars 1944 de M. Boutmy, directeur du Statut des personnes, au directeur de la Section d'enquête et de contrôle.
CDJC-LXXXIX-126 Note du 20 août 1943 du directeur de la SEC - Section d'enquête et de contrôle en zone occupée - adressée au directeur de la SEC de Vichy).

(3) Francis Lopez, Flamenco, la gloire et les larmes, Presses de la Cité, Paris, 1987, p. 91


> La disparition de Nita Raya relayée par les médias :

http://www.ouest-france.fr/necrologie-nita-raya-danseuse-chanteuse-actrice-3305741


http://www.letelegramme.fr/cotesarmor/nita-raya-l-ex-compagne-de-maurice-chevalier-s-est-eteinte-02-04-2015-10580038.php


http://www.cineartistes.com/fiche-Nita+Raya.html

http://raissabeloff.blogspot.fr/2015/04/edith-piaf-et-nita-raya-lhistoire-de.html

mercredi 26 mars 2014

27 mars 1942 : 72 ans après le premier convoi de déportés Juifs

Wagon mémorial, gare de Langeais (Indre-et-Loire), sous le ciel bleu : 40 hommes, 8 chevaux en long (photo Thierry Noël)
C'était il y a soixante-douze ans, le 27 mars 1942 : le premier convoi de déportés Juifs partait de la gare du Bourget, avec 565 internés de Drancy.
Ce "transport" était constitué de wagons de 3e classe (les wagons à bestiaux apparaîtront avec le deuxième convoi du 5 juin 1942).
Il est 17 h lorsque ce train spécial n° 767 s'ébranle. Arrivé à Compiègne, il fait une halte de plusieurs heures...
Dans la nuit monteront 547 autres hommes, dont une majorité des 743 « notables », raflés en décembre 1941, enfermés depuis au camp de Royallieu (parmi eux René Blum, frère de Léon Blum) et des Juifs étrangers. Au total, 1112 hommes - dont un enfant - qui n'avaient commis pour seul crime que d'être nés Juifs.
Destination Auschwitz-Birkenau. Un voyage de trois jours et trois nuits.
On ne comptera que seulement 19 survivants en 1945.
C'était le premier des 80 convois qui conduirent 62.900 personnes vers les camps de la mort. Le dernier partira de Drancy le 17 août 1944, avec 51 personnes.
Hier, les horreurs du régime nazi. Aujourd'hui, toujours la même haine et un antisémitisme qui va croissant...

dimanche 16 mars 2014

Femmes d'église et sauvetage des Juifs

N'écoutant que leur coeur, plusieurs religieuses contribuèrent au sauvetage de Juifs, souvent en dépit des autorités hiérarchiques de l'Eglise.
Les religieuses de Tours ont participé activement à ces actions.

Soeur Sainte-Monique
Ainsi, Soeur Sainte-Monique, (née Geneviève Cadart 1905-1982), sauva le petit Georges Gross, trois ans, confié aux Soeurs Augustines Hospitalières de la clinique Saint-Gatien.

