Simone Veil interviewée en 1974 par l'ORTF (capture d'écran de l'INA) |
Entre nuit et brouillard, à 16 ans et demi, elle vivra l’enfer concentrationnaire dans ces destinations absolues de l’horreur, de Drancy à Auschwitz-Birkenau et Bergen-Belsen entre le 7 avril 1944 et le 15 avril 1945.
Privée de toute dignité humaine, réduite à un numéro indélébile tatoué sur le bras, vêtue de haillons, une bonne étoile lui permettra d’échapper à la mort.
Obstinée à survivre, sa magistrale résilience n’effaça jamais de sa mémoire « ces visages, ces femmes portant leurs jeunes enfants, ces foules ignorantes de leur destin qui marchaient vers les chambres à gaz. J’étais dans un bloc tout proche de la rampe où arrivaient les trains. C’est ce que j’ai vu de pire » écrira-t-elle en 2007 dans son livre « Une vie ».
Sa force de vaincre s’exprimera aussi tout au long de sa carrière ministérielle avec l’adoption en 1975 de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse.
Exceptionnelle Simone Veil que j’ai eu la chance de rencontrer en 2005, près de Tours, lorsqu’elle viendra inaugurer un espace social portant son nom, se prêtant volontiers à l’interview dans une conférence publique durant plus d’une heure.
Sa voix s’est éteinte en 2017. Un an plus tard, sa « soeur des camps », Marceline Rozenberg-Loridan-Ivens ira la rejoindre un soir de Yom Kippour...
Depuis leur départ, comment ne pas nous sentir orphelins ?
D’autres femmes moins connues incarnent encore, mais pour combien de temps, la même force, avec le même visage à la fois endurci par les épreuves et rayonnant d’espoir.
Parce que les survivantes « passeuses de mémoire de la Shoah » se font de plus en plus rares, il m’a semblé important de rappeler que des femmes, des mères, des épouses ont été arrêtées et envoyées à la mort parce que juives.
"Le Matin" du 1er juin 1942 |
Beaucoup portaient l’étoile jaune imposée par la 8e ordonnance allemande du 29 mai 1942 en zone occupée, ou parce que la lettre « J » se trouvait tamponnée de rouge sur leurs papiers d’identité. Ces signes discriminatoires constituaient un rouage de la "Solution finale" voulue par les nazis contre les juifs.
Certaines n'ont pas porté l’étoile, d’autres avaient de faux papiers - comme Simone Veil - prenant le risque d'être arrêtées et déportées.
Echapper au "marquage" des Juifs pouvait aussi permettre de sauver sa peau.
D’autres ont pu obtenir des exemptions d’étoile. Un privilège très rare, accordé par les seules autorités allemandes.
Le 5 mai 1942, lors de la venue à Paris de Reinhard Heydrich, l'adjoint de Himmler à la tête des SS, la formulation du texte de la 8e ordonnance sera précisée en présence de l'ambassadeur d'Allemagne Otto Abetz et de Carl-Theo Zeitschel, chargé des questions juives. Au cours de cette réunion, la décision sera prise d'exempter les juifs vivant en mariage mixte, si leurs enfants sont reconnus comme non juifs.
D’autres exemptions seront accordées dans des cas isolés « lors de circonstances spéciales, dans l'intérêt du Reich ».
Une brèche utilisée par le maréchal Pétain qui formulera quelques demandes pour des proches, notamment l’épouse de Fernand de Brinon, son ambassadeur à Paris auprès des autorités allemandes.
Le 25 août 1942, Heinz Röthke, chef du service juif de la SS de Paris, dressera une liste de 26 personnes officiellement exemptées du port de l'étoile jaune.
Huit exemptions seront décidées pour "de pressants motifs économiques", sept à la demande de l'Abwehr, le service de renseignement de l'état-major allemand, six pour des juifs travaillant avec la police anti-juive…
Egalement, le pseudo "statut" d’ "aryen d’honneur", utilisé par l’Occupant, permettra également de profiter de l’article 8 du Statut des Juifs du 3 octobre 1940 qui prévoyait que « Par décret individuel pris en conseil d'État et dûment motivé, les juifs qui, dans les domaines littéraire, scientifique, artistique, ont rendu des services exceptionnels à l'État français, pourront être relevés des interdictions prévues par la présente loi. Ces décrets et les motifs qui les justifient seront publiés au Journal officiel. »
Si certaines histoires individuelles de quelques grandes familles illustrent la réalité des mariages mixtes et des conversions, l'antisémitisme d'Etat s'est abattu sur une foule d'anonymes qui retrouveront ici un nom, un passé, une vie...
A chaque fois, des histoires complexes rappelant que la volonté de survie restait la plus forte.
Thierry Noël-Guitelman
Remerciements
Journaliste professionnel honoraire, j'ai débuté des recherches en 2004 lorsque ma tante Ida Seurat-Guitelman m'expliqua avoir bénéficié d'une rare exemption de l'étoile jaune grâce à son mari, policier. Elle comblait ainsi un silence familial sur la période de l'Occupation, déclenchant en moi la nécessité d'en savoir plus. Grâce aux précieuses archives du Centre de Documentation du Mémorial de la Shoah à Paris, j'ai pu consulter les documents qui se trouvent référencés dans cette étude.
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