lundi 14 septembre 2020

POUR COMPRENDRE LE ZELE DE LA POLICE

Dès le décret-loi du 22 juillet 1940 révisant les naturalisations établies depuis 1927, où 8000 juifs perdront leur nationalité française, les autorités de Vichy devanceront les ordonnances allemandes en matière de répression antisémite.

Suivra l'ordonnance allemande du 27 septembre 1940 énonçant les critères d'appartenance à la religion juive, entrainant le recensement des personnes et des entreprises juives. Dans la foulée, l'Etat français adoptera le 3 octobre 1940 son premier "Statut des Juifs" applicable aussi bien en zone "libre" qu'en zone occupée...

Ainsi, jusqu'en août 1944, c'est au nom des ordonnances allemandes qu'elles étaient obligées de faire appliquer depuis l'armistice, que police et administration françaises se révèleront de parfaits exécuteurs d'ordres pour mener la répression raciale : fichiers, arrestations, interrogatoires, internements, rafles, seront facilités par la politique de collaboration franco-allemande mise en place à partir de la rencontre du 24 octobre 1940 entre Hitler et Pétain, à Montoire.

Création du Commissariat Général aux Questions Juives (loi du 29 mars 1941), réorganisation de la police nationale (loi du 23 avril 1941), second Statut des Juifs (loi du 2 juin 1941), "aryanisation" des biens juifs (loi du 22 juillet 1941), création de la Police aux questions juives (PQJ) (arrêté du 19 octobre 1941), création de l'UGIF (Union Générale des Israélites de France) (loi du 29 novembre 1941)... Tout cet arsenal rendra la collaboration active.

Lors de la première rafle du 14 mai 1941, dite "rafle du billet vert" liée à la couleur de la convocation, plus de 3700 Juifs étrangers seront arrêtés par la police française. Serge Klarsfeld, dans "Vichy-Auschwitz - Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la Question Juive en France - 1942" cite le rapport établi sans ambiguïté par la Préfecture de Police : « En accord avec la Délégation générale du Gouvernement français dans les Territoires occupés et sur la demande des Autorités d'occupation, la Préfecture de Police a procédé ce matin, sur convocations, à la concentration de ressortissants polonais juifs, âgés de 18 à 40 ans, et de ressortissants tchécoslovaques et ex-autrichiens, âgés de 18 à 60 ans ». (1)

Un irréversible processus s'enclenche avec les rafles suivantes : le 20 août 1941, visant les Juifs français, puis le 12 décembre 1941, la rafle des notables en représailles d'attentats anti-allemands.

L'irréparable arrivera avec le premier convoi des déportations vers l'Est... le 24 mars 1942, parti à midi de la gare du Bourget-Drancy, avec une halte à Compiègne. Direction Auschwitz pour 1.146 Juifs.

Tout s'accélère avec la nomination le 18 avril 1942 de René Bousquet, Secrétaire général à la Police. La "coopération policière franco-allemande" sera fixée par d'intenses négociations entre Bousquet et le général SS Carl Oberg, Höhere SS und Polizeiführer, chef supérieur de la SS et de la police en zone occupée.

L'accord du 2 juillet 1942 scellera le sort de 40.000 Juifs de France déportables : Bousquet s'est engagé à livrer 10.000 Juifs de zone libre et d'arrêter 20.000 Juifs en région parisienne, tous étrangers. Environ 6.500 Juifs français - que Pétain et Laval veulent jusqu'alors distinguer des étrangers - le seront d'ici la fin 1942.

Le 4 juillet 1942, Laval propose la déportation à partir de 2 ans des enfants de Juifs apatrides à arrêter en zone non occupée. Le 17 juillet 1942 la police française envisage la déportation de 4.051 enfants à partir de 2 ans, des Juifs apatrides, arrêtés à Paris, la veille, lors de la rafle du Vél'd'Hiv. Proposition acceptée par Eichmann et appliquée massivement à partir du 17 août. La rafle se déroulera avec la participation des policiers et gendarmes français sur ordre de Vichy.