Mozek Aron Gross arrive en France en 1934. Il est originaire de Pologne. En 1936, il fait venir son épouse, Sura et son fils, Jacques (né en 1933). Deux autres fils naissent : Claude, en 36, et Georges en 39.
A la déclaration  de guerre, tous quittent Paris pour rejoindre leur famille à Tours. Puis des paysans les cachent dans la région. 
En 1940, M. Gross s’engage comme volontaire dans l’armée française.  En 1943, suite à une dénonciation, Mme Gross et Jacques et Claude sont déportés sans retour.  
Le petit Georges a échappé à l’arrestation car il est hospitalisé à Tours (pour une ostéomyélite). La maison de santé de Saint Gatien est dirigée par les sœurs religieuses Augustines. Elle est réquisitionnée par l’armée d’occupation.
Celui qu’on appelle simplement Jojo est soigné et choyé par sœur Monique. Il y reste caché jusqu’en juillet 1944.
Son père, prisonnier au stalag, est renvoyé en France en 1943 mais il ne retrouve pas sa famille. Lui aussi, dénoncé, est déporté à Auschwitz en juin 1943. Sans retour.
Georges, après la guerre, a fait des séjours dans différents hôpitaux et maisons d’enfants. En 1961, il a repris contact avec Sœur Sainte Monique.
L'Institut Yad Vashem Jérusalem a décerné le titre de Juste parmi les Nations à Geneviève Cadart, sœur Sainte Monique, à titre posthume, le 13 décembre 2011.
Sylvie Bernay, dans "L'Eglise de France face à la persécution des Juifs", (CNRS Editions, avril 2012) relate (p. 224) l’action des religieuses de la Présentation de Tours qui tenaient l'hospice de Beaune-la-Rolande, où trois ou quatre soeurs s'occupaient de la lingerie et de l'infirmerie du camp, installées dans la cité. 
(Sur le camp de Beaune-la-Rolande, voir le site du CERCIL, Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret et la déportation juive)
Soeur Marie-Raphaël contribua à faire évader des prisonniers. Afin de créer des opportunités pour que les internés restent au dortoir au lieu d'aller au réfectoire, elle provoquait des hyperthermies. Le soir, le camp étant moins surveillé, la religieuse faisait partir les prisonniers au fond du camp, où ils étaient pris en charge par un prêtre d'Orléans qui leur faisait passer la ligne de démarcation.
Les activités clandestines de soeur Marie-Raphaël seront repérées et le maire de Beaune-la-Rolande exigea son départ en avril 1943.
Annette Monod, l'assistante sociale protestante de la Croix-Rouge auprès des camps du Loiret, attestera qu'elle reçut de l'aide des religieuses de la même congrégation, lorsque les enfants du Vel d'Hiv seront internés dans les camps du Loiret, pendant l'été 1942.
Sylvie Bernay évoque également (p. 499) l’action du « réseau Bretonneau », trop peu explorée par les historiens : 
Soeur Dominique Regli, archiviste des Dominicaines de la Présentation de Tours, donna en 2004 un témoignage oral sur soeur Maria, supérieure de la Communauté à l'hôpital Bretonneau, et sur les médecins de l'hôpital qui avaient organisé une filière d'évasion des Juifs. 
Furent ainsi transférées à Nice deux fillettes grâce à l'aide de l'aumônier capucin du sanatorium de la Croix-Montoire.

mardi 11 mars 2014

"Monuments Men" : pas d'étoile jaune pour mieux piller les oeuvres d'art !

Le film "The Monuments Men", avec George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, Jean Dujardin et John Goodman, raconte l'histoire de spécialistes envoyés en Europe par Roosevelt pour récupérer les oeuvres d'art dérobées à des Juifs par les nazis.

Avec George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, Jean Dujardin, John Goodman
"Monuments Men" s'inspire du livre éponyme de Robert M. Edsel et Bret Witter.
Pour mieux piller les collections d'oeuvres d'art, les nazis faisaient aussi appel à des marchands Juifs et certains ont même obtenu une exemption d'étoile jaune pour faciliter leur travail.
Ce film sort 50 ans après "Le Train", de John Frankenheimer, qui racontait l'odyssée du dernier convoi de tableaux de maîtres, intercepté par des hommes de la 2e DB du général Leclerc le 27 août 1944.


