dimanche 11 mars 2012

L'histoire des Justes de France

Patrick Cabanel (Université Toulouse-Le Mirail) vient de publier chez Armand Colin un essai consacré à l’histoire des Justes de France. Neuf ans après le « Dictionnaire des Justes de France » de Lucien Lazare (Fayard/Yad Vashem), on passe des histoires individuelles à un portrait collectif, illustrant une forme particulière de résistance civile qui, longtemps, était restée en dehors du domaine de la Résistance, et de son histoire « officielle ».
"L'absence d'une histoire des Justes mutile l'histoire de la Shoah", affirmait Lucien Lazare dans un entretien au Monde, en 2003. Il ajoutait qu'un "immense travail" restait à faire sur les milliers d'anonymes qui, dans les campagnes, avaient risqué leur vie pour sauver des juifs. Patrick Cabanel a largement entamé ce travail. Lire la suite

mercredi 7 mars 2012

Bibliographie

> La revue Diasporas. Histoire et sociétés n° 16, Marquer, discriminer, exclure (2011)

Dossier sur l'étoile jaune.

Au sommaire 

Pierre Laborie : Mémoires d’étoile, marquage d’histoire
Patrick Cabanel : L’étoile jaune dans une prédication
au temple de l’Oratoire du Louvre, dimanche 7 juin 1942
Simone Rubin-Gerber : Témoignage sur le port de l’étoile juive à Paris


A  
Michel Abitbol : " Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy " (Riveneuve, 1998)
Mohammed Aïssaoui ; " L'Etoile jaune et le croissant " (Gallimard, 2012)
Eric Alary : " La ligne de démarcation 1940-1944 " (Librairie académique Perrin, 2003)
Henri Amouroux : " La vie des Français sous l'Occupation " (Fayard, 1979)
" Quarante millions de Pétainistes juin 40-juin 41 " (Laffont, 1977)
" Les passions et les haines " (Laffont, 1979)
Robert Assaraf : " Mohamed V et les Juifs du Maroc à l’époque de Vichy " (Plon, 1997)
Pierre Assouline : " Le dernier des Camondo " (Gallimard, 1997)
B
Robert Badinter : " Un antisémitisme ordinaire – Vichy et les avocats Juifs 1940-1944 " (Fayard, 1997)
René Bargeton : " Dictionnaire biographique des préfets 1870-1982 " (Archives de France, 1995)
Yves Belaubre : " La protestation - Mgr Saliège face à Vichy 23 août 1942 "
(Editions Nicolas Eybalim, 2012) 
Georges Bensoussan et Florence Bonnaud : " Juifs en pays arabes : le grand déracinement 1850-1975 " (Decitre, 2013) 
Jean-Marc Berlière - Laurent Chabrun : " Les policiers Français sous l'Occupation " (Perrin, 2001)
Syvie Bernay : " L'Eglise de France face à la persécution des juifs " 
(CNRS éditions, 2012)
Hélène Berr : " Journal "  (Taillandier, 2007)
Jacques Biélinky : " Journal juillet 1940-décembre 1942 " (Cerf, 1992)
Joseph Billig : " Le Commissariat Général aux Questions Juives " (Editions du Centre - Paris 1955-1960)
Eugène Boretz : " Tunis sous la Croix Gammée " (Office Français d’édition, 1944)
Robert Borgel : " Etoile jaune et croix gammée " (Artypo, Tunis 1944)
Alphonse Boudard : " L'étrange Monsieur Joseph " (Laffont, 1998)
C
Patrick Cabanel : " Histoire des Justes en France " (Armand Collin, 2012)
Carmen Callil : " Darquier de Pellepoix ou la France trahie  " (Buchet-Chastel, 2007)
Jean Cassou : " Le pillage par les Allemands des œuvres d’art et des bibliothèques appartenant à des Juifs en France " (Editions du Centre, 1947)
Marc-André Charguéraud : " L’Etoile jaune et la Croix-Rouge – Le Comité international de la Croix-Rouge et l’Holocauste, 1939-1945 " (Labor et Fides, Editions du Cerf, 1999)
Jacques Chevalier : " Entretiens avec Bergson " (Plon, 1959)
Jérôme Clément : " Plus tard, tu comprendras «  (Grasset, 2005)
Asher Cohen : " Persécutions et sauvetages : Juifs et Français sous l'Occupation et sous Vichy " (Editions du Cerf, 1993)
Frédérick E. Cohen : " Les Juifs dans les îles de Jersey, Guernesey et Sercq sous l’occupation allemande 1940-45 " (Revue d’Histoire de la Shoah n° 168 – janvier-avril 2000)
Michèle Cointet : "  Vichy et le fascisme : les hommes, les structures et les pouvoirs "  (Editions Complexe, 1987)
" Pétain et les Français " (Perrin, 2002)
" Nouvelle Histoire de Vichy " (Fayard, 2011)
Michèle Cointet et Jean-Paul Cointet : " Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation V (Taillandier, 2000)
D
Robert Debré : " L’honneur de vivre " (Stock – Hermann, 1974)
Jean-William Dereymez - Robert Redeker : " Le refuge et le piège : les Juifs dans les Alpes, 1938-1945 " (L'Harmattan 2008)
E
Cyril Eder, Les Comtesse de la Gestapo, (Grasset, 2006)
Philippe Erlanger : " Notes sur l’histoire des Camondo " (Archives Paribas, 1972)
F
Hector Feliciano : " Le Musée disparu - Enquête sur le pillage d'oeuvres d'art en France par les nazis " (Gallimard, 2009)
Joachim C. Fest : " Les maîtres du IIIe Reich  " (Grasset, 2008)
Claude Francis et Fernande Gontier : " Colette " (Perrin, 1997)
Jacques Fredj : " Les archives de la Shoah " (Centre de documentation juive contemporaine – L’Harmattan, 1998)
G
Frédéric Gasquet : " La lettre de mon père : une famille de Tunis dans l’enfer nazi " (Coll. Résistance Liberté Mémoire, Editions du Félin 2006)
Armand Gliksberg : " Kaddish pour les miens – chronique d’un demi-siècle d’antisémitisme 1892-1942 " (Témoignage Mille et une nuits, 2004)
André Gob : " Des musées au dessus de tout soupçon " (Armand-Colin, 2007)
Léo Goldberger : " The Rescue of the Danish Jews. Moral courage under stress " (New-York University Press, 1987)
Maurice Goudeket : " Près de Colette " (Flammarion, 1955)
Cécile Gruat et Cédric Leblanc : " Amis des Juifs, les résistants aux étoiles " (Tirésias – Les oubliés de l’histoire, 2005)
Jean Guitton : " Portraits et circonstances Jean Guitton : " Jeanne Bergson (Desclée de Brouwer, 1989)
H
Bruno Halioua : " Blouses blanches, étoiles jaunes : l’exclusion des médecins juifs en France sous l’Occupation " (Liana Lévi, 2000)
Raul Hilberg : " La destruction des Juifs d’Europe " (Gallimard, 1991)
I
Radu Ioanid : " La Roumanie et la Shoah " (Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris 2002)
José Maria Irujo : " La liste noire " (La lista negra. Los espias nazis protegidos por Franco y la Iglesia) (Madrid, Aguilar, 2003)
J

