Laurent Joly, dans « Vichy dans la Solution Finale » (Grasset 2006),
rappelle la
terrible activité de la SEC, qui s’ajoutait aux arrestations de la
police et de la gendarmerie : entre 850 et 900 personnes ont été arrêtées
par la SEC entre l’automne 1942 et l’été 1944, et parmi elles, environ 650
ont été déportées.
D’après les registres de la SEC, tenus entre le 15 juin 1943 et le 14 juillet
1944, sur 568 personnes arrêtées, 283 l’ont été pour infractions aux
ordonnances allemandes, soit 50,7 % (port de l’étoile et interdiction de
fréquenter les magasins sauf de 15 à 16 heures).
Laurent Joly donne maints exemples du zèle des inspecteurs.
Ils appliquent littéralement les dispositions de la 8e ordonnance allemande
qui précise que l’étoile « doit être visible et solidement fixée » :
- Le 8 décembre 1942, l’inspecteur Douillet qui compte parmi les plus zélés,
interpelle dans le métro Albert Morhaim
.
Ce garçon de 18 ans ne porte par d’étoile. Amené au siège de la SEC, il sera
brutalisé. Quelques heures plus tard, Douillet et un autre inspecteur se
rendent chez les parents du garçon, à Champigny-sur-Marne. Ils sont
arrêtés avec deux autres enfants, Roger et Rachel. Les cinq membres de
cette famille seront déportés le 11 décembre 1943 dans le convoi n° 47.
Aucun n’a survécu. ( p. 622-643)
- Le 25 mars 1943, à 18 heures, rue de Turenne, « les inspecteurs
Barbat et Meynadier ont interpellé la juive Meliliat
,
dont l’étoile n’était pas apparente.
L’insigne juif était en effet sous le bras fixé avec des épingles ».
Raccompagnée chez ses parents, le père de la jeune femme voulut « arranger les affaires » en offrant de l’argent aux
inspecteurs. (AN, AJ38 206).
Jack Lakes
sera déporté le 23 juin 1943 avec sa femme. Leur fille échappa à la déportation.
- Le 27 septembre 1943, sur le marché de Saint-Denis, l’inspecteur Fournier interpelle Berthe Moïse, qui ne portait
pas l’étoile et venait de lui être désignée par un indicateur.
Elle est déportée le 7 octobre 1943.
- Le 15 mars 1943 à 8 h 30, Chil Kelerman
est arrêté : au moment où, interpellé, il « changea de main une serviette
en cuir qu’il portait sous son bras et qui dissimulait son étoile ».
Il est déporté le 25 mars 1943. (AN, AJ38 205).
- Le 12 janvier 1944, à 17 h 30, rue des Poissonniers, l’inspecteur Fournier « a remarqué une femme présentant
toutes les caractéristiques de la race juive, qui se livrait à différentes emplettes (…) en dehors des heures prescrites
et dissimulait son étoile sous une pèlerine de lainage » (AN, AJ38 215). L’intéressée, Rebecca Goldberg, née en 1888
en Russie, est déportée une semaine plus tard dans le convoi n° 66.
- Le 24 mars 1944, Léa Beer est arrêtée « sous prétexte que le voile de deuil qu’elle portait cachait son étoile ».
Elle sera déportée début mai 1944. (AN, Z6 830/19179).
|
Un livre publié en 1989 |
Louise Jacobson, une lycéenne de 17 ans, sera aussi dénoncée pour ne pas
avoir porté l'étoile. Celle que l'on surnomme
la " Anne Franck française " sera
arrêtée chez elle, rue des Boulets, dans le XIe, par la police française.
Incarcérée à Fresnes le 1er septembre 1942... Drancy, Beaune-la-Rolande, elle
sera déportée par le convoi n° 48 du 13 février 1943 et mourra gazée à son
arrivée à Auschwitz.
Sa mère, Olga, emprisonnée à la Petite Roquette, partira par le convoi n° 62.
Louise a laissé six mois de lettres émouvantes écrites pendant sa captivité, que
sa soeur publiera en 1989, adaptées au théâtre sous le titre " Les lettres
de Louise Jacobson ". (1)
Elisabeth de Fontenay, philosophe, maître de conférences
à la Sorbonne, rappelle que toute la famille de sa mère
(née Hornstein) est morte à Auschwitz : " la mère de ma
mère, la soeur de ma mère et son mari, ainsi que leurs deux
enfants qui avaient le même âge que moi et mon frère.
