mardi 18 août 2020

Sauvée par Jean Leguay...

Nicole Barry de Longchamps ne portait pas d'étoile jaune lorsqu'en juin 1943 elle est arrêtée à Paris. Gontran Barry de Longchamps, son mari, oncle par alliance de la femme de Jean Leguay, demanda au haut fonctionnaire d'intervenir auprès des autorités allemandes, ce qu'il fera. Depuis mai 1942, Leguay était le délégué en zone occupée de René Bousquet, le secrétaire général de la police.


En 1957-58, Gontran Barry de Longchamps et Nicole
en arrière plan (collection particulière) 

.

Heinz Röthke le chef du « service juif » de la SS, en charge du camp de Drancy, rapporte dans une note du 11 juin 1943, que la veille, Jean Leguay est venu lui demander une faveur toute personnelle.

Leguay, souligne-t-il, « n’est jusqu’ici jamais intervenu pour des Juifs et qu’il ne veut et ne peut non plus le faire à l’avenir » mais, l’oncle de sa femme «  Barry de Longchamp, originaire d’une bonne famille française, est marié en secondes noces à une Juive, Nicole Barry de Longchamp ». 

La note ajoute quelle « habite la zone nouvellement occupée. Elle est atteinte de tuberculose et a voulu consulter récemment un spécialiste à Paris. Elle n’a pas porté l’étoile juive et il y a quelques jours, la Juive a été arrêtée par nous et transférée au camp de juifs de Drancy, où elle se trouve encore à l’heure actuelle ». (1)

Röthke précise que l’oncle de la femme de Leguay vient voir ce dernier chaque jour afin qu’il entreprenne quelque chose pour sa libération. A la demande de Leguay, Röthke recevra l’après-midi même M. Barry de Longchamps.

Nicole Barry de Longchamps sera libérée quelques jours avant qu’Aloïs Brunner dirige le camp de Drancy par à partir du 18 juin 1943.


Une famille de banquiers


Nicole était née Propper en août 1901. La fille du banquier d’origine tchèque  Emanuel Propper (1859-1945) a pu échapper aux persécutions antisémites grâce à son mariage protecteur avec Gontran Barry de Longchamps. 

Un mariage civil célébré quatre mois avant la déclaration de guerre du 3 septembre 1939. Nous sommes le 8 juin 1939 au château du Gavoy à Châteaufort, dans la très riche vallée de Chevreuse, près de Versailles. Un cadre idyllique sur sept hectares de cette propriété familiale du XVIIIe. (2)

Nicole a 38 ans, son futur époux 57. Le marié est le fils unique d’Ernest Barry, un capitaine commandant du 3e régiment de chasseurs d’Afrique, cantonné à Villers-Cotterêts (Aisne). 

Né à Senlis le 4 mars 1882, Gontran a 10 ans lorsque ses parents divorcent et 17 lorsque son père meurt. 

A 25 ans, il sera adopté par sa tante Claire Martin de Longchamps, deux mois avant son décès. Veuve de Louis Munster (propriétaire des assurances Le Phénix), elle vivait au château de Chevincourt à Saint-Rémy-les-Chevreuse. 

Riche dandy mondain, mécène passionné de sport automobile et aérien, Gontran Barry de Longchamps aida les esprits novateurs de son époque comme l’aviateur Louis Blériot.

Quand la guerre éclate, il protégea tout naturellement son épouse et sa famille juive Propper à « Bagatelle », sa propriété d’Agen, où il jouera au « gentleman farmer » à l’abri des regards des Allemands.


Les Propper comptaient plusieurs banquiers qui réussirent à transférer leurs actifs en Suisse pour échapper aux spoliations. 

Emanuel débuta avec son frère aîné Siegfried, dans les années 1860, à Paris, dans la banque Kohn-Reinach.

Un autre frère d'Emanuel, Edouard-Michel Propper, 65 ans, et sa femme Elisabeth Levylier, 52 ans, réfugiés dans un hôtel à Cannes, seront arrêtés par la police allemande avec d’autres familles juives, le 30 janvier 1944 à Beauvezer, un petit village perché dans les Alpes de Haute-Provence, où ils étaient assignés à résidence. Ils seront déportés sans retour à Auschwitz le 10 février 1944 par le convoi n°68. 

La soeur cadette de Nicole, Jacqueline (1917-2014), échappa aux persécutions, en se réfugiant très tôt en Angleterre. 

Elle a été mariée à Vladimir Porché (1910-1984) qui dirigea les programmes de la Radiodiffusion française de 1937 à 1939. Il deviendra directeur général en 1946, puis de 1949 à 1957, directeur général de Radio Diffusion Télévision française, avec le soutien de François Mitterrand, ministre de l'Intérieur en 1954-55, et de Gaston Defferre (à l'Outre-Mer en 1956-57).


Les épreuves de la vie n’ont pas épargné Gontran Barry de Longchamps. 

Veuf à 41 ans, il s’était marié en première noce en 1907 avec Antoinette-Olinde Nénot (1887-1923), qui meurt à 35 ans.

Grâce aux Nénot, amis des Propper qui sont leur banquier, Gontran Barry de Longchamps rencontrera Nicole.


Antoinette Nénot était l’une des quatre filles d’Isabelle Mathias (1865-1939) et de l’architecte Henri-Paul Nénot (1853-1934), grand prix de Rome 1877, architecte de la Sorbonne et du palais de la Société des Nations à Genève. 