Serge Jacquemard : "La Bande Bonny-Lafont" (Scènes de crimes, 2007)
Laurent Joly : " Vichy dans la Solution finale – Histoire du Commissariat général aux questions juives " (Grasset, 2006)
" Xavier Vallat " (Grasset, 2001)
K
Nadia Kaluski-Jacobson : " Les lettres de Louise Jacobson et de ses proches 1942-1943 " (Laffont, 1997)
André Kaspi : " Les Juifs pendant l’Occupation "  (Points-Histoire, 1997)
Jean-François Kesler : " Les hauts fonctionnaires, la politique et l’argent " (Albin-Michel, 2006)
Serge Klarsfeld : " Vichy-Auschwitz " (Volumes I et II) (Fayard, 1983-1985)
" Nice, Hôtel Excelsior " (Association Les Fils et Filles des déportés juifs de France, 1998)
" Le Mémorial des Enfants Juifs déportés de France " (Fayard, 2001)
" L’Etoile des Juifs " (L’Archipel, 1992)
" Le Statut des Juifs de France " (CDJC-FFDJF, 1990)
" Le jeu de Vichy entre les Italiens et les Allemands " (Le Monde Juif n° 149, avril 1993)

Jean Kleinmann : " Les politiques antisémites dans les Alpes-Maritimes 1938-1944 " (Cahiers de la Méditerranée, vol.74)
L
Michel Laffitte : " Juif dans la France Allemande " (Taillandier, 2006)
Anny Latour : " La résistance juive en France, 1940-1944 " (Stock, 1970)
Michel Laurencin : " Dictionnaire biographique de Touraine " (CLD, 1990)
Lucien Lazare : " Le livre des Justes " (Lattès, 1993)
Liliane Lelaidier-Marton : " Une ombre entre deux étoiles – Histoire d’une enfant cachée " (Editions Velours, 2006)
André Lettich et Lazar Moscovici : " 1942, convoi n° 8 " (Editions du Retour, 2009)
Bernard Lévi : " X bis, un Juif à l’école Polytechnique " (Calmann-Lévy, 2005)
Paul Lévy : " Elie Bloch : être juif sous l’Occupation " (Geste Editions, 1999)
"  Hommes de Dieu dans la tourmente – L’histoire des rabbins déportés " (Safed publications, 2006)
M
Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton : " Vichy et les Juifs " (Calmann-Lévy, 2015)
Marie-Anne Matard-Bonucci : " L'Italie fasciste et la persécution des Juifs " (Perrin, 2007)
Jacqueline Mesnil-Amar : " Ceux qui ne dormaient pas. Journal, 1944-1946 " (Stock, 2009)
Patrice Miannay : " Dictionnaire des agents doubles dans la Résistance " (La Cherche Midi, 2005)
Maurice Moch : " L’Etoile et la Francisque : les institutions juives sous Vichy " (Cerf, 1990)
N
Henri Nahum - " La Médecine française et les Juifs 1930-1945 "  (L'Harmattan, 2006)
Sophie Paisot-Béal et Roger Prévost : " Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire 1940-1944 " (La Simarre, 1993)
P
Léon Poliakov : " L'Etoile jaune - La situation des Juifs en France sous l'Occupation - Les législations nazie et vichyssoise " (Editions Grancher, 1999)
Martine Poulain : " Livres pillés, lectures surveillées – Les bibliothèques françaises sous l’Occupation  " (Essais-Gallimard, 2008)
Jean-Marie Pouplain : " Les chemins de la honte – Itinéraire d’une persécution Deux-Sèvres 1940-1944 " (Geste éditions,2000)
" Les enfants cachés de la Résistance " (Geste éditions, 1998)
Renée Poznanski : " Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre Mondiale " (Hachette Littératures Pluriel Histoire, 2005)
" Porter l’étoile jaune à Paris " – Revue Historique n°591 (Presses Universitaires de France, 1994) p. 43-71
Nicole Priollaud, Victor Zigelman, Laurent Goldberg : " Images de la Mémoire Juive, immigration et intégration en France depuis 1880 " (Editions Liana Lévi - Mémoire Juive de Paris, 2000)
R
Maurice Rajsfus : " Opération étoile jaune " (Le Cherche Midi, 2002)
" La police de Vichy " (Le Cherche Midi, 1995)
Adam Rayski : " Le choix des Juifs sous Vichy entre soumission et résistance " (La Découverte, 1992)
Michel Rayssac : " L'exode des musées - Histoire des oeuvres d'art sous l'Occupation " (Payot, 2007)
Charkes Rickard : " 1943-45 Vérités sur la guerre " (Editions Gisserot, 1990)
Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera : " Les patrons français sous l’Occupation " (Odile-Jacob, 1995)
S
Jacques Sabile : " La Tunisie sous Vichy et l’occupation " (Manuscrit, Editions du Centre, Paris, 1954)
Gerhard Schoenberner: " L'étoile jaune " (Presses de la Cité, 1982)
Jacques Semelin :Persécutions et entraides dans la France occupée - Comment 75 % des juifs en France ont échappé à la mort (Les Arènes - Seuil, 2013)
Henri Serg : " Joinovici, l'empire souterrain du chiffonnier milliardaire " (Le Carroussel, 1986)
Claude Singer : " Vichy, l’Université et les juifs " (Les Belles Lettres, 1992)
Henri Szwarc : " Souvenirs : l’étoile jaune " (Annales, histoire, sciences sociales, volume 48, 1993)
T
Raymond Tournoux : " Pétain et la France – La Seconde Guerre Mondiale " (Plon, 1980)
U
Bernard Ullmann : " Lisette de Brinon, ma mère – Une Juive dans la tourmente de la Collaboration " (Editions Complexe, 2004)
V
Dominique Venner : " Histoire de la collaboration " (Pygmalion, 2000)
W
Georges Wellers : " Un Juif sous Vichy " (Tiresias, 1991)
Frédéric Worms : " Bergson ou les deux sens de la vie " (PUF, 2004)
Richard H. Weisberg : " Vichy, la Justice et les Juifs "  (Editions des archives contemporaines, 1998)
Y
Limor Yagil : "  Chrétiens et Juifs sous Vichy, 1940-1944 : sauvetage et désobéissance civile "  (Edition du Cerf, 2005).
" La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1944: l'exemple du sauvetage des juifs", Cerf 2010-2011, 3 tomes

