Pour les avocats juifs, l'obligation de porter l'étoile sur leur robe sera vécue comme un outrage. Certains envisageront même une action collective de protestation.
Le 5 juin 1942, Zeitchel, expert aux questions juives à l'ambassade d'Allemagne, s'adresse en ces termes à Dannecker, responsable du service juif de la Sipo-SD de Paris :
" Le comte de Brinon, secrétaire d'Etat, a appris que les avocats et notaires Français projettent un manifeste et recueillent des signatures dans l'intention de faire exempter leurs collègues juifs du camp de Drancy du port de l'étoile jaune.
Darquier de Pellepoix a l'intention de faire arrêter tous les avocats qui prendront part à cette action. L'ambassade n'y voit pas d'inconvénient.
Darquier de Pellepoix a l'intention de faire arrêter tous les avocats qui prendront part à cette action. L'ambassade n'y voit pas d'inconvénient.
Prière au SD de prêter son appui à cette mesure énergique en faveur des ordonnances allemandes ".
En marge, la mention " A Drancy ! " a été rajoutée à la main... (1)
Le 11 juin, " Le Cri du peuple " donne dans son registre habituel, antisémite, en titrant : " Un scandale au Palais de Justice. Sur sa robe d'avocat, une Juive arbore l'étoile juive ".
Zeitchel ajoute à Dannecker ce commentaire sans ambage : " Se pose la question générale de savoir si, dans le cas d'uniformes quelconques, parmi lesquels il faut aussi compter, dans un sens plus large, la robe des juges et des avocats, il existe l'obligation de porter l'étoile juive.
Eu égard précisément au fait que, conformément au recensement effectué, les plus néfastes agitateurs des juifs se trouvaient dans tous les pays d'Europe, en particulier parmi les avocats, je proposerais de ne pas prendre d'égards envers la robe et d'y introduire également l'obligation de porter l'étoile juive ". (2)
Le 24 juin, un courrier entre la préfecture et le ministère de l'intérieur fait état que le service de surveillance du palais de justice comprend trois agents " de race juive ", anciens combattants de la guerre 1914-1918, mutilés et décorés, et toujours en fonction.
Ces agents, dont deux sont concierges, sont donc en contact avec le public.
Depuis l'application de la 8e ordonnance, ils ont été écartés du public mais ces agents ont demandé à ne pas porter l'étoile dans l'exercice de leurs fonctions. Aussi, la préfecture de la Seine demande si une dérogation est possible en faveur d'agents en uniforme.
Le préfet délégué du ministère de l'intérieur, qui avait transmis le courrier préfectoral, se voit répondre par le Commissariat général aux questions juives que les dérogations en question ne peuvent dépendre que des autorités allemandes qui ont seules " qualité pour faire droit à la demande des trois agents du Palais de justice ". (3)
La demande n'aura bien sûr aucune suite...
" Mauvaise volonté du barreau "...
Le 15 juillet 1942, Röthke, successeur de Dannecker, demandera au CGQJ d'intervenir : " A plusieurs reprises, notre attention a été attirée sur le fait que des notaires, avocats et avoués juifs, ne portaient pas l'étoile juive ni au Palais de justice, ni devant les autres tribunaux. Je vous demande de faire vérifier l'exactitude de ces informations et de me signaler les cas d'infractions, avec l'adresse des intervenants ". (4)
Dans une lettre du 2 octobre 1942, Ziegler de Loes, chargé de mission du CGQJ, répond que le Palais de justice se trouvant en vacances de juillet à octobre, l'enquête " prescrite n'a pu aboutir pour le moment ". (5)
Le bâtonnier Jacques Charpentier cherche à gagner du temps...
Richard Weisberg, dans " Vichy,la Justice et les Juifs " évoque la lettre du procureur général Dardot qui justifie la situation par " la hiérarchie en vigueur au palais " (6).
Charpentier répondra que douze à quatorze avocats sont encore en fonction sans porter l'étoile " volontairement, malgré les observations faites ".
Ziegler de Loes estimera que Charpentier " a témoigné une mauvaise volonté évidente en affirmant qu'il lui était impossible de contrôler la présence plus ou moins fréquente de certains avocats au palais ".
Et de conclure : " Il a somme toute, à nos demandes, opposé une fin de non-recevoir ".
Pour Weisberg, cette attitude est considérée comme un " souci d'indépendance " du barreau qui refusa de prêter serment à Pétain, à la différence des magistrats, sans pour autant considérer comme prioritaire le refus de la ségrégation contre les avocats juifs.
Robert Badinter, au contraire, insiste sur " l'adhésion du barreau au processus d'exclusion " et parle de " réalité historique d'autant plus tragiquement imprévisible qu'elle était contraire au principe d'égalité toujours proclamé par eux ". (7)
(1) CDJC-XLIXa-110 Cette note évoquait aussi le contrôle de 108 prêtres juifs et la manifestation prévue le 7 juin 1942, en réaction à l'introduction de l'étoile.
Voir aussi, Serge Klarsfeld, L'Etoile des Juifs, L'Archipel 1992, p. 109.
(2) Serge Klarsfeld, L'Etoile des Juifs, L'Archipel 1992, p. 111.
(3) CDJC-CXCIII-72 Lettre du 24 juin 1942 du préfet de la Seine au préfet délégué du Ministère de l'intérieur, et la réponse du CGQJ.
(4) CDJC-XXIII-6 Ordre du 15 juillet 1942.
(5) CDJC-CXV-80 Lettres du 2 octobre au 28 octobre 1942.
(6) CDJC-CVIII-13 Lettre du 21 octobre 1942, et Richard Weisberg, " Vichy, la Justice et les Juifs " (Editions Archives contemporaines, 2006, p.92)
(7) RobertBadinter : " Un antisémitisme ordinaire, Vichy et les avocats juifs 1940-1944 " (Fayard, 1997, p.39, et de 191 à 202).
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