Micheline et Daniel Feinstein, 11 ans et 9 ans.
Nous passions nos vacances ensemble, on jouait aux
gendarmes et aux voleurs.
Ils ont été déportés en mars 1944.
Dénoncés, probablement par des voisins. Aucun d'entre eux
n'avait jamais porté l'étoile jaune « .
SOLIDARITE...
Liliane Lelaidier-Marton, du Blanc-Mesnil, témoigne :
" J'avais douze ans le 29 mai 1942 lorsque le port de l'étoile jaune solidement cousue
pour les adultes et les enfants de plus de six ans a été rendu obligatoire (...)
Me voilà donc, le premier dimanche de ce mois de juin, l'étoile jaune brodée par ma mère sur un
boléro jaune. Elle avait trouvé ce moyen pour que ce signe m'expose moins au regard
des autres.
Ce jour là, Max Barbet, le directeur du cinéma Le Rex, sur la route des Petits ponts à
Drancy, a fait rentrer gratuitement tous ceux qui portaient cette tache couleur soleil.
Il était juif lui-même, disait-on, mais il ne portait pas l'étoile (…)
Nous étions deux à porter cette fichue étoile dans notre classe à l'école primaire.
Mlle Sassin, notre institutrice, nous a éloignées sous un prétexte quelconque pour
prévenir nos camarades que celles qui oseraient nous insulter ou nous brimer
seraient renvoyées, avec l'accord de la directrice.
Quel cran chez cette femme, quel courage aussi. D'autant que son fiancé était
prisonnier de guerre en Allemagne d'où il tentait de s'évader. " (2)
Ces actions de rejet de l’étoile intervenaient malgré la campagne des dirigeants de l'UGIF, incitant les Juifs
à " porter l’insigne dignement et ostensiblement ".
" Personne ne se dérobera, n'éprouvant nulle honte de sa qualité juive. Ceux qui préconisent (cas rares) de ne pas se
présenter ou de ne pas mettre l’insigne sont blâmés comme froussards " relève le 1er juin 1942 le journaliste
Jacques Biélinky (1881-1943). (3)
L’INSTINCT DE SURVIE…
Robert Burac, enfant caché, devenu professeur de linguistique française à l'université
de Tours, éditeur de Péguy dans la Pleïade, décédé en 2006, témoigne sur cette résistance forgée dans l’instinct de
survie : " Ainsi que la plupart des émigrés juifs de l’Est, mes grands-parents et mes parents très pauvres,
mais honnêtes, observaient à peine les fêtes religieuses traditionnelles. Ils rêvaient d’être assimilés.
Et lorsque les premières mesures antijuives sont tombées, ils ont refusé de porter l’étoile jaune discriminatoire.
Craignant des représailles, mon père a pourtant répondu à la convocation de la police française, qui l’a interné, en tant que
Juif étranger, au camp de Beaune-la-Rolande le 14 mai 1941.
Il s’est fait porter malade, s’est enfui de l’hôpital où il avait été transféré le 26 janvier 1942.
Il s’est réfugié alors dans la famille, puis chez lui, et s’est enfin caché dans divers
appartements de location jusqu’à l’armistice. Deux de ses frères et une de ses
soeurs ont eu moins de chance que lui et ont péri en déportation.
Subsister à Paris pendant l’occupation allemande était, pour les Juifs pauvres,
un exploit de chaque jour.
Ils souffraient du froid, de malnutrition. Il leur était interdit de faire la queue pour acquérir les
moyens de leur subsistance. C’est précisément pour avoir voulu acheter quelques menus
gâteaux pour la Pâque, que ma grand-mère, repérée par un milicien, a été arrêtée
puis envoyée, avec mon grand-père, le 7 avril 1944, au camp de Drancy, d’où ils sont
partis pour Birkenau-Auschwitz, le 30 juin, par le dernier convoi de déportés.
Elle a été gazée dès son arrivée. Lui, n'est revenu qu'en mai 1945 ". (4)
L’absence d’étoile suscitait aussi des réactions antisémites consignées dans les rapports des indicateurs de police.
