D'après le paragraphe 2 de l'article 1 de la loi du 2 juin 1941 - Second statut des Juifs - un individu ayant deux grands-parents juifs n'était Juif que s'il appartenait « à la religion juive, ou y appartenait encore le 25 juin 1940 ». Il pouvait prouver qu'il n'était pas Juif à la condition de fournir « la preuve de l'adhésion à l'une des autres confessions reconnues par l'Etat avant la loi du 9 décembre 1905 ».
Moyennant une conversion à la religion catholique, à la confession calviniste ou luthérienne, avant le 25 juin 1940, et à condition qu’il n’y ait pas plus de deux grands-parents de « race juive », on pouvait donc cesser d'être considéré comme Juif...
Aussi, à partir de 1942, suite à plusieurs affaires de fraudes et de falsification de registres paroissiaux, le Commissariat Général aux Questions Juives insistait sur la « charge de la preuve », estimant insuffisante la production de certificats de baptême pour délivrer les salvateurs certificats de « non-appartenance à la religion juive » rappelle le juriste Richard H. Weisberg dans « Vichy, la justice et les Juifs » (Editions des archives contemporaines) p. 138-141.
Même converti et baptisé, l’israélite restait considéré comme Juif s’il était issu d’au moins trois grands-parents de « race juive ». (CDJC-CXV-14A Lettre du préfet de police du 10 mars 1942 au CGQJ sur la définition du statut des Juifs)
Les conversions ont été souvent invoquées pour obtenir dérogations et libérations. Aussi, le maréchal Pétain recevait directement des courriers en ce sens :
Le 29 mars 1943, Henri Héloin demande la libération de sa femme Germaine, née Katzka, arrêtée à Rouen et internée au camp de Beaune-la-Rolande. Née juive, elle est convertie au catholicisme en 1937. (CDJC-CII-89)
Le 7 avril 1943, Mathilde Masse, de Saint-Dié, demande la libération de son mari Camille, et de sa belle-soeur Irène, tous deux convertis au catholicisme mais arrêtés pour non port de l’étoile jaune. (CDJC-CII-92)
Le 10 avril 1943, René Dhervillers, grand mutilé de guerre, s’adresse au chef de l’Etat pour faire libérer Antoinette Vernes. Son mari, ancien combattant de 14-18, est protestant et sa femme s’est convertie à la religion de son mari. (CDJC-CII-94)
Brinon sera aussi destinataire de courriers invoquant le fait religieux :
Le 5 mars 1944, Marcel Daugy, préfet de la Meuse, écrit pour faire libérer Caroline Altmeyer, la belle-mère de son chauffeur, qui est d’origine juive mais convertie, ses trois enfants étant baptisés.
« Aussi, doit-on considérer que bien qu’israélite de naissance, Mme Altmeyer n’appartient plus en réalité à la communauté juive et qu’elle est totalement intégrée dans la nation française » souligne le préfet qui invoque aussi de graves problèmes oculaires. (CDJC-XLII-96)
Le 20 mars 1944, le commandant Hubert Cauchy, sous-chef de la Défense passive à Reims demande à Brinon la remise en liberté de son épouse Yvonne, née Sanders, israélite, internée à Drancy. Il précise dans son courrier qu’il est catholique, que ses trois enfants sont catholiques et baptisés, et a fourni sept certificats de baptême de ses ascendants à la préfecture de la Marne : « Il semble dans ces conditions qu’une mesure de faveur puisse intervenir pour ma femme et la rendre à son foyer, me trouvant isolé et souffrant ». (AN F60 1485)
Des missives sont également adressées au Commissariat Général aux Questions Juives (CGQJ) :
L’évêché d’Orléans, dans une lettre du 9 juin 1941 à Xavier Vallat, Commissaire Général aux Questions Juives, attire son attention sur la situation de Charles et Gisèle Lustiger. Ce couple, d’origine polonaise, converti au catholicisme, a vu son commerce de bonneterie mis sous séquestre. Le CGQJ répond le 19 juin 1941 qu’ils sont juifs en vertu de la loi du 2 juin 1941. (CDJC- CX-55)
M. et Mme Lustiger étaient les parents du futur Cardinal de Paris Jean-Marie Lustiger (1926-2007), né Aron Lustiger qui sera baptisé catholique à 14 ans, le 25 août 1940.
Déportée, Gisèle Lustiger mourra à Auschwitz le 13 février 1943. Charles Lustiger, réfugié à Decazeville, sera caché jusqu’à la Libération par l’Ecole jésuite d’ingénieurs de Purpan, à Toulouse.
Suzanne Laubier est d'origine juive, mais baptisée depuis 1923. Mariée depuis 1930 à un non juif, elle était directrice du lycée de jeunes filles de Lille. Elle en sera écartée du fait de ses origines. Son mari a écrit au CGQJ pour obtenir une dérogation. Une copie de son acte de mariage a été adressée au Cardinal Suhard, afin qu'il puisse appuyer sa demande.
M. Ditte, responsable du service du statut des personnes au CGQJ répond au Cardinal dans une lettre du 2 septembre 1941 que ce sont les chefs hiérarchiques de Mme Laubier qui décideront de la réintégrer ou non dans son emploi. (CDJC-CCXXXVII-10)
André Weidenbach, dans une lettre du 7 juin 1942 au préfet du Loir-et-Cher, expose son " cas particulier " justifiant une exemption d'étoile. Il parle de « vexation morale très pénible » le fait d'être « montré du doigt comme ayant une tare alors que ma vie et celle de mes parents n'a toujours été que droiture ». Il met en avant plus d'un siècle et demi d'ancêtres français et souligne que son père a été tué au champ d'honneur en février 1915. Il ajoute que sa femme, née dans le Périgord, « est aryenne, mes deux enfants de religion catholique le sont aussi et je n'ai moi-même jamais opté pour la religion juive ».
La lettre sera transmise le 26 juin à la direction générale de la police au Ministère de l'Intérieur qui répondra le 13 juillet qu'il « ne lui appartient pas d'accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre aux Autorités Allemandes. Il convient en conséquence, d'inviter les Juifs qui présenteraient des demandes de cet ordre, à s'adresser aux Kommandanturen dont ils dépendent ». (AD 41)