La soeur jumelle d’Antoinette, Geneviève, mourra en couches à 24 ans en 1911. En 1907, elle  avait épousé le sculpteur Paul Landowski (1875-1961), ancien directeur de l’école des Beaux-Arts de Paris. Proche d’Abetz, ambassadeur d’Allemagne à Paris, il fera avec d’autres artistes « le voyage à Berlin » en novembre 1941, ce qui lui vaudra d'être inquiété mais en avril 1946, la Commission Nationale d'épuration des arts graphiques et plastiques le mettra hors de cause.

La cadette des soeurs Nénot, Marie-Thérèse, née en 1891, se marie en 1910 à Pierre Janin (1883-1914) fils d’un notable de Saint-Rémy-les-Chevreuse, propriétaire du château de Saint-Paul, et vice-président du conseil général de Seine-et-Oise de 1880 à 1917. Il meurt à 31 ans. Leur fille unique Christine Janin épouse Jean Leguay en 1935.

Gontran Barry de Longchamps, de fait oncle de Christine, connaissait donc Leguay avant-guerre. 


Les origines juives de Mme Leguay


Christine Janin avait des origines maternelles juives, une filiation que Leguay ne pouvait ignorer et qui a peut être influé sur sa médiation de sauvetage. L'hypothèse mérite d'être lancée et jusqu’alors aucun historien n’a relevé cette particularité généalogique.

Sa grand-mère maternelle était la fille de Fernand Mathias (1814-1890), directeur des Chemins de fer du Nord, et de Claire-Eugénie Rodrigues (1831-1903), fille de Benjamin Olinde Rodrigues (1795-1851).  

Ce mathématicien, financier et économiste, avait pour père Isaac Rodrigues-Henriques (1771-1846), un banquier juif séfarade de Bordeaux qui participa activement avec ses cousins, les frères Pereire, à la création des chemins de fer en France.


De sa première union, Gontran Barry de Longchamps aura trois enfants : une fille, Jacqueline (1908-2010) qui épousa l’illustrateur-graveur Hervé Baille (1896-1974) - connu pour avoir réalisé des publicités de la Vache qui rit et d'Air France, il dessina pour le Secours National de Pétain - et deux garçons, Philippe (1910-2000) et Jacques (1911-2010) qui sera adopté par Nicole. 

Le fils de Jacques, François Barry Delongchamps, ancien ambassadeur de France, apporte son témoignage sur la personnalité de Nicole qu'il considère en quelque sorte comme sa « belle grand-mère » :

« Après quelques jours dans le camp, elle obtiendra effectivement sa libération grâce à Leguay. J’ignore comment cette grande bourgeoise, élevée jusqu’à 13 ans par une préceptrice allemande, qui habitait boulevard Saint-Germain à Paris, a vécu ce passage éprouvant à Drancy. 

Cette forte personnalité était aussi une femme de caractère : à Châteaufort, où elle vivait avec mon grand-père, elle ira jusqu’à faire modifier le découpage administratif pour que cette commune de l’ex-Seine-et-Oise, rattachée en 1964 au nouveau département de l’Essonne, reste dans les Yvelines. Elle obtiendra satisfaction en 1969. 

Nicole n’avait aucun état d’âme sur l’intervention de Leguay. » (3)


Gontran Barry de Longchamps est décédé le 10 septembre 1959 à l’âge de 77 ans. Nicole disparaît en 1992, à 91 ans. Bien qu'il n'y ait pas trace de sa conversion au catholicisme, ses obsèques seront célébrés dans l'église de Châteaufort. Les deux époux reposent au cimetière du village.


Jean Leguay (1909-1989), fils d’un président de la chambre des notaires de Rambouillet, était ancien élève des lycées Montaigne et Louis-le-Grand. Diplômé de Sciences Po, docteur en droit et avocat, il débuta sa carrière dans la préfectorale en 1932. 

Secrétaire général des Basses-Alpes en 1935, sous-préfet de Haute-Savoie en 1936, il est nommé à  Vitry-le-François (Marne) en 1939, et devient secrétaire général à la préfecture de Châlons-sur-Marne en 1940.

Fin 1941, il  devient directeur de cabinet de René Bousquet, préfet délégué en territoires occupés. 

Lorsque Pierre Laval nomme Bousquet au secrétariat général à la Police, en avril 1942, Leguay devient son délégué à Paris et il est promu préfet hors cadre. 

Fin 1943, après 20 mois à la tête de la police, ils ont participé à la déportation de 60.000 personnes de confession juive.

Préfet de l’Orne en janvier 1944, Leguay sera suspendu à la Libération. Il poursuivra une carrière dans le privé aux Etats-Unis pour le groupement professionnel des industries d’art et de création, puis de 1950 à 1957 comme vice-président de la distribution des parfums Nina Ricci. Réintégré dans la préfectorale en 1957, il sera de 1958 à 1970 directeur général du groupe Warner-Lambert Co, un conglomérat industriel pharmaceutique dont il deviendra président international jusqu’en 1974. En 1975, il prend sa retraite après avoir présidé les laboratoires Substantia à Suresnes. 

Inculpé de crimes contre l’humanité en 1979 pour son rôle dans l’organisation de la rafle du Vél d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, il meurt avant l’ouverture d’un procès le 2 juillet 1989.


(1) CDJC-XXVII-13 Note du 11 juin 1943 du service IV B de la Sipo-SD France à Paris, adressée au SS-Standartenführer Helmut Knochen, accompagnée d’une note manuscrite, non datée, au sujet d’une visite de Jean Leguay.

(2) Le carnet du « Figaro » (12 juin 1939)

(3) Propos recueillis - mai 2020


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