dimanche 11 décembre 2011

Les anciens combattants trahis

Les anciens combattants juifs n'ont pas échappé à l'étoile jaune et près de 4.000 seront déportés.

Armand Abraham Reis, né le 13 mars 1878 à Mutzig (Bas-Rhin), vénère le maréchal Pétain et en appelle à sa bienveillance dans une lettre du 18 août 1942 :
" Comme juif, je suis interné dans le camp de La Lande, par Monts (Indre-et-Loire), pour avoir voulu franchir la ligne de démarcation, sans être porteur de l'insigne, et sans autorisation de déplacement, je mérite en effet une peine disciplinaire pour infraction à l'ordonnance allemande en vigueur ".
Il dit attendre l'intervention du chef de l'Etat pour " adoucir ou écourter ma peine " et invoque ses états de service, rappelant qu'il a " eu le très grand honneur " de servir en qualité de chauffeur dans l'état-major particulier du maréchal pendant plus de deux ans, puis du général Fayolle, jusqu'à sa démobilisation en février 1919, à Mayence.
Il insiste sur son état de santé et les actions de plusieurs membres de sa famille, comme son frère, ingénieur et officier d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur, décédé suite à une maladie contractée sur le front.
Egalement, son beau-père, médecin-chef pendant la guerre, et sa soeur, infirmière-major, sans oublier son épouse qui " partage mon malheureux sort ". (1)
Reis, interné à Drancy, sera déporté à Auschwitz, par le convoi n° 48, le 13 février 1943 où il sera exterminé le 18 février.

Toujours dans ce camp de La Lande, parmi les 133 internés du convoi n° 8, parti d'Angers le 20 juillet 1942, les Allemands regrouperont le 16 juillet, à 5 h du matin, les hommes valides.
Un survivant raconte : " Je me souviens d'un interné juif qui portait ses médailles militaires françaises, nombreuses, et aussi son étoile jaune. Les Allemands lui ont demandé d'enlever ses médailles, mais il s'y est refusé. Alors il a été battu à mort, le sang a coulé. Quand il s'est relevé une fois, le chef de la Gestapo l'a frappé lui-même à coups de pieds et à coups de cravache ". (2)

Ce témoignage illustre la " double peine " infligée aux anciens combattants Juifs.
" Il faut interdire aux Juifs de porter des décorations, comme c'est le cas dans notre pays, et la question sera résolue " avait répondu le général Reinecke, du Haut commandement Allemand à Paris, à Georges Scapini, chef des services de protection des prisonniers de guerre, qui réclamait l'exemption de l'étoile aux anciens combattants Juifs décorés, considérant " pas convenable " le port d'une décoration française à côté d'une étoile juive. (3)

Les anciens combattants sont respectueux de l'administration et leur patriotisme est sans cesse rappelé.
Ainsi, André Weidenbach, de Vendôme, adressa le 7 juin 1942, une lettre au préfet du Loir-et-Cher, exposant son " cas particulier " justifiant une exemption d'étoile, après avoir appris " qu'il pouvait être fait des exceptions pour des cas particuliers ". (4)
Il parle de " vexation morale très pénible " le fait d'être " montré du doigt comme ayant une tare alors que ma vie et celle de mes parents n'a toujours été que droiture ".
Il met en avant plus d'un siècle et demi d'ancêtres français, et souligne que son père a été tué au champ d'honneur en février 1915.
Il ajoute que sa femme, née dans le Périgord, " est aryenne, mes deux enfants de religion catholique le sont aussi et je n'ai moi-même jamais opté pour la religion juive ".
La lettre sera transmise par le préfet le 26 juin, et le 13 juillet, la direction générale de la police au Ministère de l'Intérieur répond " qu'il ne lui appartient pas d'accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre aux Autorités Allemandes. Il convient, en conséquence, d'inviter les juifs qui présenteraient des demandes de cet ordre, à s'adresser aux Kommandanturen dont ils dépendent ".