A Biarritz, début juillet 1942, ils relèvent " qu’on se demande pourquoi les Juifs riches de
Paris ne portent pas l’étoile jaune... On ne devrait pas permettre ces exceptions.
Cherchons si les juifs sont encore riches, autrement les Français penseront que
les Allemands se vendent aux riches juifs. "
Et ils donnent des exemples : les frères Laffitte, la fille d’André Citroën, " la riche juive Ravel ",
Mme de Brinon. (5)
On écrit aussi au commandement du Gross-Paris pour se plaindre : une adhérente d'un
groupe de collaborateurs estime que, " seuls les Français ou si peu de sujets
étrangers " sont astreints à l'étoile.
" Tout étranger juif devrait porter l'étoile et si c'est une loi française, que celui qui ne se
soumettrait pas retourne dans son pays, ce qui ferait l'affaire des Français, car les juifs
étrangers continuent leurs méfaits sans qu'on puisse s'en protéger " (6)
Dans une autre lettre, on veut savoir où l’on peut " signaler des Juifs qui ne portent pas l’étoile
jaune ".
L’auteur indique " qu’on en trouverait des milliers si on lançait une chasse dans les cafés
et restaurants du XVIe arrondissement de Paris et autour de la place de l'Etoile ". (7)
ARRESTATIONS...
Une circulaire du 6 juin 1942 donna aux commissariats des instructions précises sur les
mesures à prendre contre ceux qui ne portaient pas l’étoile de façon évidente. (8)
L’application sera immédiate : le 8 juin, Joseph Zaoui est arrêté et transféré au dépôt car
il n’a pu montrer sa carte d’identité et il portait l’étoile sur sa chemise et non sur
son manteau. (9)
Toujours le 8 juin, deux femmes se retrouvent écrouées à la caserne des Tourelles :
Berthe Steinberg ne portait pas l’étoile, et Alice Heni ne pouvait montrer sa carte
d’identité. (10)
Après des contrôles boulevard Saint-Michel, la Feldgendarmerie se demande s’il ne faut pas
" demander les papiers à des personnes anonymes plutôt qu’à des personnes qui portent
l’étoile jaune ". Il relève que " l'opinion publique est étonnée du nombre considérable de
Juifs qu'il y a à Paris ". (11)
Le 10 juin, un rapport à Knochen, fait le point sur les manifestations parisiennes contre
l’introduction de l’étoile : " il y avait un grand nombre de Juifs qui se sont montrés sur
les Grands Boulevards, entre la République et Opéra. Partout, même dans les milieux peu
favorables aux Allemands, on n’avait jamais pensé qu’il y avait tant de Juifs à Paris".
Il est relevé que les milieux collaborateurs ne comprennent pas " pourquoi les Italiens,
les Anglais, et les Américains sont dispensés du port obligatoire de l'étoile jaune " et on
demande " qu'on interdise l’entrée des grandes artères, des cafés, des restaurants,
théâtres, et surtout la fréquentation des bains publics, et qu’on mettre fin à la discussion
publique sur la question des exemptions ". (12)
En même temps, Röthke précise que 40 personnes ont été arrêtées parce qu’elles ne
portaient pas l’étoile, ou parce qu’elles portaient d’autres insignes ou plusieurs étoiles,
" un certain nombre de non-Juifs qui portaient l’étoile jaune sans y être obligé ou
portaient des imitations de l’étoile jaune avec des inscriptions différentes ou d’autres
insignes fantaisistes ».
Les Juifs de 18 ans révolus ont été envoyés à Drancy, les femmes aux Tourelles.
LES CATHOLIQUES REAGISSENT
Françoise Siefridt, une jeune lycéenne membre de la Jeunesse
étudiante chrétienne féminine (JECF) qui avait brodé le mot "papou" sur une étoile, restera à Drancy jusqu'au 31 août
1942. (13)
Hélène Berr note dans son journal du lundi 29 juin : « En marchand avenue de la Bourdonnais, je pensais je crois à
mes souliers. J’ai eu soudain conscience qu’un Monsieur venait vers moi - je suis sortie de ma pensée. Il m’a tendu
la main, et m’a dit d’une voix forte : « Un catholique français vous serre la main…et puis, la revanche ! » J’ai dit merci,
et je suis partie en commençant à réaliser ce qui s’était passé. Il y avait d’autres personnes dans la rue, assez loin,
j’avais presque envie de rire. Et pourtant, c’était chic, ce geste. Il devait être Alsacien ; il avait trois rubans à sa
boutonnière. Dans la rue, on est sans cesse obliger de représenter. C’est une épreuve de sortir (…).
François M. m’a dit hier que sur les 80 femmes déportées des Tourelles la semaine dernière, il y en avait une par
exemple qui l’avait été parce que son enfant de six ans et demi ne portait pas l’étoile ». (14)
DENONCIATIONS...
|
Constantin Alperoff avec Alice Vroska |
Constantin Alperoff
, célèbre danseur russe des années vingt,
fera l’objet le 4 février 1944, d'une dénonciation du directeur du
statut des personnes du CGQJ auprès de la Section d'enquête
et de contrôle (SEC) de Paris, qui voit son " attention appelée sur
le nom d'un artiste de music-hall qui s'étale largement sur les
affiches de la revue des Millions aux Folies-Bergères " (...)
Alperoff, qui est un nom spécifiquement juif " poursuit le courrier.
Il est demandé de faire " immédiatement une enquête sur la situation
de cet artiste en vérifiant spécialement les points suivants :
1 - Situation raciale de l'individu
2 - Est-il en règle avec les lois et ordonnances : recensement,
port de l'étoile, etc." (15)
Les lettres anonymes viendront faciliter la répression policière :
dans ce courrier de 1943, adressé au CGQJ, il est question d'une
" ancienne danseuse Juive " : " Voyez donc le genre d’existence de
la fille Muriel Adler, ancienne danseuse, actuellement en
hôtel, ne portant pas l’étoile.
Cette personne non contente d’être juive débauche les maris des
vraies Françaises.
Sachez donc de quoi elle vit ??
Défendez les femmes contre les Juives et ce sera votre meilleure
propagande et vous rendrez un mari Français à sa femme ". (16)
Affaire de moeurs et défaut d'étoile
Dans un courrier signé par le Comité d’action antibolchévique et
adressé au CGQJ, on lit :
" Le dimanche 1er novembre 1942, le jeune Henri Dequesne, âgé de 16 ans et demi, et un de ses camarades Martinez,
âgé d’une vingtaine d’années se trouvaient au cinéma " Le Vivienne ", rue Vivienne.
A la sortie du spectacle, le jeune Martinez se dirigea vers les lavabos de la salle. Dequesne l’attendait dehors.
A l’intérieur des lavabos, Martinez trouva deux jeunes Juifs, qu’ils connaissait comme tels pour les avoir vus porteurs de
l’étoile jaune, dépourvus de la dite étoile judaïque et honteusement occupés à
des choses qui n’ont aucun rapport avec le cinéma.
Indigné de ces moeurs bien juives et les prenant de plus en plus en défaut
(décret interdisant l’accès des salles de spectacles aux juifs), Martinez les
souffleta et leur prit leurs papiers, leur donnant rendez-vous le lendemain à la
gare Saint-Lazare, où il leur promettait, en plus de la restitution des dits
papiers, une admonestation publique devant quelques autres jeunes gens, au
moral sans aucun doute plus propre et Français sans tare.
Le lundi 2 novembre, les deux jeunes Juifs, cette fois-ci munis de leur
insigne jaune, arrivent au rendez-vous avec leur "employeur" aryen, paraît-il,
et se vantant de relations, par lesquelles ils allaient faire voir à ces jeunes
Français ce qu’il en coûte de s’attaquer à de jeunes juifs pédérastes.
Des inspecteurs de police de la gare Saint-Lazare les accompagnaient
d’ailleurs et l’on embarqua tout le monde au poste de police, commissariat spécial
de la gare Saint-Lazare.
Là, le commissaire fit garder les jeunes Dequesne et Martinez, bien que
d’ailleurs le premier ne fut pour rien dans l’affaire.
En même temps, les Juifs, bien qu’ayant fraudé les lois établies, étaient
simplement rendus à leurs foyers avec tous les honneurs dus à la race élue. »
La lettre apporte des précisions quant au comportement de la police :
" 1°) Le commissaire de police interrogeant le jeune Martinez lui demanda
pourquoi il s’était emparé des papiers des Juifs, celui-ci lui répondit
simplement " Je n’aime pas les Juifs ".