dimanche 4 mars 2012

Béatrice de Camondo, la cavalière à l’étoile

Béatrice de Camondo, et son frère
Nissim, mort dans un combat
aérien en 1917

Béatrice de Camondo, la fille du comte Moïse de Camondo - collectionneur d'art et financier célèbre (1860-1935) - portait son étoile jaune sur sa veste de cavalière et parcourait tous les jours les allées du bois de Boulogne. 
Fine écuyère, elle continuait de participer à des concours hippiques avec des officiers allemands.
« Plus israélite que juive, foncièrement française et aristocrate à sa manière, sure d’elle et assez snob, elle se sentait protégée par l’ombre de son frère mort pour la France. Comme beaucoup, elle croyait que les juifs étrangers étaient visés prioritairement sinon exclusivement. On disait aussi qu’elle avait noué des relations utiles dans ces manèges fréquentés par des officiers junkers. On disait même qu’elle avait participé avant-guerre à des chasses à courre avec Goering et que cela l’immunisait contre le sort commun. Du moins en était-elle persuadée », écrit Pierre Assouline dans « Le dernier des Camondo ». (1)
Bien que convertie au catholicisme début 1942, Béatrice sera arrêtée avec sa fille Fanny, 22 ans, le 5 décembre 1942, chez elle, à Neuilly.
Son époux, Léon Reinach (dont elle venait de divorcer le 26 octobre 1942), et leur fils Bertrand, 19 ans, seront également arrêtés le 12 décembre 1942, à Sentein dans l'Ariège, trahis par celui qui devait les faire passer en Espagne.
Ils seront tous internés à Drancy où Béatrice sera un temps responsable du service des nourissons du camp.
En souvenir de la famille
Léon, Bertrand et Fanny seront déportés pour Auschwitz par le convoi n° 62 du 25 novembre 1943.
Béatrice partira par le convoi n° 69 du 7 mars 1944. Elle mourra le 4 janvier 1945, deux semaines avant la libération du camp.
Ainsi disparaissait une famille entière dont le nom restera associé à l'art : le legs au musée du Louvre d'Isaac de Camondo, cousin de Moïse, comptait une cinquantaine de toiles impressionnistes, dont le célèbre " Joueur de fifre " de Manet.
En août 1941, Léon Reinach, adressera une lettre de protestation au directeur des musées nationaux, où il évoque le tableau représentant Irène de Camondo, la mère de son épouse Béatrice, peint par Renoir, " La petite fille au ruban bleu ", contenu dans une caisse saisie en vertu de la législation sur les biens juifs.
Il rappelait tout ce que sa famille avait fait en faveur du patrimoine français et réclamait la " restitution et l'assurance que nos biens mobiliers seront à l'avenir respectés "... (2)
Jérôme Carcopino,  secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse, transmettra la requête à Xavier Vallat, Commissaire général aux questions juives, en espérant une " suite favorable ". 
Celui-ci adressera un courrier à la Délégation française dans les territoires occupés où il évoquait l'occupation du domicile des Reinach par les forces allemandes. Il soulignait que Mme Reinach, " obtint des autorités occupantes l'autorisation de se rendre à Paris pour y récupérer des objets personnels ". C'est là qu'elle " constata que la bibliothèque de son mari était en partance pour l'Allemagne. M. Reinach ne pouvant plus que se livrer à des travaux intellectuels, serait heureux que la bibliothèque lui fut rendue ".
Dans une lettre du 31 mars 1943, Georges Duhamel, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, interviendra auprès de Fernand de Brinon, pour que soit adoucit le sort de la famille Reinach. 
Brinon, transmettra le courrier à Helmuth Knochen de la Sipo-SD.
Léon Reinach sera considéré comme " un Juif typique et insolent " par les différents services des autorités allemandes qui proposèrent, en guise de réponse, sa déportation. (3)
Aujourd'hui, à Paris, le musée Nissim de Camondo (du nom du frère de Béatrice, mort dans un combat aérien en 1917) présente une exceptionnelle collection d'art du XVIIIe siècle.
Inauguré en 1936, tout son contenu légué aux Arts décoratifs et à l’Etat, avait été transféré au château de Valencay, avec d'autres collections (des Rothschild et David-Weil), où tout failli disparaître dans l'incendie allumé par la division SS "Das Reich".
Les Reinach donnèrent aussi à l'Institut de France la Villa grecque Kérylos, à Beaulieu-sur-Mer (Alpes Maritimes), construite par Théodore Reinach (1860-1928), père de Léon.
Irène de Camondo qui avait divorcé en 1902, s'était convertie au catholicisme pour épouser le Comte Charles Sampieri, d'origine Italienne, en charge des écuries Camondo.
Elle ne sera pas inquiétée, protégée par son nom italien et sa conversion. Elle hérita de sa fille Béatrice et de la fortune des Camondo qu'elle dilapida dans les casinos de la Côte d’Azur. Elle meurt en 1963 à 91 ans.

