Damien Roger, jeune énarque et haut fonctionnaire au ministère de la Culture, vient de publier « Aryennes d’honneur ». Un roman historique basé sur des faits réels.
Ce statut, délivré sous l’Occupation allemande, n’a jamais été officiel mais il constituait un authentique privilège, réservé uniquement à une poignée de personnes d'ascendance juive « utiles », à protéger du zèle de la Gestapo.
Avec précision Damien Roger explore ce sujet trop peu développé par les historiens.
À travers la saga de la famille Stern, il nous fait revivre l’atmosphère jusqu’alors insouciante du gotha de la finance et de la grande bourgeoisie, en passant du faubourg Saint-Honoré aux châteaux de l’Oise.
Les premiers rôles féminins sont tenus par deux soeurs, Marie-Louise et Lucie Stern, et leur cousine Suzanne Stern.
Ces filles de banquiers, qualifiés d’ « israélites », ont un point commun : pas de mariage endogame ou communautaire mais des mariages mixtes avec des aristocrates catholiques, au début des années 1900 et de l’après affaire Dreyfus.
Les intérêts partagés de ces riches familles supposeront conversion et perte d’identité. Des sacrifices consentis pour devenir la marquise de Chasseloup-Laubat, la baronne Girot de Langlade, et la comtesse Sauvan d’Aramon.
Damien Roger fait revivre les drames de ces personnages romanesques dont la vie bascule en juin 1940.
Au regard des lois de l’État français, elles ne sont plus que des juives à exclure de la société. Leurs papiers porteront le tampon rouge « JUIVE »…
Une grande amie : "la Maréchale"
Dans sa stratégie de survie, Marie-Louise misait sur la protection de sa grande amie « la Maréchale » Annie Pétain. Philippe Pétain n’avait-il pas été le témoin de mariage de ses filles, en 1923 et 1927 ?
En 1917, son grand quartier général installé à Compiègne, se trouvait non loin du château des Langlade, transformé en hôpital militaire en 1914, avant d’être incendié par les Allemands.
En 1940, le mari de Suzanne, Bertrand Sauvan d’Aramon sera l’un des 569 parlementaires à voter les pleins pouvoirs au Maréchal…
Autant de bonnes raisons pour espérer un signe du chef de l’État afin d’échapper à la déferlante antisémite.
Salomé Murat, la petite fille de Marie-Louise, âgée seulement de 17 ans, ira jusqu’à Vichy pour plaider devant le Maréchal la cause de sa grand-mère et sa grande tante.
Au fil des pages, le romancier n’exprime pas de point de vue moral et s’en tient aux faits historiques.
Un geste...
Pétain l’antisémite, a incontestablement fait un geste en faveur de ses « amies » juives. En juin 1942, Il charge son ambassadeur à Paris, Fernand de Brinon - lui-même marié à une juive, née Rachel Franck - de transmettre aux autorités allemandes des demandes d’exemption de l’étoile jaune.
Elles seront accordées à titre provisoire pour Marie-Louise et Suzanne.
Inexorablement, l’étau des persécutions se resserre : la première connaîtra pendant près d’un mois la promiscuité de la prison des Tourelles. La seconde, arrêtée dans l’Aveyron en juin 1944, sera libérée du camp de Drancy et échappera à la déportation.
Lucie, arrêtée chez elle le 3 janvier 1944, passera aussi par Drancy avant de monter dans le convoi n° 66 pour Auschwitz - où se trouvait également le nageur Alfred Nakache, sa femme et leur fille de deux ans, et la soeur du poète Max Jacob - où elle sera gazée dès son arrivée, à 61 ans.
La « sauvegarde » promise par Pétain se perdra dans les méandres administratifs qui recherchaient une dame Langlade enregistrée seulement sous le nom de Girot.
Insupportable épilogue…
Avec l’épuration, les survivantes devront rendre des comptes avant d’être « blanchies ».
Damien Roger, dans l’histoire bien française de ces trois « Aryennes d’honneur » nous rappelle combien cette période demeurera plutôt celle du déshonneur de la France. Des heures sombres qui souillent à jamais notre histoire.
Thierry Noël-Guitelman
« Aryennes d’honneur » : Damien Roger. Éditions Privat. 368 p. 22,90 €.
ICI la présentation-vidéo du livre par l'éditeur Privat