D'autres demandes, transmises à ces Autorités Allemandes, seront refusées.
Celle d'Amélie Alméras, qui met en avant trois de ses frères qui " ont participé à la première guerre mondiale aux côtés des Français et qu'un autre frère est actuellement prisonnier de guerre en Allemagne ". (5)

Mme Leib réclamera, en vain, la libération de son mari, ancien combattant, arrêté à la Bastille pour infraction au port de l'étoile, cachée par son manteau. La lettre est appuyée par un courrier de l'adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, président adjoint de l'Union nationale des combattants.
Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, répondra qu'il ne peut rien faire. (6)

C'est aussi Alexander Rosam, juif Allemand, qui s'adresse à l'UGIF, pour lui éviter le port de l'étoile. Cet ancien combattant invoque de graves blessures et ses décorations. (7)
La législation ne manque pas non plus de paradoxes : dans une lettre du préfet de la Seine, il est demandé si une veuve de guerre, juive, occupant un poste de médecin-inspecteur des écoles de la ville de Paris peut bénéficier d'une réintégration, et si ces fonctions peuvent être exercées dans les écoles " sans contrevenir aux dispositions de l'ordonnance allemande relative aux porteurs de l'étoile jaune ".
Il est répondu " qu'en tant que veuve de guerre, l'intéressée est en droit d'obtenir son maintien au tableau de l'Ordre des médecins ". Mais, elle ne peut " réintégrer les cadres de l'administration de laquelle elle a été évincée.
Par ailleurs, les Juifs porteurs de l'étoile jaune sont admis à vaquer à leurs occupations dans les lieux publics tels que les écoles, dont l'accès ne leur est pas interdit ". (8)

Autre demande d'exemption, celle de Robert-Benoit Lévy, ancien combattant, croix de guerre et médaille militaire, qui, le 19 juin 1942, dit " être favorable au rapprochement franco-allemand, et avoir soutenu le chancelier Hitler avant-guerre ". (9)
Renée Poznanski, dans " Les Juifs en France 1939-1945 " évoque la honte des porteurs d'étoile en citant cette lettre du 18 juin 1942 adressée au CGQJ : " J'ai l'honneur de vous faire connaître que je ne peux me faire à l'idée de sortir avec l'étoile de Sion sur la poitrine, que je regarde comme un stigmate indigne d'un ancien combattant français depuis plus de quinze générations : je préfère rester chez moi ou obtenir une permission d'exception dont je crois pouvoir bénéficier en raison de mes titres de citoyen français ". (10)
Cette confusion provenait sans doute des dispositions du premier statut des Juifs, du 3 octobre 1940, qui permettait aux anciens combattants de bénéficier d'assouplissements comme le maintien dans la fonction publique.
Le second statut, du 2 juin 1941, sera plus restrictif. Un fonctionnaire, bien que cité au cours de la campagne 14-18, qui n'avait pas sa carte de combattant, ne pouvait pas conserver son poste, et les décorations (Légion d'honneur ou médaille militaire) n'étaient valables que si elles avaient été attribuées pour faits de guerre et non plus au seul titre militaire.
Pétain, dans une lettre à Xavier Vallat, demandera d'examiner avec " beaucoup d'attention "
la demande d'exemption du statut des Juifs pour le colonel Bernard, " qui a rendu à la France le service exceptionnel de rallier plusieurs provinces indochinoises ". (11)

Les béquilles de Faynzylberg

Citons enfin le cas, grâce à une photo emblématique, de Victor Faynzylberg. Ce soldat du 22e régiment de marche étranger (polonais) a perdu sa jambe gauche en 1940, et sa femme Ita a été arrêtée en juillet 1942.
Sur les conseils d'un voisin, le soldat, coiffeur boulevard de la Villette, s'est fait photographier avec ses deux enfants et a envoyé le cliché au maréchal Pétain pour appuyer la demande de libération de son épouse.
Sa croix de guerre et sa médaille militaire sont bien visibles. Sa fille porte l'étoile. Le petit garçon, qui n'a pas encore six ans, ne la porte pas. (12)
Pierre Régnier, président de la Fédération des amputés de guerre, écrira le 16 juillet 1942 à Darquier de Pellepoix pour demander une mesure d'exemption du port de l'étoile pour les mutilés de guerre Juifs.
Il mettra en avant la situation de Faynzylberg expliquant « qu‘il n‘est pas guéri de son amputation et doit subir quotidiennement des soins particuliers. Il ne peut utiliser que des béquilles pour se déplacer ». Et de préciser qu’il habite un logement au cinquième étage « et sa situation est particulièrement navrante du fait qu’il reste seul avec ses deux enfants en bas âge ».
La réponse du 23 juillet en sept lignes, formule de politesse comprise, sera négative : " les autorités occupantes s'opposent à toute mesure de faveur ". (13)
La libération d’Ita Faynzylberg avait été demandée mais elle sera déportée à Auschwitz par le convoi n°34, au départ de Drancy le 18 septembre 1942. Victor, arrêté chez lui, sera emporté ligoté sur une civière, et sera du convoi n° 68, du 10 février 1944.