(1) Pierre Assouline : " Le dernier des Camondo " (Gallimard, 1997, p. 314).
Philippe Erlanger : " Notes sur l'histoire des Camondo " (Archives Paribas, 1972)
Jean Cassou : " Le pillage par les Allemands des oeuvres d'art et des bibliothèques appartenant à des Juifs en France " (Editions du Centre, 1947).
(2) CDJC-CCXI-39_002 Lettre du 10 août 1941 de Léon Reinach, et lettre du 27 août 1941 du secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse, Jérôme Carcopino à Xavier Vallat, et la demande du Commissaire général aux questions juives, du 18 novembre 1941,  à la Délégation française dans les territoires occupés.
(3) CDJC-XLVI-484/490 Ensemble de sept documents, datés du 24 mars 1943 au 15 mai 1943, concernant Léon Reinach.

samedi 4 février 2012

Les handicapés et l'étoile

Certaines infirmités ne peuvent-elles dispenser un Juif du port de l’étoile ?
Cette question, soulignée en rouge sur le document, est formulée le 16 novembre 1942 par Henri Florent, chargé de mission de Jean Marques Rivière, délégué régional des SS du Nord-Pas de Calais.
Une demande transmise au directeur de la Police des Questions Juives (PQJ de Paris).
Non sans compassion, il est précisé  que cette personne a la main gauche mutilée.  « Elle ne peut avoir de profession manuelle et se voit fermer toutes les portes à cause de son insigne » (…) Et d'ajouter qu'il ne s’agit pas " d’un Juif comme les autres ", que " ses sentiments nationaux sont hors de doute et qu’il eut en toute circonstance une conduite véritablement digne d’éloges ". (1)
Une argumentation surprenante, en totale contradiction avec l’idéologie nazie, qui rappelons-le, a toujours rejeté le handicap. Hitler, dans « Mein Kampf », considérait  la « pureté du sang » comme un postulat de la « race aryenne » et dès 1934, le parti nazi éliminera les allemands les plus faibles, les handicapés mentaux et physiques.
Arrivés à Auschwitz II-Birkenau, les personnes présentant un handicap étaient immédiatement dirigées vers les chambres à gaz.

Photo CDJC et BN
Dans la France de Vichy, Pierre Régnier, président de la Fédération des amputés de guerre, écrira le 16 juillet 1942 à Darquier de Pellepoix pour demander une mesure d'exemption du port de l'étoile en faveur des mutilés de guerre Juifs.
Il mettra en avant la situation de Victor Faynzylberg, ce soldat du 22e régiment de marche étranger (polonais) qui a perdu sa jambe gauche en 1940, et dont la femme Ita, a été arrêtée en juillet 1942.
La libération d'Ita est demandée et Régnier explique « qu‘il n‘est pas guéri de son amputation et doit subir quotidiennement des soins particuliers. Il ne peut utiliser que des béquilles pour se déplacer ». Il précise qu’il habite un logement au cinquième étage et que « sa situation est particulièrement navrante du fait qu’il reste seul avec ses deux enfants en bas âge ».

C’est sur les conseils d'un voisin, que Faynzylberg, coiffeur boulevard de la Villette, s'est fait photographier avec ses deux enfants. Il a envoyé le cliché au maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, pour appuyer la demande de libération de son épouse, arrêtée parce que juive. 
Le cabinet de Pétain, note Henri Amouroux, alertera Laval, qui transmettra au président de la Fédération des amputés. (2)
Sa croix de guerre et sa médaille militaire sont bien visibles. Sa fille porte l'étoile. Le petit garçon, qui n'a pas encore six ans, ne la porte pas encore.

La réponse adressée à Pierre Régnier, le 23 juillet, tient en sept lignes, formule de politesse comprise : " les autorités occupantes s'opposent à toute mesure de faveur ". (3)
Finalement, Ita Faynzylberg sera déportée à Auschwitz par le convoi n°34, le 18 septembre 1942. Victor, arrêté chez lui, refusera d'obtempérer et se défendra à coups de béquilles. La police l'emportera ligoté sur une civière, et il sera du convoi n° 68, du 10 février 1944.

Un autre cas de mutilés, anciens combattants, est évoqué début juillet 1942, dans une correspondance entre le préfet de police et le Commissariat général aux questions juives sur une possibilité de dérogation du port de l'étoile dans le palais de justice. (4)
La demande avait été formulée par trois agents du service de surveillance, en uniforme, soldats de 1914-1918, décorés. Ces concierges en contact permanent avec le public, on d'ailleurs été affectés dans un autre service. La demande sera transmise aux autorités allemandes, sans suite...