Sur ce, il reçut deux coups de poing à la face, de la part du commissaire qui, sans doute,
aime les Juifs, mais outrepassa largement ses droits les plus élémentaires.
2°) S’adressant aux Juifs et pressentant que peut-être nos deux jeunes
Français seraient tentés d’infliger une correction méritée à ces pédérastes juifs,
le commissaire dit aux Juifs : " Si un de ces lascars vous cherchent des
ennuis, je les ferai passer à tabac."
3°) Le commissaire a entendu le jeune Dequesne et ensuite lui a interdit le
passage trop fréquent dans la gare Saint-Lazare, le prétendant sans doute
réservé à la jeunesse israélite. "
Le CGQJ transmettra au préfet de police qui répond le 25 novembre que le
" commissariat spécial de la gare Saint-Lazare ne dépendait pas de ses services". (17)
L’absence d’étoile suffisait pour justifier une déportation :
Emile Moha, 62 ans, déjà arrêté au début de la guerre par la police française, est
arrêté avec sa famille le 1er janvier 1943. Le 18 février, demande est faite au commissaire
Permilleux d'arrêter toute sa famille et de les interner à Drancy. (18)
Victor Uzan, 28 ans, est également accusé de continuer ses activités
professionnelles. Un rapport l'accuse d'avoir mis son beau-père à la tête de son entreprise.
Absence d'insigne, activité clandestine, contact avec le public : trois infractions fatales. (19)
M. Sroussi, qui ne s’est pas fait recenser et qui ne porte pas l’étoile, est dénoncé par un
voisin. (20)
Le 16 juin, la Gestapo de Paris précise les critères de sélection pour la sélection de
1.000 Juifs des camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande : aptitude au travail, être âgé
de moins de 55 ans, sexe masculin, astreinte au port de l’étoile.
Les Juifs vivant en mariage mixte sont ajournés provisoirement... (20)
Dans " Souvenirs : l'étoile jaune ", Henri Szwarc, jeune apprenti chez Renault qui échappa
à la déportation, décrit parfaitement le climat : " Il n'était pas question de ne pas porter
l'étoile, nous étions trop connus dans notre rue et à la merci d'une dénonciation.
Nous avons par ailleurs reçu la visite d'un inspecteur chargé de vérifier jusque
dans nos armoires, que les étoiles étaient bien cousus sur nos vêtements ". (21)
Marguerite Gleidmann, d'origine Hongroise, sera arrêtée par Douillet pour avoir attaché son étoile avec des épingles.
Elle sera déportée par le convoi n°59 du 2 septembre 1943. (22)
Le 26 octobre 1943, Douillet arrête aussi Simone Lackenbacher, 32 ans, employée dans
une pharmacie, rue des Batignolles (XIXe).
Son rapport précise avoir " trouvé la Juive à la caisse sans étoile ".
Invitée à le suivre, " cette juive a tenté de prendre la fuite, mais a été appréhendée
à nouveau ".
Consignée au poste de police de la rue des Batignolles, elle sera mise " à la disposition
de M. Permilleux ". Elle sera déportée par le convoi n° 62 du 20 novembre 1943. (23)
Douillet, en août 1949, sera condamné par la Cour de Justice de Paris à 15 ans de travaux
forcés.
Des enfants cachés, qui ne portaient pas l'étoile, seront aussi dénoncés et arrêtés :
Sylvie Rosenthal, internée au camp de La Lande (Indre-et-Loire), n’avait que 12 ans.
Réfugiée à Pornic, avec sa mère et son frère, ils ont été dirigés à Angers où un voisin avait
même demandé à pouvoir l'adopter. (24)
Elle sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 36 parti de Drancy le 23 septembre 1942,
qui comptait 29 enfants et 4 adolescents, de 1 an à 15 ans, domiciliés
à Tours. Il n’y aura aucun survivant.
Colette Rozen, 12 ans, était scolarisée à Wassy (Haute-Marne). Lors d'une rafle lancée dans tout
le département, le 27 janvier 1944, les gendarmes viendront la chercher jusque dans sa classe.