Le 19 juillet 1942, un premier convoi des raflés prend la direction d'Auschwitz avec 1.000 personnes, dont 172 Juifs français livrés par Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture régionale de Bordeaux. Dès son arrivée à Birkenau ce convoi n°7 verra 375 hommes immédiatement gazés...

Suivront l'accord de collaboration entre les polices françaises et allemandes début août 1942, et les rafles en zone libre le 26 août. En moins d'un mois, entre le 7 août et le 5 septembre, 9.872 Juifs seront transférés à Drancy par la police de Vichy, dont 6.584 arrêtés en zone libre...

Un nombre plus bas que prévu alors que les protestations s'enchainent au sein des autorités religieuses et du Consistoire central et entraineront un ralentissement du "programme" prévu de 13 trains pour septembre. Une grande rafle de plus de 5.000 Juifs français, prévue le 22 septembre à Paris, sera annulée, la police parisienne se limitant à l'arrestation de 1.574 Juifs roumains le 24 septembre. Le lendemain, ils seront 729 avec 63 de leurs enfants, français, a être inclus dans le convoi n° 37 parti de Drancy... Le 28, ils seront 609 et 67 enfants à constituer le gros du convoi n° 38. Les contingents de mille Juifs ne sont plus respectés... Eichmann est informé qu'il ne sera pas possible de déporter des contingents élevés, et le "programme" d'octobre est annulé.

Le 6 octobre, Röthke, responsable du service des Affaires Juives de la Gestapo, transmet à tous les commandos de la Sipo-SD l'ordre qui vise à l'arrestation de Juifs étrangers. Cet ordre commence par la formule : « Dans le cadre de la solution finale de la question juive et en ayant recours à la police française, les Juifs des nationalités qui suivent doivent être arrêtés... » Fin octobre, le résultat total sera de 1.965 Juifs, auxquels s'ajouteront 600 Juifs de Drancy.

Avec l'occupation de la zone libre par les Allemands à compter du 11 novembre, Bousquet indique aux préfets que « toutes opérations de police ne peuvent et ne doivent être effectuées que par la police française ».

Un mois plus tard, la loi du 11 décembre 1942, impose la mention "Juif" sur les papiers d'identité et les cartes d'alimentation dans la nouvelle zone sud, pour les Juifs français et étrangers. Une obligation qui s'ajoute à l'étoile jaune, imposée au 1er juin 1942 par les Allemands, en zone occupée, où le cachet "Juif" existait déjà...

Dans un tableau récapitulatif des 43 convois de l'année 1942, dressé par Serge Klarsfeld, sur 41.951 déportés à Auschwitz (dont 6.000 enfants de moins de 17 ans), 24.361 seront gazés à leur arrivée. Soit, sur 11 semaines de mars à novembre, une moyenne de 3.000 Juifs par semaine. On dénombrera 805 survivants en 1945. (2)

Au total, du 27 mars 1942 au 17 août 1944, les 79 trains partis vers Auschwitz entraîneront l'extermination de près de 76.000 Juifs...

« Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français » déclarait le Président de la République, Jacques Chirac, dans son célèbre discours prononcé lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vél'd'Hiv le 16 juillet 1995, reconnaissant la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs. « Le 16 juillet 1942, 4.500 policiers et gendarmes, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis ».

A la Libération, outre des exécutions expéditives sans procès de policiers et de miliciens, l'épuration de la police permettra de juger les fonctionnaires les plus zélés. 

En 1954, le "bilan définitif" après les recours liés à la loi d'amnistie de 1953, seulement 2.019 policiers seront sanctionnés dont 1.162 révoqués. « Depuis la fièvre épuratoire de la Libération : au total 41 % des sanctions (1.440) ont été annulées et 36 % des révocations (663) » relève Jean-Marc Berlière dans "Les policiers français sous l'Occupation". A la Préfecture de Police, véritable Etat dans l'Etat, 1.906 sanctions, 800 révocations, 164 retraites d'office, soit un policier sur dix sanctionné en 1945. Dans la hiérarchie, 52 révocations sans pension. 196 policiers parisiens seront condamnés par la justice, dont plus de 20 à la peine de mort. (3) 

68 Justes parmi les Nations

Serviteurs de l'Etat et de l'ordre, police et gendarmerie françaises ne constituaient pas un corps homogène. Face aux dérives collaborationnistes, quelques uns ont renoncé à l'obéissance imposée par leurs fonctions, contribuant avec d'autres français à sauver les trois quarts de la communauté juive de France. Ainsi, 68 policiers et gendarmes qui n'ont pas hésité à mettre leur vie en danger pour sauver des Juifs, ont reçu le titre de "Justes parmi les Nations", décerné par l'Etat d'IsraëlA Nancy, sept policiers du service des étrangers préviendront des familles et sauveront quelque 300 personnes de la rafle du 19 juillet 1942. Ces policiers, qui seront reconnus Justes, « que l'on peut qualifier d'humanistes n'ont jamais appartenu à l'une des trois organisations de la Résistance dans la police » relève Maurice Rajsfus dans "La police de Vichy". (4) 

Peu de policiers ont prévenu leurs futures victimes des rafles et seule une minorité s'engagea tôt dans la Résistance, quand d'autres attendront la dernière heure. Plus de 150 policiers tomberont dans les ultimes combats de la Libération de Paris et « dans la matinée du samedi 19 août 1944, les Parisiens incrédules découvrent le drapeau tricolore flottant sur la préfecture de police. Beaucoup s'étonnent : la police n'a-t-elle pas été pendant quatre ans l'auxiliaire fidèle d'un occupant qu'elle a protégé et dont elle a pris en charge une partie des tâches ? » interroge J.M. Berlière dans un chapitre intitulé Résistance ou opportunisme ?... (5) 

Au bilan, indulgence, pardon et oubli dominent à part quelques "exemples" :

René Bousquet (1909-1993) et Jean Leguay (1909-1989) constituent le meilleur exemple au plus haut niveau de la hiérarchie. Le premier, acquitté par la Haute Cour en 1949, mènera une carrière dans le privé après guerre. Poursuivi pour crime contre l'humanité en 1989, inculpé en 1991, l'action de la justice s'éteindra le 8 juin 1993, lorsqu'il sera assassiné à son domicile.

Leguay, délégué de Bousquet en zone occupée, verra sa révocation de 1945 annulée en 1955. Menant aussi une carrière dans le privé, il est à la retraite lorsqu'en 1979 il est inculpé de crime contre l'humanité pour son rôle dans l'organisation de la rafle du Vél'd'Hiv. Il meurt avant l'ouverture d'un procès.

Amédée Bussières (1886-1953), préfet de police de mai 1942 à août 1944, sera condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1946 mais bénéficiera d'une remise de peine. 

André Tulard, né en 1899, directeur du fichier juif, meurt en 1967 sans être inquiété. 

Jean François, né en 1884, directeur des Affaires juives à la Préfecture de police, obtiendra deux classements par la justice en 1946. En 1954, il est même nommé directeur honoraire, et n'a jamais été sanctionné. 

Emile Hennequin (1887-1977), directeur de la police municipale, jugé en 1947, écopera de 8 ans de travaux forcés. Gracié en 1948, il sera mis à la retraite d'office.

Charles Permilleux, né en 1896, sous directeur du service spécial des affaires juives à la Direction de la PJ de la Préfecture de police, obtiendra un classement par la justice en 1946. La commission d'épuration avait proposé sa révocation sans pension... En 1949, le Conseil d'Etat déclare un "vice de forme" et Permilleux est rétabli dans ses droits au 1er septembre 1944.

Parmi ses inspecteurs, Henri Jalby, impliqué dans plus de 200 arrestations, est révoqué sans pension, son dossier est classé en justice en 1948 et sa pension est rétablie. Antoine Santoni, enfui en Allemagne à la Libération, sera arrêté en Suisse. Evadé lors de son transfert, il est repris en 1951. Jugé en 1953, il sera acquitté et rétabli dans ses droits en 1957. Laville, arrêté avec Santoni, qui déclarait « s'ennuyer » à la 5e section des RG, sera révoqué sans pension. Jugé en 1946, il est condamné à mort. Son jugement cassé, il est rejugé quatre mois plus tard, et condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Au sein des Brigades Spéciales de la Préfecture de police, qui dépendaient de la direction centrale des Renseignements Généraux, 154 policiers sur 220 seront poursuivis. 64 inspecteurs condamnés dont 22 à la peine de mort (10 exécutés. Les peines capitales non exécutées sont 4 contumaces et 8 grâces). Parmi les plus zélés des tortionnaires, le commissaire Fernand David, né en 1908, fusillé le 5 mai 1945, avec Lucien Rottée, né en 1893, directeur des RG.

L'inspecteur principal Gaston Barrachin, né en 1900, à l'origine de l'arrestation du groupe Manouchian, fusillé le 19 janvier 1946.

Louis Sadosky, inspecteur principal à la 3e section des RG, né en 1899, passe devant la commission d'épuration pour "zèle exagéré dans l'application des ordonnances allemandes". Révoqué sans pension en 1946, la cour de justice lui reprochera plusieurs milliers d'arrestations d'israélites. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, radié de la médaille militaire, sa peine est réduite à 10 ans en 1949, puis amnistiée en 1951. Il quittera la prison en 1953, rétabli dans ses droits à la retraite.

Just Bignand, de la BS du 4e arrondissement, né en 1910, bénéficia d'un classement mais du fait d'une nouvelle plainte, il sera condamné à trois ans de prison en 1950. Amnistié en 1953, il ne sera pas réintégré. Son chef, Francis Guillaume, surnommé "Darquier de Pellepoix", né en 1900, crédité de 84 arrestations de juifs, se suicida avant sa comparution devant la commission d'épuration.

Jean Dides (1915-2004), spécialiste des affaires juives et des résistants étrangers, révoqué, ne sera jamais jugé. A la tête d'une association corporatiste de défense des gradés épurés de la police municipale, forte de 2.200 membres, il sera réintégré. Devenu dirigeant du syndicat des commissaires de police, il participa à l'épuration des communistes dans les CRS. Il est à nouveau révoqué en 1954 lors de "l'affaire des fuites" où François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur avait été mis en cause. Elu député poujadiste en 1956, conseiller municipal de Paris en 1959, il cofonde en 1960 le Front National pour l'Algérie française.

Pierre-Napoléon Poinsot, né en 1907, commissaire de la SAP (section des activités politiques) à Bordeaux de 1938 à 1944 est à la tête d'une brigade sanguinaire. Sous-directeur des RG à Vichy début 1944, il s'enfuit en Suisse. Condamné à mort, il est exécuté à Riom en juillet 1945.

Jacques Schweblin, né en 1901, directeur de la PQJ (Police des Questions Juives, créée en 1941 par le ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu), antisémite fanatique, déporté en 1943 à Buchenwald par les Allemands, ne rentrera pas.  Lors de ses visites à Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, il détroussait les internés avec ses hommes.

(1) Serge Klarsfeld, "Vichy-Auschwitz - Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la Question Juive en France - 1942(Fayard, 1983), p. 15

(2) op. cit. p. 191 

(3) Jean-Marc Bélière, "Les policiers français sous l'Occupation", (Perrin, 2001), p. 329-330-333

(4) Maurice Rajsfus, "La police de Vichy - Les forces de l'ordre françaises au service de la Gestapo 1940/1944", (Le Cherche Midi, 1995), p. 221

(5) J.M. Berlière, op. cit. p. 37 

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