Yves Lecouturier, dans « Shoah en Normandie 1940-1944 » (5) relève qu’un « Juif de Brionne, bien que médaillé militaire, et dont le fils a été distingué de la croix de guerre, complètement impotent, se voit refuser l’exemption du port de l’étoile jaune qu’il demande. La préfecture répond qu’aucune dérogation n’est prévue ».
(1) CDJC-CXV-86 Lettre du 16 novembre 1942.
(2) Cité par Henri Amouroux, dans " Quarante millions de Pétainistes" (Laffont, 1977) p. 496.
La photo de Faynzylber se trouve aussi dans "Images de la Mémoire Juive, immigration et intégration en France depuis 1880" de Nicole Priollaud, Victor Zigelman, Laurent Goldberg (Liana Lévi - Mémoire Juive de Paris, 2000)
(3) CDJC-CXCIV-92_002 Lettre du 23 juillet 1942.
(4) CDJC-CXCIII-72_001 Correspondance du 1er au 7 juillet 1942.
(5)Editions Cheminements, 2004. p. 57 

lundi 30 janvier 2012

Serge Gainsbourg a porté l'étoile jaune

« Je suis né sous une bonne étoile jaune », dira Serge Gainsbourg pour évoquer, non sans humour, sa jeunesse : il avait 12 ans en 1940.


> Interview du 3 septembre 1975 : Serge Gainsbourg se confie sur son passé "J'avais une étoile de shérif sur le coeur". Un document rare, archivé par l'ina.
Durée : 3 mn 46'



> Lire aussi l'article paru en 2008 dans " The Jewish daily Forward "

" L'avenir " publia sa première édition quotidienne yiddish le 22 avril 1897.

Un autre article paru en 2010 dans " TheJC.com", site de " The Jewish Chronicle ", édité à Londres depuis 1841.


> A lire : la chanson "Le Sable et le soldat" (1967).


Serge Gainsbourg, provocateur...
Lucien Ginzburg - son vrai nom à l’état-civil - porta l’étoile jaune de 1941 à 1943, jusqu’à ce qu’il rejoigne le Limousin, en zone 
« libre », en janvier 1944. 

Avec ses parents et ses sœurs, sa cadette Jacqueline, et sa jumelle Liliane, ils seront cachées dans une institution religieuse catholique.
Toute la famille a de faux papiers sous le nom de Guimbard, et
« Lulu » sera inscrit dans un collège jésuite à Saint-Léonard-de-Noblat où il devra apprendre le latin.
Pour échapper aux rafles, il lui faudra un soir se cacher dans les bois après une descente de la Gestapo. Il y passera toute une nuit, la peur au ventre. 

Il confiera avoir vécu, par la suite, comme un " rescapé " de cette époque.

En 1975, pour son album " Rock Around the Bunker " il composa cette chanson, 
" The Yellow star " :

" J'ai gagné la yellow star,
Et sur cette yellow star,
Inscrit sur fond jaune vif,
Y'a un curieux hieroglyphe
Sur cette yellow star, yellow star,
J'ai gagné la yellow star,

Et sur cette yellow star,
Y'a peut être marqué sheriff ou marshall ou big chief
Sur cette yellow star, yellow star,
J'ai gagné la yellow star,
Je porte la yellow star,

Difficile pour un juif,
La loi du struggle for life,
Quand il y a la yellow star, yellow star ".

dimanche 29 janvier 2012

L'étoile jaune dans d'autres pays que la France

Le brassard polonais

Dans d’autres pays que la France, on porta aussi l’étoile jaune...Le mot « Juif » devient  "Jude" en Allemagne, "Jood " aux Pays-Bas, « J » en Belgique, « HZ » en Slovaquie.


POLOGNE.- Le « marquage » des Juifs voulu par les nazis commença par la Pologne.
A partir du 1er décembre 1939, les juifs de plus de 12 ans devaient porter un brassard blanc, large de 10 cm, au bras droit avec, au centre, une étoile de David bleue. Le décret est signé à Cracovie, le 23 novembre 1939 par Frank, Gouverneur Général pour les territoires polonais occupés. Dans les autres parties de la Pologne, annexées par l'Allemagne, il fallait deux étoiles " à porter cousues sur le vêtement, du côté gauche sur la poitrine, et du côté droit sur le dos ".
Visionner ce rare film en couleurs de 1939, tourné à Cracovie.

CROATIE.- L'étoile jaune est portée dès le 22 mai 1941, les Oustachis décrètent que les Juifs devaient porter l’étoile jaune. Il s’agissait d’un brassard jaune, avec une étoile noire au centre.

ROUMANIE.- A partir du 3 septembre 1941, le port de l'étoile sera étendu à l'ensemble du pays : une étoile noire sur fond blanc. Le 6, Filderman et le grand rabbin Safran adjuraient le patriarche de l’église orthodoxe Nicodème d’intervenir pour empêcher la profanation de l’étoile de David. Le 8, le président du conseil Antonesci accepte et le 10, le préfet de police de Bucarest informe le président de la communauté de rite espagnol que ses membres ne porteraient plus aucun signe distinctif.
Le 26 février 1943, une ordonnance du gouverneur militaire de Bucovine, Corneliu Calotescu imposa l’étoile dans sa juridiction, sauf aux convertis, aux femmes juives mariées à des chrétiens, ou ayant des enfants issus d’un mariage avec un chrétien.

Dans l'armée, le grade des juifs est représenté par des étoiles jaunes, le port des feuilles de chêne sur la casquette leur étant interdit. (1)

ALLEMAGNE.- Un décret du 19 novembre 1941 oblige tous les Juifs allemands habitant sur le territoire du IIIe Reich à porter sur le côté gauche de la poitrine une large étoile jaune avec le mot "Jude".

