L’étoile jaune, obligatoire en zone occupée à partir du 7 juin 1942, a facilité nombre d'arrestations et de déportations. Exemples opposés, avec deux femmes remarquables qui n'ont pas connu le même sort.
Tamara Isserlis n’est pas revenue d'Auschwitz
Dimanche 7 juin 1942 : les Juifs de France, dès l'âge de six ans révolus, doivent porter l'étoile juive, bien visiblement sur le côté gauche de la poitrine, solidement cousue sur le vêtement. Ne pas la porter, ou simplement la dissimuler, constituaient des motifs de déportation.
Serge Klarsfeld évoque brièvement dans « L’Étoile des Juifs » (1), le sort de Tamara Isserlis, jeune étudiante en médecine de 24 ans.
Au métro Cluny, alors qu’elle sortait de l’hôpital des Enfants Malades, elle sera arrêtée le 8 juin 1942.
Motif : sous son étoile jaune, elle portait un ruban tricolore. Tout un symbole !
Elle sera également citée par Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014, dans son roman « Dora Bruder », comme une possible camarade d'infortune de son héroïne : « Sa carte d'identité, que l'on a retrouvée, indique qu'elle habitait 10 rue de Buzenval à Saint-Cloud. Elle avait le visage ovale, les cheveux châtain blond et les yeux noirs. » (2)
Le rapport de la Feldgendendarmerie précise qu'elle n'avait pas montré sa "carte d'identité juive". (3)
Internée à la prison des Tourelles malgré l’intervention de son directeur de thèse - l’éminent Pr Robert Debré qui bénéficiait d’une dérogation au Statut des Juifs lui permettant de continuer d'exercer - elles seront 66 femmes transférées au camp de Drancy, la plupart pour défaut « d’insigne ».
Le 22 juin 1942, elles partiront par le convoi n° 3, direction Auschwitz, le premier convoi comprenant des femmes. Arrivées le 24 juin, elles seront sélectionnés pour des travaux forcés.
Au bout de quelques mois, en novembre, Tamara mourra du typhus.
Elle était née le 17 avril 1918 à Saint-Cloud où vivaient ses parents, Alexandre Isserlis (1884-1945) et Marie Gourevitch (1884-1970). Naturalisés français, originaires de la Russie tsariste et de Lituanie, ils avaient fui l’antisémitisme. En France, sa mère termina ses études de médecine, et son père travaillait à l’ORT, organisation d’entraide et de formation de juifs émigrés.
En juin 1940, Tamara n'a pas pris la route de l’exode avec ses parents, son jeune frère Georges, 14 ans, et sa soeur Betty. Externe des hôpitaux, elle resta à Paris et les rejoindra plus tard, à Buzançais, dans l’Indre, avant de rentrer à Paris, rappelée par l’Assistance Publique. Un retour qui lui sera fatal.
Parents, frère et soeurs se réfugieront à Loches (Indre-et-Loire) jusqu’à fin août 1942, avant de rallier la zone libre à Antibes, où ils apprendront la déportation de Tamara. Par prudence, ils partiront à Nice, ville encore protégée par l'occupation italienne. Le Dr Marie Isserlis y dirigeait le centre médico-social de l’OSE qui soignait et plaçait des enfants juifs. En août 1943, ils iront près d'Arles, ville moins exposée, où vivait un frère de M. Isserlis.
Resté à Nice, Georges sera arrêté par la Gestapo. Du train où il devait rejoindre Drancy, il réussira à s’échapper par une fenêtre des toilettes, à l’approche de la gare d’Arles où l’attendait le pasteur Pierre Gagnier, membre du réseau de résistance Marcel.
Avec son épouse Hélène, il cachaient des enfants juifs. Fournissant papiers d'identité et certificats de baptêmes, ils trouvaient des filières vers la Suisse ou les Cévennes. En 2010, ils seront faits Justes parmi les Nations par Yad Vashem.
À titre posthume, Tamara Isserlis recevra le titre de docteur en médecine et son frère Georges deviendra médecin.
En 1945, on dénombrait seulement 34 survivants du convoi n°3…
Nadine Picard, exemptée de l'étoile jaune
Nadine Picard (photo Unifrance) |
Née à São Paulo, au Brésil, le 23 novembre 1896, ses parents originaires de Colmar, partis en Amérique du Sud après la guerre de 1870, reviendront s’établir à Paris au début du XXe siècle.
Lorsque son père meurt en 1917, Nadine vit encore chez sa mère, courtière en perles fines.
Depuis l'âge de 13 ans, elle est passionnée de théâtre. La comédie lui permet de s'affirmer.
Avec sa soeur Gisèle, elle fait le Conservatoire de Paris et à seulement 22 ans, elle est au théâtre de l'Odéon pour incarner Suzanne, l'un des rôles principaux du Mariage de Figaro de Beaumarchais. En 1925, son nom sera à l’affiche du Mariage de Monsieur le Trouhadec de Jules Romains, pièce mise en scène et interprétée à la Comédie des Champs-Élysées par l'immense Louis Jouvet.
Elle enchaîne les rôles à la Potinière, à la Michodière, etc.
Tout naturellement, l'artiste prend le virage du 7e art. Elle tourne avec les plus grands réalisateurs. Une quinzaine de rôles entre 1931 et 1938 sous la direction de Raymond Bernard (fils de Tristan Bernard), Léonce Perret, Abel Gance, Pierre Billon, Georges Lacombe, Maurice Diamant-Berger. Elle donne la réplique aux plus grands : Charles Vanel, Fernandel, Pierre Brasseur, Victor Francen, Jean Tissier…
Des films aux titres légers tandis que montent les périls : Après l'amour, Coquin de sort, La Cure sentimentale, Faubourg Montmartre, Une nuit au paradis, Conduisez-moi Madame, L'enfant du miracle, Les surprises du divorce, Une femme invisible, Primerose, Ferdinand le noceur, Un grand amour de Beethoven, Sarati le terrible, Je chante, premier film avec Charles Trenet.
Le décret du 6 juin 1942 du régime de Vichy réglementant les professions artistiques l’empêcheront de poursuivre son activité.
Heureusement, Nadine sera protégée par son mari.
Henri-Joseph Fayol, ingénieur chimiste, sera pendant l’Occupation le principal distributeur de fer, fonte et acier de l'Office central de distribution des produits industriels. Un rouage essentiel.
Début juin 1942, ce mari protecteur demande au Secrétaire d’État à la Production Industrielle une faveur pour son épouse : qu’elle soit dispensée du port de l’étoile jaune.
Jean Bichelonne, polytechnicien et haut fonctionnaire avant guerre, transmet sans hésiter la demande et souligne le rôle de Fayol, « d'une importance primordiale dans les circonstances auxquelles doit faire face l'économie française » : « Henri Fayol, au nom de sentiments devant lesquels je ne peux que m'incliner, est venu me faire part de l'impossibilité dans laquelle il se trouverait de continuer à pourvoir à l'accomplissement de sa tâche si les dispositions de l'ordonnance du 29 mai 1942 devaient être applicables à Mme Fayol ». (4)
Sur la base de ces arguments, l'exemption de l'étoile jaune sera accordée à Mme Picard-Fayol jusqu'au 31 août 1942 et prolongée jusqu'au 31 novembre 1942. (5)
Nadine restera vivre à Paris, sans être inquiétée jusqu'à la Libération. Son mari poursuivra sa carrière dans l'empire industriel textile Boussac, avec des responsabilités au CNPF (Patronat Français). Lorsqu’il meurt en 1982, il ne sera pas inhumé dans le caveau familial mais dans celui des Picard au cimetière du Montparnasse, car sa famille n'avait pas accepté son mariage avec une juive...
En 1945, Nadine Picard fera la connaissance du dramaturge Pierre Barillet (1923-2019) qui lui consacrera un monologue posthume « Moi, Nadine Picard », joué en 2010.
À l’abri du besoin, l’actrice mènera une vie très mondaine. Elle ne joue plus mais reste encore influente dans le milieu artistique qui fréquente son luxueux salon de l'avenue Foch à Paris.