Zena, fille de prisonnier de guerre

Autre cas " sans suite favorable " avec Zéna Frenkel.
Agée de 17 ans, elle est arrêtée le 12 septembre 1942 à Evreux, pour ne pas avoir porté l'étoile.
Condamnée à dix semaines de prison, elle aurait dûe être libérée mais, début décembre, sa mère, Ernestine Frenkel, restait sans nouvelles.
Dans une lettre poignante, adressée le 9 décembre 1942 à la maréchale Pétain, elle dit être
" une mère en grande détresse ", et a la conviction que " seulement vous, avec l'aide de Dieu, pouvez restaurer le bonheur à notre foyer ". (14)
Elle explique que son mari est prisonnier de guerre : " Ayez donc pitié de nous, Madame la Maréchale. Humblement, je vous supplie de faire tout ce qui est humainement possible, d'attendrir les autorités occupantes en sa faveur.
Pensez à l'inquiétude de ma fille de ne pouvoir plus avoir le droit de m'écrire et de ne pas savoir ce qu'on a l'intention de faire d'elle, et à l'inquiétude de mon mari et de moi-même.
Laissez moi espérer que tout n'est pas encore perdu, que je verrai ma petite bientôt pour me consoler pendant l'attente de la libération de mon mari ".
En post-scriptum, elle précise : " J'étais donneuse de sang bénévole pour les blessés de guerre ".
Ernestine Frenkel adressera aussi un courrier au service diplomatique des prisonniers de guerre de Georges Scapini, qui fera suivre sa demande de libération au Commissariat général aux questions juives.
Ce dernier, le 29 janvier 1943, répondra que " dans les circonstances actuelles, il ne peut être donné une suite favorable à la requête de Mme Frenkel "...

(1) Archives départementales d'Indre-et-Loire 120 W 35

(2) Témoignage de Michel Gelber, cité par Sophie Paisot-Béal et Roger Prévost : Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire, 1940-1944 (chez R. Prévost, 1994)

(3) Rapport de Reinecke du 10 août 1942, cité au Procès de Nuremberg ND NOKW-3538, et dans " Vichy et les Juifs ", Marrus et Paxton (Livre de Poche, 2004), p. 334.

(4) Archives départementales du Loir-et-Cher. Lettre du 7 juin 1942 et réponse du Ministère de l'Intérieur du 13 juillet 1942.

(5) CDJC-XLIXa-51a Lettre du 3 juin 1942 et réponse manuscrite négative du SS-Hauptsturmführer Dannecker.

(6) CDJC-CII-85a Lettres des 24 et 26 janvier 1943, et du 24 février 1943.

(7) CDJC-CDXXV-44 Lettres du 8 juin 1942 de M. Rosam et lettre du 20 juin de l’UGIF plaidant en sa faveur.

(8) CDJC-CXV-147 Correspondance du 4 février 1944, entre M. Izard, directeur du service de la Législation du Commissariat général aux questions juives, et le préfet de la Seine.

(9) CDJC-CXIV-76 Lettre du 19 juin 1942 adressée au représentant du Militärbefehlshaber in Frankreich.

(10) AN AJ 38 - 172 citée par Renée Poznanski : " Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre Mondiale " (Hachette Littératures Pluriel Histoire, 2005) p.292.

(11) CDJC-CCXXXVI-10 Lettre du Maréchal Pétain du 30 octobre 1941.

(12) Cité par Henri Amouroux dans " Quarante millions de Pétainistes - juin 1940 - juin 1941 " (Laffont, 1977) p. 496
Nicole Priollaud, Victor Zigelman, Laurent Goldberg : " Images de la Mémoire Juive, immigration et intégration en France depuis 1880 " (Liana Lévi - Mémoire Juive de Paris, 2000)

(13) CDJC-CXCIV-92_002 Lettre du 16 juillet 1942.

(14) CDJC-LXI-103b Ensemble de documents de décembre 1942 et de janvier 1943 concernant l'internement de Mlle Zéna Frenkel.
























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