BELGIQUE.- Le port de l’étoile, marquée d’un « J », est imposé par l’ordonnance du 1er juin 1942. Le 5 juin, les bourgmestres de l’agglomération de Bruxelles, présidés par  Coelst, écriront au conseiller supérieur de l'administration militaire des autorités d’occupation : «  Vous ne pouvez exiger de nous une collaboration à son exécution. Un grand nombre de juifs sont belges, et nous ne pouvons nous résoudre à nous associer à une prescription qui porte atteinte aussi directement à la dignité de tout homme quel qu’il soit " d'autant plus qu'elle implique " l'interdiction de porter les insignes des ordres nationaux "». (2)
A Liège, le bourgmestre Bologne écrira le 9 juin 1942 au chef militaire Busch :
« Il me revient de source sûre qu’à Bruxelles, la Kommandantur se charge de la distribution de ces insignes… J’aime à croire que vous voudrez bien prendre la même mesure à Liège, car, il nous serait pénible de devoir nous-mêmes procéder à la remise des dits insignes ». (3)
Quelque 780 membres de la communauté juive de Liège seront déportés.
En 2010, le bourgmestre De Meyer annonça que Liège présentait ses excuses pour la contribution de son administration et de son personnel dans les déportations. Anvers et Molenbeek avaient fait de même en 2007 et 2005.
Dans un courrier du 24 août 1942, l'association des Juifs de Belgique (AJB) écrira à la reine Elisabeth de Belgique en faveur de "Monsieur Samuel", dit Charles Krivine, vice-président de l'AJB pour obtenir "une mesure exceptionnelle" afin qu'il soit exempté du port de l'étoile avec sa femme Sophie et sa nièce Frajda. (4)

TCHEQUIE.- En Tchéquie (dans le ghetto juif de Terezin en Bohême centrale, à 60 km de Prague), des maillots de football étaient frappés de l'étoile jaune.

Dans le ghetto de Budapest en Hongrie
(Photo Magyar Nemzeti Muzeum Torteneti Fenykeptar)
HONGRIE.- En Hongrie, sur ordre d'Eichmann, entre fin mars et fin avril 1944, les Juifs se voient obligés de porter l'étoile jaune. Lire ICI la Shoah en Hongrie.

BULGARIE.- En Bulgarie, le métropolite Stéphane prendra la défense des juifs le 27 septembre 1942 après de nouvelles mesures anti-juives. Le ministre de l’Intérieur acceptera de recevoir une délégation juive venue lui apporter une pétition. Le ministre de la Justice exigera que le port de l’étoile ne soit plus obligatoire et qu’on mette fin à toutes les expulsions. 
En mars 1943, un rapport indique que le gouvernement suspend l’obligation de porter l’étoile pour les juifs italiens, mais elle sera rétablie plus tard. (5)

DANEMARK.- Au Danemark, le roi Christian X, contrairement à une légende solide, n’a pas porté l’étoile ou menacé de la porter si elle était imposée.

La Constitution de 1848 garantissait les libertés religieuses et Renthe Fink, le représentant du Reich à Copenhague, tenta en vain d’obtenir des mesures antisémites du gouvernement danois, après l’invasion d’avril 1940. 

Le gouvernement menaça de démissionner en cas de mesures antisémites et se trouva relayé par des manifestations anti-nazies avec port de badges rouge et blanc d'hommage au roi, et d'étoile jaune rebaptisée "Pour le Sémite", en référence à la médaille allemande "Pour le mérite".
La rafle, dans la nuit du 1er au 2 octobre 1943, sera un échec, la communauté juive ayant été prévenue : 472 juifs seront arrêtés et la Suède accueillera 6.800 personnes. (6)

HOLLANDE.- En Hollande, les femmes juives de plus de 45 ans sont exemptées d’étoile lorsqu’elles vivent en mariage mixte. Même disposition pour les juifs et juives vivant en mariage mixte et qui se sont faites stériliser. Des médecins s’opposeront à ces stérilisations. (7)

ILES ANGLO-NORMANDES.- Dans les Iles anglo-normandes, la 8e ordonnance sera enregistrée le 30 juin 1942 par le tribunal royal de Guernesey mais, sur l’intervention du gouverneur et du procureur général, elle ne sera pas enregistrée à Jersey par le bailli Alexander Coutanche (premier citoyen, chef du législatif et du judiciaire).

Passant outre, Wilhelm Casper adressera au haut commandement SS à Paris, la liste des juifs des deux îles. Il demandera si les juifs anglais, comme ceux d’autres nationalités, devaient porter l’étoile, avec la mention « Jew ». (8)


MONACO.- Le prince Louis II signe tardivement une ordonnance imposant un Statut des Juifs le 28 février 1942 mais ils ne porteront pas l'étoile jaune. 
Lire l'article complet de Monaco Hebdo et ICI.
Le 27 août 2015, le prince Albert II a officiellement demandé pardon pour l’intervention de la Police monégasque pendant la rafle de la nuit du 27 au 28 août 1942, faite en l’absence du Prince Louis II et du Ministre d’Etat.
Le prince a dévoilé une stèle au cimetière de Monaco qui comprend les noms des 90 Juifs monégasques ou résidents, dont 66 furent raflés. Seul neuf d’entre eux ont survécu.
Serge Klarsfeld, qui est à l'origine de ce travail de mémoire de la Principauté, est revenu sur les circonstances de ces arrestations dans une interview à "Actualité Juive" du 3 septembre :
" C’est le ministre d’Etat par intérim - un vichyste - qui, sans demander l’autorisation, a accédé aux demandes du gouvernement Pétain. La police monégasque a alors arrêté 65 juifs, des non-résidents. Elle a ciblé les juifs considérés comme apatrides et ceux des nationalités déportables. Certains venaient se réfugier quelques jours à Monaco, le temps que l’orage passe… 44 d’entre eux ont été arrêtés, mais pas les enfants. Ensuite, sous l’occupation italienne, les Italiens ne touchaient pas aux juifs ! Sous l’occupation allemande, cela a changé. Au total, 76 juifs ont été arrêtés à Monaco et une quinzaine juste en dehors. Le Prince a tenu à ce que les noms de ces derniers soient indiqués sur le monument aux victimes de déportation. "

