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lundi 8 mai 2023

La carrière brisée de l'actrice Nadine Picard

Actrice populaire tout au long des années trente, la carrière de Nadine Picard (1896-1987) s'arrête brutalement en octobre 1940. Juive, elle sera protégée par son mari,  ingénieur-chimiste obligé de travailler pour l'occupant allemand.

Nadine Picard (photo Unifrance)
Tout le monde n’a pas la chance de débuter au théâtre de l’Odéon ! À seulement 22 ans, Nadine Picard y incarne Suzanne, l'un des rôles principaux du Mariage de Figaro de Beaumarchais, en août 1918, sous le pseudo de Nadine Phédia.
Nadine Picard est juive. Née à São Paulo, au Brésil, le 23 novembre 1896, ses parents sont originaires de Colmar. 
Partis en Amérique du Sud après la guerre de 1870, ils reviendront en France pour s’établir à Paris au début du XXe siècle. 
Lorsque son père meurt en 1917, Nadine vit encore chez sa mère, courtière en perles fines. 

La comédie lui permet de s'affirmer et de prendre son indépendancePropulsée par sa soeur Gisèle, née en 1895, sociétaire de l'Odéon depuis 1917, la jeune actrice monte sur les planches depuis l'âge de 13 ans. Passées par le Conservatoire de Paris, leurs carrières bifurqueront vite car Nadine préfère le boulevard au classique. 

En 1921, elle est engagée au théâtre Antoine, pour la reprise du Poussin, une pièce à succès montée en 1908 par Edmond Guiraud, auteur dramatique prolixe jusque dans les années trente.

Le 31 janvier 1925, son nom est à l’affiche du Mariage de Monsieur le Trouhadec de Jules Romains, une pièce en quatre actes, mise en scène et interprétée à la Comédie des Champs-Élysées par l'immense Louis Jouvet. 

Elle enchaîne les rôles : Week-end en 1928 à la Potinière, Le Sexe faible d’Edouard Bourdet, en 1929, à la Michodière. Une pièce adaptée en 1933 au cinéma après des centaines de représentations, par Robert Sodmiak. Ce réalisateur juif-allemand, exilé en France à l'arrivée du national-socialisme, partira finalement pour Hollywood.


Tout naturellement, Nadine Picard prendra facilement le virage du 7e art. Elle tourne avec les plus grands réalisateurs. Une quinzaine de rôles entre 1931 et 1938 sous la direction de  Raymond Bernard (fils de Tristan Bernard), Léonce Perret, 
Abel Gance, Pierre Billon, Georges Lacombe.

Elle donne la réplique aux plus grands : Charles Vanel, Fernandel, Pierre Brasseur, Victor Francen, Jean Tissier…

Des films légers tandis que montent les périls : Après l'amour, Coquin de sort, La Cure sentimentale, Faubourg Montmartre (en 1931, avec Gaby Morlay), Une nuit au paradis, Conduisez-moi Madame, L'enfant du miracle (en 1932, réalisé par André Gillois, alias Maurice Diamant-Berger, sur un scénario de son frère Henri), Les surprises du divorce, Une femme invisible, Primerose, Ferdinand le noceur, Un grand amour de Beethoven, Sarati le terrible, Je chante (en 1938, premier film avec Charles Trenet).


Protégée par son mari


Nadine Fayol, en 1937, au concours d'élégance 
de Paris (photo agence Rol)
À la déclaration de guerre de septembre 1939, sa carrière s'arrête d'un seul coup. 

Sa dernière apparition en public sera pour la réouverture du théâtre de Charles de Rochefort en octobre (ex-théâtre Tristan-Bernard, et théâtre Albert Ier, rue du Rocher, dans le 8e).

Les ordonnances antisémites allemandes l'empêchent désormais de travailler.

Heureusement, Nadine Picard sera protégée par son mari, Henri-Joseph Fayol, né en 1899, qu'elle a épousé à 24 ans, en 1920.

Licencié es-sciences, ingénieur chimiste, il est le fils de Jules-Henri Fayol (1841-1925), ingénieur de l’École des Mines de Saint-Étienne, à l’origine de la théorie classique de la gestion de projet (Fayolisme). Développée à partir de 1916 pour analyser les processus au sein de l’entreprise, le management moderne s’inspire largement de ses travaux.

