mercredi 7 juillet 2021

Annette Wieviorka invitée de l'université d'été du Mémorial de la Shoah à Toulouse

La Shoah... Toujours confrontée aux négationnistes, aux prêches antisémites, aux fake news véhiculées par les réseaux sociaux. Dans ce contexte, pas simple d’enseigner l’histoire et de transmettre des valeurs universelles. Un véritable défi relevé par l’université d’été du Mémorial de la Shoah pour apporter des réponses à des enseignants des académies de Toulouse, Bordeaux et Montpellier. Des enseignants parfois désemparés et contestés dans leur enseignement, venus chercher comment aborder le sujet devant leurs classes...


L’historienne Annette Wieviorka était l’invitée de l’université d'été du Mémorial de la Shoah, réunie à Toulouse du 5 au 9 juillet 2021. 

Dans une conférence sur le thème « Transmettre l’histoire de la Shoah aujourd’hui », elle répondait aux questions de Léa Veinstein, commissaire de l’exposition « La voix des témoins », visible jusqu’au 29 août au Mémorial de la Shoah à Paris. 


Annette Wieviorka. Malgré la disparition des derniers
survivants de la Shoah, l'historienne n'est pas inquiète
pour l'avenir de la transmission aux jeunes générations (dr)
Annette Wieviorka n’a pas toujours enseigné l’histoire. Son parcours est pavé de ruptures et de doutes : « En 1968, avec ma licence de lettres j'ai débuté comme maître auxiliaire de français au lycée d'Ermont (Val d'Oise). Ma conversion à l’histoire s’est faite quand je militais avec un petit groupe maoïste devant les usines de Renault Billancourt. Je revivais les photos du Front Populaire et l’on aspirait, comme l’on dirait aujourd’hui, à la convergence des luttes. Mais les ouvriers n’ont pas voulu de notre drapeau rouge ! 

Je suis sortie de 1968 avec une certaine difficulté et j’ai passé mes certificats d’histoire en suivant des cours du soir. 

Entre 1974 et 1976, j’avais eu l’opportunité d’aller enseigner le français à Canton (Ndlr : où elle part avec son mari, également enseignant de français, et son jeune fils Nicolas, alors âgé de trois ans). A mon retour de Chine, j’ai eu mon premier poste de prof d’histoire. » (Ndlr : au lycée Jules-Siegfried à Paris 10e)

En rompant avec le maoïsme, Annette Wieviorka a aussi connu le doute, comme l’expliquait Edgar Morin à propos du communisme, dans son livre « Autocritique » (Ndlr : paru en 1959)

« Cela a entraîné un grand vide et j’ai cherché ce qui m’avait conduit à cet engagement, né de l’immigration et de la Shoah. »

Après sa fascination pour la Chine communiste et totalitaire, une certaine culpabilité s’est emparée de l’ex-militante laïque, qui, voulant réparer son erreur, se lança dans la recherche historique.

A cause du vide laissé par l’absence de ses grands-parents, à une époque où l’on ne voulait pas entendre parler de la Shoah, Annette Wieviorka décida de partir à la recherche de ses racines : « J’ai commencé à apprendre le yiddish, et me suis plongée dans les écrits de mon grand-père, journaliste. Je suis partie en stage à New York où je suis tombée sur un livre-souvenir consacré à Żyrardów, sa ville natale, du nom de Philippe de Girard, un ingénieur français inventeur des machines à filer le lin. C’est cette histoire collective qui m’intéressait alors plutôt que mon histoire familiale. »


"Il y avait du mépris

pour les témoignages" 


A la différence de nombre d’historiens de sa génération, attachés aux seuls documents, Annette Wieviorka s’est intéressée aux témoignages : « J’ai toujours voulu parler et l’on ne voulait pas nous entendre, expliquait Simone Veil que j’ai interviewée sur son retour de déportation. Un tiers de ma thèse est consacrée aux premiers témoignages écrits. Il y avait du mépris pour les témoignages qui, évidemment, ne peuvent pas être la seule source quand on veut écrire l’Histoire. Le témoin n’est pas forcément fiable et sa mémoire est travaillée par ce qu’il a vécu après. 

Avec le procès Eichmann, on a vu pour la première fois l’accusation se baser non sur des documents mais sur les témoignages. Ce sera l’avènement du témoin. Jusqu’alors, les historiens ne s’intéressaient pas à cela. 