Elle sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 68. (25)
> Voir aussi le témoignage d'
Alexandre Halaunbrenner qui habitait
rue des Rosiers à Paris.
L'INTERVENTION DE JEAN LEGUAY
Jean Leguay (1909-1989) a été inculpé en 1979 de crimes contre l'humanité pour son rôle
dans la rafle du Vél d'Hiv. Il mourra avant que son procès ait lieu.
Délégué du secrétaire général à la police nationale en zone occupée, il est l'auteur d'une lettre, début août 1942,
qui précise les conditions de la déportation des enfants.
Pour un membre de la famille de sa femme, il interviendra à titre exceptionnel, comme l’atteste une note du 11 juin
1943 d'Heinz Röthke, le chef du service Juif de la SS. (26)
Il indique que Leguay, lors d'une visite effectuée la veille, y a abordé une affaire très personnelle.
" Il n'est jusqu'ici jamais intervenu pour des juifs, il ne veut et ne peut non plus le faire à l'avenir " précise Röthke.
" Barry de Longchamp, l'oncle de la femme de Leguay, est marié en secondes noces
à une Juive, Nicole Barry de Longchamp, atteinte de tuberculose (...)
Habitant en zone occupée, elle a voulu venir à Paris pour consulter un spécialiste mais elle
s'est faite arrêter, et a été transférée à Drancy.
Son mari réclame l’intervention de Leguay qui refuse d’agir en sa qualité de chef de la police. "
La note précise qu’elle n’a pas porté l’étoile juive et qu’elle s’est rendue à Paris sans autorisation.
Röthke acceptera de recevoir l’oncle de sa femme le jour même et transmettra à Helmut Knochen, le chef de la Sûreté,
pour donner des instructions " si et quand la Juive, devra, le cas échéant être libérée ".
(1) Nadia Kaluski-Jacobson : " Les lettres de Louise Jacobson et de ses proches 1942-1943 " (Laffont, 1997)
(2) Liliane Lelaidier-Marton : " Une ombre entre deux étoiles - Histoire d'une enfant cachée " (Editions Velours, 2006)
(3) Jacques Biélinky : Journal 1940-42. (Cerf, 1992) p.213-214 et CDJC-CCXIV-5
(4) Témoignage fourni par Liliane Ruf, veuve de Robert Burac (fils de Gerson Burakowski, émigré polonais entré
clandestinement en France en 1927, et de Sophie Gordon, venue avec ses parents de Lituanie).
(5) CDJC-XLIXa-107 Lettre du 9 août 1942 du service IVJ de la Sipo SD de Bordeaux adressée à la Sipo SD de Paris,
avec deux notes des 4 et 10 juillet 1942 des indicateurs 351 et Bx 534. La note fait état de RB, la fille des usines
Citroën qui a épousé M. Montesquio.
André Citroën, marié à Georgina Bingen, a eu quatre enfants : Jacqueline (1915-1994), épousa en fait le marquis
Paul de Rafélis de Saint-Sauveur (1910-1999) en 1935. Ils divorceront en 1946 ; Bernard en 1917
qui épousa Piroska Szabo (1919-1996) ; Maxime en 1919 qui épousa Antoinette David-Weill (1920-1980) ; Solange
née en 1924 qui mourra à 1 an.
(6) CDJC-XLIXa-83 Lettre manuscrite, du 11 juin 1942, de Suzanne Allaire, du Groupe Collaboration n° 36.212,
adressée au Kommandant von Gross-Paris, concernant l'avis de la population au sujet du port obligatoire de l'étoile
jaune.
(7) CDJC-XLIXa-104 Lettre du 19 juillet 1942, adressée au Kommandant von Gross-Paris, concernant des "Juifs" qui
ne portent pas l'étoile jaune.
(8) CDJC-XX-31 Circulaire n° 477, du 6 juin 1942, de G. Tanguy, directeur de la police judiciaire, et de Michel Douay,
secrétaire général, délégué du préfet de police de Paris, adressée à tous les commissaires concernant les mesures à
prendre contre les Juifs qui ne portent pas de façon évidente l'étoile jaune.