Hans Posse
L'histoire du plus grand hold up du XXe siècle avait commencé cinq ans plus tôt en juin 1939, lorsque le Dr Hans Posse, directeur de la Gemäldegalerie Alte Meister (galerie de peintures de Dresde), reçoit un ordre d'Hitler. Il a pour mission de collecter des oeuvres d'art pour alimenter le futur Führermuseum, imaginé par le chancelier allemand.
Au moins quatre exemptions d'étoile seront demandées par Posse pour faciliter l'activité des marchands d'art juifs à son service.
Allan et Emmanuel Loebl, en ont bénéficié en août 1942, avec Hugo Engel, un Juif autrichien, à la tête d'une importante galerie, et son fils Herbert Hengel.
Hugo Engel sera le premier à bénéficier de l'exemption, valable jusqu'au 30 novembre 1942.
Posse, qui mourra d'un cancer en décembre 1942, travaillait aussi avec le marchand berlinois Charles Haberstock.
Celui-ci passera par Helmut Knochen, pour délivrer l'exemption des Loebl, valable du 23 février 1943, jusqu'au 30 avril, puis prolongée jusqu'au 31 octobre 1943. (1)
Allan Loebl était affilié au syndicat des marchands d'art où l'on retrouve l'industriel Achille Boitel, liquidé par la Résistance en 1944, et l'antiquaire Yves Perdoux, qui révéla les cachettes des collections du marchand d'art Paul Rosenberg, dans le Bordelais, obtenant en contre-partie trois Pissaro et un Renoir. (2)
Ces opérations de spoliation à grande échelle sont lancées dès le 17 septembre 1940 lorsque le général Keitel, chef du Haut Commandement des forces armées à Paris, applique l'ordre du Führer de confisquer " les objets précieux des Juifs et de les transporter en Allemagne " grâce à l'Eisatzstab Reichsleiters Rosenberg (ERR), l'unité spéciale dirigée par Alfred Rosenberg.
A partir d'octobre, les oeuvres saisies sont entreposées au musée du Jeu de Paume et en avril 1941, l'ERR ira jusqu'à saisir des collections en zone libre, comme la collection David-Weill au château de Sourches (Sarthe). 
Vichy ne protestera qu'en juin, juste avant la loi du 22 juillet 1941 sur l'aryanisation des biens juifs. (3)
Le pillage des oeuvres d'art, lancé dans toute l'Europe occupée, fait suite à la directive de Hitler du 30 juin 1940, ordonnant la " mise en sûreté au delà des collections publiques des oeuvres d'art appartenant à des particuliers ".
Posse, éminent spécialiste de l'art baroque et de la Renaissance italienne et néerlandaise, dirigeait une galerie à Dresde.
Göring complètera ainsi ses collections commencées au début des années trente, grâce à Max Jakob Friedlaender (1867-1958). Cet expert, issu d'une famille juive de banquiers et de négociants en pierres précieuses, quitta l'Allemagne en 1939 pour les Pays-Bas et bénéficiera de la protection pour le moins intéressée de Göring. 
Collectionneur compulsif, le dirigeant nazi fera au moins douze visites au Jeu de Paume en 1941 et cinq en 1942 (4), où l'assistante de conservation, Rose Valland, jouera un rôle éminent pour répertorier les oeuvres volées, et permettre ainsi leur récupération par les "Monuments Men" américains. (5)
Détail révélateur sur l'utilisation des intermédiaires juifs : en prime d'un tableau d'Utrillo, tiré de la collection Bernheim, Göring recevra l'intégralité de la bibliothèque d'art d'Allen Loebl.
En 2000, la commission Matteoli, dressant le bilan de la spoliation des Juifs de France, estimera à plus de 100.000 les objets d'art pillés sur le territoire français entre 1940 et 1944.
Le 27 août 1944, le dernier train d'oeuvres d'art en partance pour l'Allemagne sera arrêté par des hommes de la 2e DB en gare d'Aulnay-sous-Bois. Parmi eux, le jeune lieutenant Alexandre Rosenberg, fils du collectionneur Paul Rosenberg (lire sa biographie écrite par sa petite fille, Anne Sinclair).

> POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE PILLAGE DES OEUVRES D'ART : voir le site ArtCult le journal du marché de l'art avec un article très complet d'Adrian Darmon.
 En 2015, éclata l’affaire Gurlitt – cet Allemand retrouvé avec plus de 1.500 tableaux volés à des familles juives et qui les avait tranquillement cachés dans un coffre en Suisse -.
 
L'histoire de ce dernier transport d'oeuvres d'art a inspiré
 le film Le Train  réalisé par John Frankenheimer
 et Bernard Farrel, avec Burt Lancaster et Michel Simon, sorti en 1964.

(1) CDJC-XXVa-186 Six documents, du 10 août 1942 au 13 juillet 1943, concernant l'exemption du port de l'étoile jaune pour Allan Loebl, Emmanuel Loebl et Hugo Engel .
(2) Laurence Bertrand Dorléac : " L'Art de la défaite " (Seuil, 1993)
Michel Rayssac : " L'exode des musées - Histoire des oeuvres d'art sous l'Occupation " (Payot, 2007)
Hector Feliciano : " Le Musée disparu - Enquête sur le pillage d'oeuvres d'art en France par les nazis " (Gallimard, 2009)
Anne Sinclair : " 21 rue La Boétie " (Grasset, 2012)
(3) André Gob : " Des musées au dessus de tout soupçon " (Armand-Colin, 2007) chap. 4 : Butin, saisies, spoliations 1933-1946, p. 142 à 144.
(4) Le rapport du 15 août 1945 de l'Office des Services Stratégiques Américain établira que, de février 1941 à novembre 1943, l'ERR organisa jusqu'à 28 " échanges " de peintures françaises de la fin du XIXe et XXe siècles, provenant principalement des collections Rosenberg-Bernstein. Dix-huit de ces échanges réalisés au seul profit de Göring.
(5) Corinne Bouchoux : « Rose Valland, La Résistance au musée » (Geste éditions 2006)