« Pour de pressants motifs économiques »… La formule utilisée pour justifier les huit exemptions d’étoiles jaunes accordées le 25 août 1942 par Röthke, le chef du service juif de la SS de Paris, montre le souci de l’occupant de mettre à son service tous ceux qui peuvent contribuer à ses intérêts. Le « juif utile » sera d’ailleurs officialisé à travers les initiales WWJ (Wirtschaftlich Wertvoller Juder). Une sorte de "renvoi d'ascenseur" en échange des services rendus.
Outre les « grands serviteurs » comme Joseph Joanovici ou Mendel Szkolnikoff (1), des cadres obscurs apportaient leurs compétences indispensables au fonctionnement de la machine économique.
Plusieurs épouses juives bénéficieront d’exemptions d’étoile en raison des postes stratégiques occupés par leurs maris :
Thérèse et Roger Sautereau, qui dirige la section du papier et carton. Leur exemption accordée jusqu’au 31 mai 1943 sera prolongée trois fois jusqu’au 28 février 1944, « suite à la confirmation de l’amélioration du travail de la section et la loyauté de Sautereau ». (CDJC XXVa-201)
Hélène et Fritz-Jacob Rothschild, courtier spécialisé dans les carburants et huiles. Le Dr Matzke, responsable de la SODECO, qui contrôle la société Unilever, précise dans sa demande aux autorités allemandes que Hélène Rothschild « opère uniquement en appartement et elle ne se montre pas dans la rue. Mais elle est tout à fait indissociable de son mari dans ses affaires et je crains que Rothschild soit empêché dans son travail si sa femme est mise en prison ou si sa personne est entravée d’une sorte ou d’une autre ». (CDJC XXVa-167 et 200)
Nadine Fayol verra sa demande d’exemption appuyée par le Secrétaire d’Etat à la Production Industrielle. Dans une lettre du 2 juin 1942, adressée au chef de la division économique de l’administration militaire allemande en France, il indique que Mme Fayol est « née Picard, femme de M. Henri Fayol, répartiteur en chef de l’Office central de répartition des produits industriels ». Un service « dont le rôle est d’une importance primordiale dans les circonstances auxquelles doit faire face l’économie française ». (CDJC XXVa 180)
Dans la thèse de la chercheuse Blima Rajzla Lorber, de l'université de Sao Paulo (2021), Les Brésiliens dans l'holocauste et la résistance contre le nazisme, des détails biographiques sont donnés :
Nadine Picard Fayol : née à São Paulo, le 23 novembre 1896, juive, actrice à la filmographie étendue et renommée en France dans les années 1930. Voici quelques-uns des films dans lesquels elle a joué : Faubourg Montmartre (1931) ; Les Surprises du divorce (1933) ; La femme invisible (1933) ; Ferdinand le noceur (1935) ; Sarati, le terrible (1937) ; Je chante (1938) ; Sans tambour, ni trompette (1949).
85
72 Disponible sur : http://ressources.memorialdelashoah.org/notice.php?q=noms_tous%3A%28Grumbach%29%20AND%20prenoms_tous%3A%28roger%29%20AND%20id_pers%3A%28%2A%29&spec_expand= 1&rows=20&start=0. Consulté le : 20 juil. 2020
86
Figure 21 - Nadine Picard
Appel à présentation du monologue Moi, de Nadine Picard, sur la vie de l'actrice. Disponible sur : https://compagnieaffable.com/2016/06/07/muriel-cypel-dans-moi-nadine-picard/. Accès le : 05 mars. 2021. Réal : Jeune comédienne Nadine Fayol. Disponible sur : https://ic.pics.livejournal.com/0rchid_thief/2008602/493863/493863_original.jpg. Accès le : 05 mars. 2021
Nadine était mariée à Henri Joseph Fayol, un entrepreneur important de l'économie française, spécialisé dans la distribution de fer et de fonte. Henri était le fils de Jules Henri Fayol, considéré comme le "père de la théorie classique de la gestion", un ingénieur minier qui a créé une théorie de l'analyse des processus au sein de l'entreprise de haut en bas et qui a rendu possible des études dans les domaines de l'administration et de la gestion de projet. entreprises. 73
Henri Joseph s'oppose cependant à son père pour deux raisons, comme Nadine le révèle à Tsuneo Sasaki dans son interview (2002 : 84-92). Le premier, le fils était adepte de la théorie économique du taylorisme74, opposée à celle de son père ; et la seconde, parce que son père n'a pas accepté son mariage avec elle, parce qu'il était juif, ce qui a provoqué la rupture des relations familiales (SASAKI, 2002 : 89).
73 Jules Henri Fayol est né à Istanbul le 29 juillet 1841 de parents français. Son père, André Fayol, ingénieur et contremaître en métallurgie, a effectué son service militaire en Turquie. Jules Henri Fayol a épousé Adélaide Saulé et a eu trois enfants, Marie Henriette, Madaleine et Henri Joseph. Parmi ses principales réalisations figurent la création du Centre d'études administratives à Paris, destiné aux chercheurs, universitaires et personnes intéressées par l'administration, et les travaux Administration générale industrielle, lancés en 1916. Pour Jules Fayol, le succès ou l'échec d'une organisation dépendait l'un des hommes qui l'ont dirigé et ils doivent avoir des connaissances en administration et pas seulement des compétences techniques. Il a publié de nombreux textes et livres et est considéré comme l'un des chercheurs et universitaires qui ont le plus contribué à la gestion moderne.
74 Système d'organisation du travail conçu par l'ingénieur Frederick Winslow Taylor, dont l'objectif est d'atteindre une production et des performances maximales avec un minimum de temps et d'efforts.
Nadine n'a pas été déportée, survit, poursuit sa carrière d'après-guerre et décède le 1er juillet 1987.
Le couple reste à Paris, et Joseph, à partir de 1944, dirige des filiales du groupe Boussac. En 1966, il est administrateur du Comité national de l'Organisation française. Il est décédé le 25 mars 1982.
Une photo tirée de l'hebdomadaire Pour Vous représente Nadine Picard en belle-mère séduisante dans "Les surprises de divorce. Édition 226, 16 février 1933.
Disponible sur : https://calindex.eu/COUVERTURES/PV/PV226D.JPG. Accès le : 06 mars. 2021.
Alice et Robert Revel ont vu leur demande d'exemption transmise par le conseiller commercial Fredo Lehrer. Mme Revel, née Rosenbaum le 30 janvier 1894 à Paris, bénéficiera également d'un "ausweiss" valable l'été 1943 pour se rendre à Verneuil (Eure) et Fontenay-le-Comte (Vendée). (CDJC-XXVa-199)
(1) Joanovici, surnommé le « chiffonnier milliardaire » fonda l’Union Economique, une société qui permettra de faire du marché noir en toute légalité, et Szkolnikoff, dit « Monsieur Michel » créa la société de textile Textima, dans le Sentier, pour fournir la Kriegsmarine. Il deviendra un riche propriétaire aux Champs-Elysées et à Nice où il racheta de grands hôtels.
Lire : Henri Serg « Joinovici, l’empire souterrain du chiffonnier milliardaire » (Le Carrousel, 1986) et Alphonse Boudard « L’étrange Monsieur Joseph » (Laffont, 1998)
Patrice Miannay : Dictionnaire des agents doubles dans la Résistance (Le Cherche Midi, 2005) p. 157-159 et 256-257
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire