samedi 29 mai 2021

Ne touchez pas à la place de l’étoile jaune !

7 juin 1942 : dans la France occupée, le port de l’étoile jaune devenait obligatoire pour les Juifs de plus de six ans, suite à l’ordonnance allemande du 29 mai. 79 ans plus tard, cette étoile est détournée par des mouvements complotistes, antisémites, islamistes et anti-sionistes. 


« Un officier allemand s’avance vers un jeune homme et lui dit : « Pardon, monsieur, où se trouve la place de l’Étoile ? Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine » écrivait Patrick Modiano dans son roman La Place de l’Étoile publié en 1968. 

Cette affiche de propagande a été produite 
en 1942, et apposée dans la France occupée 
© Archives Larbor
Ce « marquage » humiliant, destiné à repérer toute une communauté, facilitera arrestations et déportations. Une pièce essentielle du puzzle de la « Solution finale » qui renvoyait à la rouelle de Saint Louis en 1269 et aux expulsions par Philippe Auguste en 1182. 

Un processus de mort engagé dès la fin 1939 en Pologne, fin 1941 en Allemagne, en avril 1942 aux Pays Bas et le 1er juin 1942 en Belgique.


L’étoile jaune sera distribuée avec le soutien actif de l’Etat français du maréchal Pétain, dans les commissariats et les sous-préfectures. Si le gouvernement de Vichy s’opposa à l’étoile jaune en zone sud, après l’invasion allemande du 11 novembre 1942, la mention « Juif » tamponnée en rouge, deviendra obligatoire sur les papiers d’identité et les cartes d’alimentation. L’étau se resserrait partout…


2021 : l’étoile jaune n’est plus sur le coeur des Juifs de France mais il saigne toujours…

Le 22 mai dernier, à Paris, l’humoriste Jean-Marie Bigard, lors d’un rassemblement contre le pass sanitaire, dérape à la tribune : « Et pourquoi ils nous colleraient pas une étoile jaune pour qu'on soit repéré plus facilement ? », proférant au passage des menaces de mort contre Agnès Buzin, ex-ministre de la Santé. 

Au micro de la chaine russe RT France, il renchérit : «  C’est une honte nationale ! Il faut absolument mettre un signe distinctif comme on l’a fait pour les juifs à la deuxième guerre mondiale ».

Les réactions n’ont fait qu’amplifier les propos du populiste tandis que l’Allemagne envisage, elle, une vraie riposte. Felix Klein, commissaire allemand chargé de la lutte contre l’antisémitisme, veut carrément faire interdire le port de l’étoile jaune dans les manifestations, pour ne pas banaliser la Shoah. Les villes de Munich et Wiesbaden l’ont déjà décidé en juin et juillet 2020 lors de rassemblements anti-confinement.

Les anti-vaccins cherchent aussi à s’identifier aux Juifs persécutés en faisant un parallèle grossier entre les crimes nazis et les mesures gouvernementales. 

Des sites complotistes et d’extrême-droite relaient allègrement ces amalgames faciles en évoquant la « dictature sanitaire ». Les vaccins sont même assimilés aux expériences médicales du Dr Mengele…

L’étoile jaune, symbole de stigmatisation des Juifs, est détournée pour clamer le refus d’être vacciné. Certains remontent même au Moyen Âge, en évoquant le Juif propagateur de la peste noire… En 1349, Strasbourg verra la moitié de sa population juive brûlée vive lors du massacre de la saint Valentin. Deux mille personnes périront, non pas de la peste, mais de la haine de corporations qui les accusaient d’avoir empoisonné l’eau des puits !

2019 : autre détournement des faits lorsque l’étoile jaune avec un croissant sera arborée lors de manifestations contre l’islamophobie. Les organisateurs évoquaient la similitude de la stigmatisation d’une communauté sur la base de sa religion…

Sauf que le climat des années 40 n’a rien de comparable avec la France contemporaine. 

Six millions de juifs ont péri dans les camps d’extermination nazis, dont 76.000 partis de France.

Sauf qu’en 2012 le terrorisme islamiste a tué des enfants innocents dans une école juive de Toulouse.

Sauf qu’en 2014, lors d’une manifestation pro-palestinienne, à Paris, on a entendu «  Mort aux juifs ! » et des restaurants cacher seront dévastés.

Sauf qu’en 2015, l’islamisme a encore tué quatre otages juifs à l’Hyper Cacher de Vincennes.

Sauf qu’en 2017, Sarah Halimi, 65 ans, est défenestrée par un homme jugé récemment pénalement irresponsable.

Sauf qu’en 2018, Mireille Knoll, 85 ans, rescapée de la Shoah, est poignardée à son domicile par deux individus mis en examen pour meurtre antisémite. Emmanuel Macron, président de la République, présent à ses obsèques, évoquait « l’obscurantisme barbare ». 

2019 : les actes antisémites ont progressé de 27 % (687 contre 541 en 2018 : source Ministère de l’Intérieur). 

2020 : malgré le confinement dû à la Covid-19, le nombre d’agressions physiques (44) est resté inchangé (45 en 2019). Et Miss Provence sera insultée pour ses origines israéliennes.

« L’antisémitisme est un virus qui mute » expliquait alors Haïm Korsia, le grand rabbin de France, considérant que « la façon de lutter contre cette haine doit muter aussi ». 

Il réagissait à un sondage révélant que 34 % des juifs de France se sentent menacés. 2021 : la haine déferle toujours sur les réseaux sociaux, excitée par les nouveaux tensions du Moyen-Orient suite aux émeutes de Sheikh Jarrah à Jérusalem-est. 

Pour 2022, année d’élection présidentielle, quel sera le niveau de cette haine ? 

L’an prochain ce seront les 80 ans de l’instauration de l’étoile jaune. Un triste anniversaire en perspective…


Thierry Noël-Guitelman




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