Au décès de sa soeur Gisèle, elle lâche à propos de l’héritage :
« C'est dommage que ça me tombe dessus maintenant, j'aurai pas le temps de tout dépenser... » (6)
À l’abri du besoin, l’ex-actrice mènera une vie très mondaine jusqu'à sa mort en 1987 à 91 ans, dans un quasi anonymat.
Tamara Isserlis et Nadine Picard illustrent deux destins opposés : une mort programmée pour l’une, un sauvetage inespéré pour l’autre.
À l’inéluctable s’opposera le défi de la survie, malgré le silence d’une époque qui voulait tourner la page. Une posture assumée par respect pour celles et ceux qui ne sont pas revenus de l’enfer.
Remettre un peu de lumière sur ces vies sauvées, rappeler leur histoire, permet de ne pas les oublier, de leur redonner cette identité que la perversité du système nazi voulait faire disparaître.
Thierry Noël-Guitelman
- Serge Klarsfeld, L’Étoile des Juifs, Archipel, 2002, p. 150
- Patrick Modiano, Dora Bruder, Folio, Gallimard, 1999, p. 116
- CDJC XLIXa-69 rapport du 8 juin 1942
- CDJC-XXVa-180 quatre documents du 2 juin 1942 au 8 septembre 1942
- CDJC-XXVa-163 exemption accordée par le SS-Standartenführer Helmuth Knochen
- https://compagnieaffable.com/2016/06/07/muriel-cypel-dans-moi-nadine-picard/ Autres sources : la thèse de Blima Rajzla Lorber (Université de Sao Paulo) Faculté de philosophie, lettres et sciences humaines, études juives, « Les Brésiliens dans l’Holocauste et dans la Résistance contre le nazi-fascisme » (2021)
LA FILMOGRAPHIE COMPLÈTE
- 1920 : Le Lys du Mont Saint-Michel de Henry Houry et J. Sheffer
- 1931 : Sola de Henri Diamant-Berger : Nadia (avec Marguerite Moreno, Pierre Larquey)
- 1931 : Faubourg Montmartre de Raymond Bernard : Fernande (avec Gaby Morlay, Charles Vanel, Pauline Carton, Antonin Artaud)
- 1931 : Après l'amour de Léonce Perret : Mme Stivié (avec Victor Francen et Gaby Morlay)
- 1932 : Une nuit au paradis de Pierre Billon et Karel Lamač : Huguette Fluet
- 1932 : L'Enfant du miracle de D. B. Maurice : Josette (avec Pierre Larquey et Ginette Leclerc)
- 1932 : Conduisez-moi Madame de Herbert Selpin : Véra de Saurin
- 1932 : La Cure sentimentale de Pierre Weill et Max Dianville
- 1932 : Coquin de sort d'André Pellenc : Odette Desroses
- 1933 : Le Sexe faible de Robert Siodmak : Lily (avec Marguerite Moreno, Pierre Brasseur, Mireille Balin, Suzy Delair).
- D'après une pièce d’Edouard Bourdet, jouée en 1929 par Nadine Picard à la Michodière, adaptée au cinéma après des centaines de représentations. Robert Sodmiak, réalisateur juif-allemand, s'était exilé en France à l'arrivée du national-socialisme. Il quittera la France pour Hollywood, avant la déclaration de guerre.
- 1933 : Les Surprises du divorce de Jean Kemm : Diane
- 1933 : La Femme invisible de Georges Lacombe
- 1934 : Primerose de René Guissart : la mondaine (avec Madeleine Renaud et Marguerite Moreno)
- 1935 : Ferdinand le noceur de René Sti : Amandine (avec Fernandel, Paulette Dubost, Pauline Carton, Julien Carette)
- 1937 : Un grand amour de Beethoven d'Abel Gance (avec Harry Baur, Jean-Louis Barrault, Marcel Dalio, Roger Blin)
- 1937 : Sarati le Terrible d'André Hugon : Alice (avec Harry Baur, Marcel Dalio, Jean Tissier)
- 1938 : Je chante de Christian Stengel : Mlle Valle (avec Fernandel, Julien Carette, Jean Tissier, Alfred Adam)
- 1949 : Sans tambour ni trompette de Roger Blanc (avec Jules Berry, Gaby Morlay, André Gabriello)
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