(9) CDJC-XLIXa-70 Procès-verbal, du 8 juin 1942, du brigadier Geier de la Feldgendarmerie, Trupp 913, de Paris,
concernant l'arrestation de Joseph Zaoui. n'a pas pu montrer sa carte d'identité juive et qu'il portait l'étoile jaune sur
sa chemise et non pas sur son manteau. Le brigadier l'a arrêté et transféré au dépôt du 1er arrondissement de Paris.
(10) CDJC-XLIXa-74 Circulaire du 6 juin 1942 du directeur de la PJ et du secrétaire général du préfet de police à tous
les commissaires de police de Paris et de banlieue.
(11) CDJC-XLIXa-73 Rapport du 8 juin 1942, du "Service spécial", concernant les contrôles de la Feldgendarmerie
effectués dans le 5e arrondissement de Paris.
(12) CDJC-XLIXa-32 Rapport du 10 juin 1942 du service de propagande du Militärbefehlshaber in Frankreich, section
de propagande Paris, adressé au SS-Standartenführer Dr Helmuth Knochen de la Sipo-SD de Paris, concernant les
manifestations contre l'introduction de l'étoile jaune à Paris.
(13) CDJC-XLIXa-33 Note du 10 juin 1942, du SS-Obersturmführer Heinz Röthke, du service IV J de la Sipo-SD de
Paris, concernantl'introduction de l'étoile jaune.
Lire aussi : Cécile Gruat et Cédric Leblanc : Amis des Juifs, les résistants aux étoiles (Editions Tirésias - Les oubliés
de l’Histoire 2005).
Françoise Siefridt : " J'ai voulu porter l'étoile jaune " (Robert Laffont, 2010).
(14) Hélène Berr : Journal. Préface de Patrick Modiano, suivi de Hélène Berr, une vie confisquée, par Mariette Job.
Taillandier 2008.
(15) CDJC-LXXXIX-119 Note du 4 février 1944 de M. Armilhon, directeur du service Juridique et du Statut des
personnes au Commissariat général aux questions juives, adressée au directeur de la Section d'enquête et de
contrôle de Paris.
(16) CDJC - XXXVIII-102 Lettre de 1943 dénonçant Muriel Adler, danseuse juive.
(17) CDJC-XXXVIII-68 Deux lettres des 19 et 25 novembre 1942 entre le préfet de Police et le Commissariat général
aux questions juives, et un rapport joint émanant du comité d'action anti-bolchévique à propos de l'arrestation de
deux jeunes gens dans un cinéma.
(18) CDJC-XXXIII-19 Rapport d'enquête et lettre du 22 au 25 septembre 1942.
(19) CDJC-XXXVIII-83 Lettre de dénonciation du 25 janvier 1943 de M. Georges Santerne au commissaire général aux
questions juives.
(20) CDJC-XXVI-31 Lettre du 14 juin 1942 du service IV J de la Sipo SD de Paris à la Sipo SD d'Orléans.
(21) Henri Szwarc : " Souvenirs : l'étoile jaune " (Annales, Histoire, sciences sociales, 1993, vol. 48, n°3) p. 629-633
(22) CDJC-LXXXIX-92 Rapport d'enquête du 5 août 1943 de M. Douillet, chef du service des inspecteurs à la Section
d'enquête et de contrôle de Paris.
(23) AN-AJ 38-6
(24) CDJC-XLII-32 Lettre du 28 août 1942 de Jean Osvald, adressée à Louis Darquier de Pellepoix, commissaire
général aux questions juives.(18) CDJC-XLII-41 Documents administratifs du 22 septembre 1942 au 10 mars 1943.
(25) Récit de Sylviane Cuartero pour Guysen Israël News, du 14 avril 2007.
Le père, Mordka Rozen, arrêté à Saint-Dizier (Haute-Marne), incarcéré à Châlons-sur-Marne, fera passer des courriers
aux familles d'accueil de ses enfants, Colette et sa petite soeur Anette, 3 ans, avant d'être déporté avec son épouse
Bayla le 27 juillet 1942 : " J'espère que Colette n'aura pas besoin de porter l'insigne vu que nous ne sommes plus là.
Elle n'attirera pas l'attention des gens ".
(26) CDJC-XXVII-13, cité par Serge Klarsfeld : Vichy-Auschwitz 1943 (Fayard, 1983) p. 285-286.