C’est venu aussi dans la foulée du feuilleton américain Holocauste, en 1978 où les survivants ne reconnaissaient pas leur histoire. Avec l’université de Yale, j’ai participé en 2002 aux « 14 récits d’Auschwitz », une série documentaire, réalisée avec Caroline Roulet, et le survivant Henri Borlant, dans le cadre du programme Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies. Suivront en 2007, les Témoignages pour mémoire, un documentaire de Claudine Drame. »

Confronté à la disparition des témoins, l’historien et les enseignants ne sont-ils pas privés de cette ressource si utile pour la transmission du message auprès des jeunes générations ?

« Le temps passe et le monde change. Avec les survivants, on était dans le même monde, celui de nos contemporains. Dans l’avenir, les enseignants ne manqueront pas d’outils. Je n’ai pas d’inquétude. »


Thierry Noël-Guitelman



Repères


> Originaires de Pologne, les grands-parents paternels d’Annette Wieviorka ont été arrêtés à Nice et seront déportés vers Drancy et Auschwitz par le convoi n°61 du 28 octobre 1943. 

Son père avec son oncle, réfugiés en Suisse, et sa mère à Grenoble, ont pu échapper au pire qui emporta le reste de la famille.


> Née en 1948, Annette Wieviorka est agrégée d’histoire. 

Elle obtient son doctorat en 1991, et soutient sa thèse à l’université de Paris-Nanterre, sous la direction d’Annie Kriegel : « Déportation et génocide : entre la mémoire et l’oubli 1943-1948, le cas des juifs en France ».


> Auteur de plus d’une quinzaine d’ouvrages, voici quelques titres à retenir : Le procès Eichmann (Complexe, 1989) L’Ère du témoin (Plon, 1998), Auschwitz expliqué à ma fille (Seuil, 1999), Auschwitz, 60 ans après (Laffont, 2005), A l’intérieur du camp de Drancy (Perrin, 2012) avec Michel Laffitte, 1945 La découverte (Seuil, 2015).

Dans son dernier livre Mes années chinoises (Stock, 2021), elle revient sur son engagement maoïste, partagé avec son mari Roland Trotignon.


> Directrice de recherche émérite au CNRS, elle a été membre de la mission Mattéoli, sur la spoliation des biens des Juifs de France, créée en 1997, qui rendit ses conclusions en 2000 : les confiscations seront évaluées à 1,35 milliard d’euros et les spoliations financières à 520 M€. 

L’argent confisqué aux juifs à Drancy, antichambre de la mort, a été transféré en juillet 1944 à la Caisse des dépôts et consignations et il restait 12,8 millions de francs. Cette somme a bien été transférée au Trésor Public mais les ministres des Finances de la IVe République ont « oublié » cet argent, tout comme les bijoux et objets de valeurs déposés à la Banque de France… Un scandale dénoncé par Serge Klarsfeld en 1994.

Quant aux 100.000 œuvres d’art spoliées, seulement 45.000 ont été restituées à leurs propriétaires ou ayants-droits.

Le 16 juillet 1995 : Jacques Chirac, président de la République, lors du 53e anniversaire de la rafle du Val d’Hiv, reconnaîtra la responsabilité de l’État français dans la déportation et l’extermination des juifs durant la Seconde guerre mondiale.


> Création en 2000 de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, présidée jusqu’en 2007 par Simone Veil. 

La Fondation subventionne notamment près des deux tiers du budget du Mémorial de la Shoah et a soutenu depuis sa création près de 5000 projets liés à la lutte contre l’antisémitisme, l’enseignement de la Shoah, la transmission de l’héritage de la culture juive, des programmes sociaux. En 2020, en dépit de la crise sanitaire, plus de 13 M€ ont été attribués à 225 projets.

Annette Wieviorka est membre du conseil d’administration après avoir présidé la commission Mémoire et transmission.


> Véritable « usine à préfaces » comme elle se qualifie elle-même, l’universitaire donne encore de nombreuses conférences avec la Fondation pour la mémoire de la Shoah, et confie s’engager dans d’âpres recherches consacrées à l’histoire de cette famille polonaise dont elle est issue.


> L’historienne a un frère aîné, Michel Wieviorka, né en 1946, sociologue. Une sœur Sylvie Wieviorka, née en 1950, psychiatre, mariée à Alain Geismar, ancien leader de Mai 68, inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, ancien membre du cabinet de Lionel Jospin, en 1991.

Un frère cadet, Olivier Wieviorka, né en 1960, également historien, spécialiste de la résistance française.


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