GRECE.- A Salonique, l'étoile jaune sera imposée aux juifs par l'ordonnance du 6 février 1943. Signée par le SS Dieter Wisleceny, elle rappelle que la communauté juive de Salonique a l'obligation de porter l'étoile, dès l'âge de 5 ans.
L'étoile porte un numéro. Les enfants issus de mariages mixtes et les personnes converties ne sont pas dispensées du port de l'étoile. Lire ici

ALGERIE.- Le décret Crémieux du 24 octobre 1870, qui donna la nationalité française aux Juifs d'Afrique du Nord, est abrogé le 7 octobre 1940  par Marcel Peyrouton, ministre de l'Intérieur de Vichy. Les Juifs d'Algérie se retrouvent dans une situation d'infériorité légale par rapport aux Musulmans, qui peuvent toujours demander la naturalisation à titre individuel. Le statut des Juifs, du 30 octobre 1940 qui s'applique en métropole, concerne aussi l'Algérie avec un numerus clausus pour de nombreuses professions. Près de 15.000 Juifs seront internés en 1941 dans les camps de Boghari, Colomb-Béchar, et Djelfa. 
Le débarquement des forces alliées le 8 novembre 1942 (Opération Torch), permettra aux Juifs d'Algérie d'échapper à l'étoile jaune. Parmi les 400 résistants qui préparèrent et participèrent à l'opération Torch, on comptait 70 % de membres de la communauté juive, sous la conduite de José Aboulker. Ils arrêtèrent notamment les généraux de Vichy et neutraliseront le corps d'armée vichyste d'Alger. Après l'assassinat de l'amiral Darlan, le général Giraud maintiendra les mesures discriminatoires contre les Juifs, en les maintenant à l'écart des unités combattantes. Giraud nommera Marcel Peyrouton au poste de  Gouverneur général à Alger.

MAROC.- Le pays n'ayant pas été occupé par les allemands, le port de l'étoile ne s'est pas posé mais le sultan Ben Youssef, futur Mohammed V (1909-1961), signa un dahir le 31 octobre 1940, instaurant le numerus clausus dans les professions libérales et l’enseignement
A partir du 1er janvier 1941, il se réserva le droit de contrôler l’application de ces mesures imposées par le résident général, le général Noguès. 
Pour la fête du trône de 1941, le sultan invita tous les rabbins du Maroc, la communauté juive représentant alors près de 300.000 personnes.
L'historien Georges Bensoussan démonte ICI l'attitude du sultan marocain, qui n'a jamais vraiment protégé la communauté juive marocaine. Il rappelle que le port de l’étoile jaune est une mesure allemande qui n’a jamais été appliquée en zone libre, notamment le Maroc et l’Algérie.
En 2005, Serge Berdugo, secrétaire général du Conseil des communautés israélites du Maroc, rappelait que « les avocats juifs étudiaient les dossiers dans leur bureau avant de confier la plaidoirie à leurs associés musulmans ».
En France, Marocains et Tunisiens ont été dispensés d’étoile : 
Kurt Schendel, du service de liaison de l’UGIF, au printemps 1944, précise qu' « Il n’y a pas d’ordonnance allemande stipulant que les Marocains et les Tunisiens sont exclus du port de l’étoile, mais l’ordonnance du 28 mai 1942 qui spécifie les nationalités devant porter l’étoile est restrictive. Dans ces conditions, les Marocains et Tunisiens, protégés français, ne perdant pas leur nationalité marocaine et tunisienne, ne sont pas astreints au port de l’étoile ». (9)

