Actrice populaire tout au long des années trente, la carrière de Nadine Picard (1896-1987) s'arrête brutalement en octobre 1940. Juive, elle sera protégée par son mari, ingénieur-chimiste obligé de travailler pour l'occupant allemand.
Nadine Picard (photo Unifrance) |
Nadine Picard est juive. Née à São Paulo, au Brésil, le 23 novembre 1896, ses parents sont originaires de Colmar.
Lorsque son père meurt en 1917, Nadine vit encore chez sa mère, courtière en perles fines.
La comédie lui permet de s'affirmer et de prendre son indépendance. Propulsée par sa soeur Gisèle, née en 1895, sociétaire de l'Odéon depuis 1917, la jeune actrice monte sur les planches depuis l'âge de 13 ans. Passées par le Conservatoire de Paris, leurs carrières bifurqueront vite car Nadine préfère le boulevard au classique.
En 1921, elle est engagée au théâtre Antoine, pour la reprise du Poussin, une pièce à succès montée en 1908 par Edmond Guiraud, auteur dramatique prolixe jusque dans les années trente.
Le 31 janvier 1925, son nom est à l’affiche du Mariage de Monsieur le Trouhadec de Jules Romains, une pièce en quatre actes, mise en scène et interprétée à la Comédie des Champs-Élysées par l'immense Louis Jouvet.
Elle enchaîne les rôles : Week-end en 1928 à la Potinière, Le Sexe faible d’Edouard Bourdet, en 1929, à la Michodière. Une pièce adaptée en 1933 au cinéma après des centaines de représentations, par Robert Sodmiak. Ce réalisateur juif-allemand, exilé en France à l'arrivée du national-socialisme, partira finalement pour Hollywood.
Elle donne la réplique aux plus grands : Charles Vanel, Fernandel, Pierre Brasseur, Victor Francen, Jean Tissier…
Des films légers tandis que montent les périls : Après l'amour, Coquin de sort, La Cure sentimentale, Faubourg Montmartre (en 1931, avec Gaby Morlay), Une nuit au paradis, Conduisez-moi Madame, L'enfant du miracle (en 1932, réalisé par André Gillois, alias Maurice Diamant-Berger, sur un scénario de son frère Henri), Les surprises du divorce, Une femme invisible, Primerose, Ferdinand le noceur, Un grand amour de Beethoven, Sarati le terrible, Je chante (en 1938, premier film avec Charles Trenet).
Protégée par son mari
Nadine Fayol, en 1937, au concours d'élégance de Paris (photo agence Rol) |
Sa dernière apparition en public sera pour la réouverture du théâtre de Charles de Rochefort en octobre (ex-théâtre Tristan-Bernard, et théâtre Albert Ier, rue du Rocher, dans le 8e).
Les ordonnances antisémites allemandes l'empêchent désormais de travailler.
Heureusement, Nadine Picard sera protégée par son mari, Henri-Joseph Fayol, né en 1899, qu'elle a épousé à 24 ans, en 1920.
Licencié es-sciences, ingénieur chimiste, il est le fils de Jules-Henri Fayol (1841-1925), ingénieur de l’École des Mines de Saint-Étienne, à l’origine de la théorie classique de la gestion de projet (Fayolisme). Développée à partir de 1916 pour analyser les processus au sein de l’entreprise, le management moderne s’inspire largement de ses travaux.
Le père et le fils ne s’entendent pas. Henri-Joseph est partisan du taylorisme, en opposition aux conceptions de son père qui n’accepte pas le mariage de son fils avec une « juive »...
Avec l’occupation allemande, Henri-Joseph Fayol devient le principal distributeur de fer, fonte et acier de l'Office central de distribution des produits industriels. Il comptait parmi les rouages essentiels utiles aux autorités allemandes d'occupation.
Début juin 1942, le mari protecteur demande au Secrétaire d’État à la Production Industrielle une faveur pour son épouse : qu’elle soit dispensée du port de l’étoile jaune.
Jean Bichelonne, en poste depuis avril, polytechnicien haut fonctionnaire avant guerre, membre de la délégation française lors de l’Armistice fin juin 1940, transmet sans hésiter la demande d’exemption au Dr Michel, chef de la division économique de l'administration militaire allemande. Il souligne le rôle de Fayol, « d'une importance primordiale dans les circonstances auxquelles doit faire face l'économie française » :
Sur la base de ces arguments, l'exemption de l'étoile jaune est accordée jusqu'au 31 août 1942 et prolongée jusqu'au 31 novembre 1942. Un privilège rare.
À la Libération, on retrouve Henri-Joseph Fayol à la tête de filiales de l'empire industriel textile Boussac, jusqu'à sa retraite en 1963. En 1945, il préside la commission des prix du CNPF (Patronat Français) et en 1966 son comité national.
En 1945, Nadine Picard fera la connaissance du dramaturge Pierre Barillet (1923-2019) qui lui consacrera un monologue posthume « Moi, Nadine Picard », joué en 2010.
À l’abri du besoin, l’actrice mènera une vie très mondaine. Elle ne joue plus mais reste encore influente dans le milieu artistique qui fréquente son luxueux salon de l'avenue Foch à Paris.
Au décès de sa soeur Gisèle, elle lâche à propos de l’héritage :
« C'est dommage que ça me tombe dessus maintenant, j'aurai pas le temps de tout dépenser... » (2)
L'actrice populaire des années trente disparaît le 1er juillet 1987, à l'âge de 91 ans.
T.N-G
(1) CDJC-XXVa-180 Quatre documents du 2 juin 1942 au 8 septembre 1942.
(2) https://compagnieaffable.com/2016/06/07/muriel-cypel-dans-moi-nadine-picard/
Autres sources : la thèse de Blima Rajzla Lorber (Université de Sao Paulo) Faculté de philosophie, lettres et sciences humaines, études juives, « Les Brésiliens dans l’Holocauste et dans la Résistance contre le nazi-fascisme » (2021)
LA FILMOGRAPHIE COMPLÈTE
- 1931 : Sola de Henri Diamant-Berger : Nadia
- 1931 : Faubourg Montmartre de Raymond Bernard : Fernande
- 1931 : Après l'amour de Léonce Perret : Mme Stivié
- 1932 : Une nuit au paradis de Pierre Billon et Karel Lamač : Huguette Fluet
- 1932 : L'Enfant du miracle de D. B. Maurice : Josette
- 1932 : Conduisez-moi Madame de Herbert Selpin : Véra de Saurin
- 1932 : La Cure sentimentale de Pierre Weill et Max Dianville
- 1932 : Coquin de sort d'André Pellenc : Odette Desroses
- 1933 : Le Sexe faible de Robert Siodmak : Lily
- 1933 : Les Surprises du divorce de Jean Kemm : Diane
- 1933 : La Femme invisible de Georges Lacombe
- 1934 : Primerose de René Guissart : la mondaine
- 1935 : Ferdinand le noceur de René Sti : Amandine
- 1937 : Un grand amour de Beethoven d'Abel Gance
- 1937 : Sarati le Terrible d'André Hugon : Alice
- 1938 : Je chante de Christian Stengel : Mlle Valle
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