Le père et le fils ne s’entendent pas. Henri-Joseph est partisan du taylorisme, en opposition aux conceptions de son père qui n’accepte pas le mariage de son fils avec une « juive »...

Avec l’occupation allemande, Henri-Joseph Fayol devient le principal distributeur de fer, fonte et acier de l'Office central de distribution des produits industriels. Il comptait parmi les rouages essentiels utiles aux autorités allemandes d'occupation. 

Début juin 1942, le mari protecteur demande au Secrétaire d’État à la Production Industrielle une faveur pour son épouse : qu’elle soit dispensée du port de l’étoile jaune.

Jean Bichelonne, en poste depuis avril, polytechnicien haut fonctionnaire avant guerre, membre de la délégation française lors de l’Armistice fin juin 1940, transmet sans hésiter la demande d’exemption au Dr Michel, chef de la division économique de l'administration militaire allemande. Il souligne le rôle de Fayol, «  d'une importance primordiale dans les circonstances auxquelles doit faire face l'économie française » : 

« Henri Fayol, au nom de sentiments devant lesquels je ne peux que m'incliner, est venu me faire part de l'impossibilité dans laquelle il se trouverait de continuer à pourvoir à l'accomplissement de sa tâche si les dispositions de l'ordonnance du 29 mai 1942 devaient être applicables à Mme Fayol ».

Et de conclure sa missive : « Je vous serais en conséquence très obligé de bien vouloir me prêter votre éminent appui auprès des autorités compétences pour que soient accordées à Mme Fayol les dispositions exceptionnelles indispensables. » (1)


Sur la base de ces arguments, l'exemption de l'étoile jaune est accordée jusqu'au 31 août 1942 et prolongée jusqu'au 31 novembre 1942.  Un privilège rare.

Cette dispense aidera Nadine Picard-Fayol qui échappera à la déportation et restera vivre à Paris. 

À la Libération, on retrouve Henri-Joseph Fayol à la tête de filiales de l'empire industriel textile Boussac, jusqu'à sa retraite en 1963. En 1945, il préside la commission des prix du CNPF (Patronat Français) et en 1966 son comité national.


Lorsqu’il meurt, le 25 mars 1982, il n'est pas inhumé dans le caveau familial, à Presles, mais dans celui des Picard au cimetière du Montparnasse.

En 1945, Nadine Picard fera la connaissance du dramaturge Pierre Barillet (1923-2019) qui lui consacrera un monologue posthume « Moi, Nadine Picard », joué en 2010.

À l’abri du besoin, l’actrice mènera une vie très mondaine. Elle ne joue plus mais reste encore influente dans le milieu artistique qui fréquente son luxueux salon de l'avenue Foch à Paris.

Au décès de sa soeur Gisèle, elle lâche à propos de l’héritage :

« C'est dommage que ça me tombe dessus maintenant, j'aurai pas le temps de tout dépenser... » (2)

L'actrice populaire des années trente disparaît le 1er juillet 1987, à l'âge de 91 ans.


T.N-G


(1) CDJC-XXVa-180 Quatre documents du 2 juin 1942 au 8 septembre 1942.

CDJC-XXVa-163 Demande appuyée par une lettre du SS-Hauptsturmführer Maulaz, pour Mme Fayol, Charles Simon, Robert Eisler et Fritz Jacob Rothschild. Les Dr Michel et Matzke appuient aussi cette demande groupée. L'exemption, demandée pour une période de trois mois, est accordée par le SS-Standartenführer Helmuth Knochen.

(2) https://compagnieaffable.com/2016/06/07/muriel-cypel-dans-moi-nadine-picard/


Autres sources : la thèse de Blima Rajzla Lorber (Université de Sao Paulo) Faculté de philosophie, lettres et sciences humaines, études juives, « Les Brésiliens dans l’Holocauste et dans la Résistance contre le nazi-fascisme » (2021)


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LA FILMOGRAPHIE COMPLÈTE



Nadine Fayol au concours d’élégance automobile, Parc des Princes 14.6.1927 (Agence Rol) Gallica



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