TUNISIE.- Les Allemands, refoulés d’Egypte après El Alamein et Tobrouk, arriveront à Tunis le 9 novembre 1942. La Tunisie sera le seul pays d’Afrique du Nord à avoir été occupé jusqu’à la retraite allemande de mai 1943. Les lois de Vichy s’appliqueront mais le gouvernement italien s’opposera aux textes antisémites contre ses 5.000 ressortissants, dont de nombreuses familles aisées, appelées les « Livournais » ou « Grana ». (10)
L’étoile ne sera pas imposée pour ne pas choquer les nombreux étrangers résidant à Tunis (11) mais, le 9 décembre 1942, après une prise d’otage d’une centaine de notables juifs, 2.000 hommes sont arrêtés. Ils devront porter sur le dos et la poitrine une étoile jaune, apparente «  pour permettre de les reconnaître même de loin et de tirer dessus en cas d’évasion ». (12)
En février et mars 1943 à Djerba, des saisies d’or et d’argent se feront sous la menace dans les banques de Gabès. Le commandant Werner Best exigea que tous les juifs des deux sexes de plus de six ans portent l’étoile. 
Le colonel Walter Rauff, concepteur des chambres à gaz mobiles, demanda officiellement le 17 mars 1943 au préfet de police, d'astreindre les Juifs au port de l'étoile mais, après la libération par les Alliés le 7 mai, les dispositions prises seront abrogées. (13)
" Cette requête suscita beaucoup d'embarras à la Résidence (ndlr : du résident-général, l'amiral Estéva) qui, entre autres considérations, n'apprécia guère que seuls les Juifs de nationalité française et tunisienne, à l'exclusion des Juifs italiens fussent obligés de porter un signe distinctif " souligne Michel Abitbol dans " Les Juifs d'Afrique du Nord sous Vichy " (Maisonneuve & Larose, 1983) p. 144. (CDJC : CCCLXXXVIII-26). 
" Son Altesse - estima le Conseiller juridique au gouvernement tunisien - ne manquerait d'y voir, quant à ses sujets, une mesure prise contre leur nationalité plutôt que contre leur race ".
Un décret beylical du 12 mars 1942, portant Statut des Juifs, stipulait dans son article premier :
" Sur tout le territoire de la Régence, toutes les personnes de l'un ou l'autre sexe considérées comme Juives au sens de l'article 2 du décret du 12 mars 1942, devront à partir de l'âge de 18 ans, porter obligatoirement un insigne de couleur jaune, représentant une étoile à six branches. Cet insigne sera confectionné en tissu de couleur jaune citron et devra avoir un diamètre de cinq centimètres. Il devra être solidement cousu, par toutes ses branches, à la manière des écussons sur le vêtement, dans la partie gauche de la poitrine et être parfaitement visible ". (Ibid p. 145)
Michel Abitbol rappelle qu'un délai minimal de deux semaines devait être laissé aux intéressés pour confectionner les insignes mais " les Allemands avaient des soucis autrement plus urgents que celui de veiller au port de l'étoile jaune : la " ligne Mareth " venait d'être défoncée par les Alliés qui du 20 mars au 14 avril repoussèrent les forces de l'Axe de Sfax, Sousse et d'Enfidaville ".
Il donne aussi une autre explication à l'oubli allemand d'imposer l'étoile, avancée par Eugène Boretz dans " Tunis sous la croix gammée " (Alger, 1944) p.37 : " cette omission serait due au désir des SS de ne pas choquer les très nombreux étrangers résidant à Tunis ".
Moncef, Bey de Tunis, n'aura aucune attitude hostile envers les Juifs Tunisiens. 
Il refusa de collaborer avant d'être exilé : " Son Altesse ne manquerait pas d'y voir, quant à ses sujets, une mesure prise contre leur nationalité plutôt que contre leur race ", estima le conseiller juridique du gouvernement tunisien dans un courrier au résident général de France, l'amiral Estiva, le 20 mars 1943. (14)
Lire aussi : "Etoile jaune et croix gammée" de Robert Borgel (Editions Le Manuscrit, 2007)

MARTINIQUE.- L'amiral Georges Robert appliqua les lois antisémites de Vichy jusqu'au 16 juillet 1943. En août 1941, l'île comptait 55 personnes recensées comme juives (dont 24 enfants). Mme Sarah Lazareff, épouse du fondateur de la distillerie Clément, se présenta d'elle-même aux autorités et aurait demandé, par solidarité avec les autres juifs, à être enregistrée et à porter l'étoile jaune mais, souligne William Miles, rien n'indique que l'étoile fut portée à la Martinique. (15)

GUADELOUPE.- Le gouverneur Constant Sorin, était un "protégé" de Georges Mandel qui l'avait nommé à ce poste en avril 1940. Il se rallia à Vichy en juillet.  Son épouse était juive et en novembre 1943, il demanda un congé au gouvernement. En 1945, dans l'état-major du général Leclerc, il participa au débarquement en Indochine. (16)

A Prague, entre septembre 1941
et décembre 1944.
(Photo Czechoslovak News Agency)
(1) CDJC-CDXLIV-10 Lettre du 8 janvier 1944 de l’attaché militaire auprès de la légation allemande à Bucarest à l’état-major de l’armée.
(2) CDJC-CDLXIII-117 Lettre du 2 juin 1942 et CDJC-CDLXIII-160
(3) Thierry Rozenblum : «  Une cité si ardente – l’administration communale de Liège et la persécution des juifs 1940-1942 » (Revue d’Histoire de la Shoah n° 179 – 203 – p. 9 à 49.

(4) CDJC-CDLXIII-119 Lettre du 24 août 1942 destinée à la reine Elisabeth demandant la dispense du port de l'étoile jaune pour la famille Krivine.
(5) CDJC-XXVa-290 Lettre du 20 avril 1943 du Dr Gossmann, de l’ambassade d’Allemagne à Paris, accompagnée d’un rapport du 12 mars 1943.
(6) Raul Hilberg : " La destruction des juifs d'Europe " (Gallimard, 1991).
(7) CDJC-CDXLIV-3 Ensemble de documents du 14 juillet au 28 août 1943.
(8) Frederick E.Cohen : « Les juifs dans les îles de Jersey, Guernesey et Sercq sous l’occupation allemande 1940-1945 » - Revue d’Histoire de la Shoah n°168 – 2000 – p.57 à 106.
(9) CDJC-CDXXIV-6 Notes de Kurt Schendel.
(10) CDJC-XXVa-250 Note du 11 septembre 1942. Hagen demande à Oberg de vérifier si les autorités françaises ont été sous la pression des autorités allemandes pour résoudre la question juive à Tunis.
(11) Eugène Boretz, «  Tunis sous la Croix Gammée », p.37.
(12) Michel Abitbol : «  Les juifs d’Afrique du Nord sous Vichy » (Riveneuve, 1998) p.186

(13) CDJC-CCCLXXXVIII-18 et 19 Témoignages visés par le tribunal militaire permanent de Tunis et restitution des amendes imposées aux collectivités juives.
(14) CDJC-CCCLXXXVIII-26 
(15) William Miles : La créolité et les juifs de la Martinique (Revue du Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe (L'Harmattan, 2010) 
(16) Jacques Cantier, Eric Jennings : L'Empire colonial sous Vichy (Odile Jacob, 2004) et Eric Jennings : Vichy sous les tropiques (Grasset, 2004)