Le maréchal Pétain demanda aussi une exemption d'étoile jaune pour Colette ! Curieuse requête de la part du chef de l'Etat, étudiée le 17 juin 1942... Comment l'exécutif et l'ambassade d'Allemagne pouvaient-ils ignorer que la célèbre romancière, originaire de Bourgogne, n'était pas juive, alors que son mari l'était ?
Colette et Maurice Goudeket (dr) |
Divorcée en 1906, elle se remarie en 1912 avec Henry de Jouvenel (1876-1935), alors rédacteur en chef du Matin, avec qui elle aura son seul enfant, Colette-Renée.
Jouvenel deviendra un homme politique influent : ministre de l’Instruction publique et des beaux arts en 1924, Haut-commissaire de France au Levant en 1925-26, ambassadeur en Italie en 1933, ministre des Colonies en 1934, sénateur en 1935.
Colette, directrice littéraire du Matin, est devenue à plus de 40 ans la maitresse de Bertrand de Jouvenel (1903-1987), le fils de son mari, âgé de seulement 16 ans.
Divorcée en 1923 de Henry de Jouvenel, elle rencontre en 1925, à 52 ans, Maurice Goudeket (1889-1977) qui deviendra son troisième et dernier mari le 3 avril 1935.
Courtier en perles, il mène la grande vie avec chauffeur et appartement dans le 16e arrondissement de Paris.
Colette en fera son modèle pour le personnage de Vial, dans son roman La naissance du jour publié en 1928.
Goudeket vivait avec Colette dans un appartement au dernier étage de l’hôtel Claridge, aux Champs-Elysées avant d’acheter une propriété à Montfort-L’Amaury.
Ruiné par la crise de 1929, il devient représentant d’une marque américaine de machines à laver.
Colette le pousse dans le journalisme et avec Georges et Joseph Kessel, ils fondent l’hebdomadaire Confessions. En 1939, il fournit des chroniques régulières au quotidien Paris Soir, participe à Marie Claire et lorsque la guerre éclate il est directeur littéraire à Match.
Lors de l’exode de juin 1940, ils tombent sur un barrage routier allemand et Colette est prise pour une juive avec son assistante Pauline Vérine. Maurice Goudeket dira en allemand : « Moi seul ici suis de naissance juive ». (1)
Ils ne seront pas inquiétés et se réfugieront au Château de Curemonte, en Corrèze, propriété de la fille de Colette, Colette de Jouvenel qui y réside.
Rentré à Paris en septembre Maurice Goudeket ne peut plus travailler…
En juin 1941 Colette publie le feuilleton « Julie de Carneilhan » dans Gringoire, magazine collaborationniste et antisémite.
Goudeket sera arrêté par la Gestapo au domicile de Colette, au 9 rue de Beaujolais, à deux pas des jardins du Palais Royal, le 12 décembre 1941, lors de la « rafle des notables » où 743 personnalités juives françaises sont transférées au Camp de Royallieu à Compiègne.
Lors de son arrestation, Colette l’aide à faire sa valise : « Elle m’accompagna jusqu’au départ de l’escalier. Nous nous regardâmes. Nous étions l’un et l’autre souriants, nous échangeâmes un baiser rapide.
Ne t’inquiète pas, dis-je. Tout ira bien.
Va, me dit-elle avec une tape amicale sur l’épaule ».
A une amie, Colette écrira : « Il est parti très calme vers je ne sais où, chargé du crime d’être juif, d’avoir fait l’ancienne guerre comme volontaire et d’être médaillé ».
Elle multipliera les initiatives pour faire libérer son mari. Il écrira : « Elle vit des collaborateurs, des Allemands. Qui l’en blâmera,? J’en eusse, je l’espère, fait autant » (2)
Le 6 février 1942, Goudeket retrouve la liberté grâce aux interventions de Sacha Guitry, Robert Brasillach et de Suzanne Abetz, l’épouse française de l’ambassadeur d’Allemagne, Otto Abetz.
Le 11 novembre 1942, alors que les Alliés débarquent en Afrique du Nord et que les Allemands occupent tout le pays, Goudeket part se cacher à Salies-de-Béarn puis Saint-Tropez et le Tarn, avant de rentrer à Paris où il restera cloitré dans une chambre de bonne jusqu’à la Libération.
Pour protéger son mari Colette veut le convertir au catholicisme avec l’aide de François Mauriac mais en vain. Dans ses mémoires, Goudeket ne dira pas un mot de l’initiative de sa femme qui le 31 mai 1943 écrit au ministre de l’Intérieur pour tenter de lui obtenir une dérogation au port de l’étoile jaune. (3)
Elle argue qu’à 70 ans, qu'elle ne peut sortir seule en raison d’une arthrite de la hanche :
« J’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance que mon mari, Maurice Goudeket, Israélite français, né à Paris le 3 août 1889, engagé volontaire 14-18, médaillé militaire, croix de guerre, croix du combattant, blessé cité, soit dispensé du port de l’étoile de Sion ».
Colette mettra en avant sa notoriété en Allemagne : « Je me permets d’ajouter que mes livres et ma personne ont toujours reçu en Allemagne, l’accueil le plus favorable (tournées de conférences à Berlin, Vienne). D’autre part, les autorités occupantes m’ont témoigné ici, chaque fois que l’occasion s’en est présentée, le maximum de courtoisie et de bienveillance. L’an dernier, le Pariser Zeitung me prodiguait des éloges sans restrictions. De son côté, mon mari peut prouver, par de nombreux témoignages, que sa vie civile et militaire, écartée de toute politique, fut toujours vouée à l’honneur, et je sais que les autorités occupantes font cas d’un tel détail.
Je n’hésite pas à me porter, pour l’avenir, garante de mon mari.
Espérant que si dans mon long passé j’ai pu rendre services aux lettres, vous voudrez bien prendre soin de ma demande, je mets ici, Monsieur le ministre, l’expression de mes sentiments de gratitude et de considération ».
Le 19 juin 1943, Joseph Antignac adressa une réponse négative, soulignant que la demande, transmise aux autorités allemandes « n’a pas été prise en considération et qu’il m’a été répliqué qu’aucune dérogation n’était admise ».
(1) Maurice Goudeket : Près de Colette (Flammarion 1956), p. 180 à 205.
(2) Ibid.
(3) CDJC-CXIII-9 Lettres du 31 mai 1943 et du 19 juin 1943, entre Colette et Joseph Antignac, directeur de cabinet du Commissariat général aux questions juives.
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