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vendredi 21 août 2020

Jacques et Jeanne Helbronner gazés à Auschwitz


13 juin 1940 : Jacques et Jeanne Helbronner quittent Paris pour se replier à Lyon. Conseiller d'Etat et vice-président du Consistoire central, il succèdera en mars 1941 au président Edouard de Rothschild.


Jacques Helbronner en 1942
(Association Paul Helbronner
crédit photo : dr)
Le baron de Rotschild est parti se réfugier en Espagne le 23 juin 1940. Il rejoindra New York avec son cousin Robert qui présidait le Consistoire de Paris.

Né en 1873 à Paris, Jacques Helbronner est diplômé de l'Ecole des sciences politiques et il débuta sa carrière à 25 ans comme auditeur au Conseil d'Etat. Docteur en droit, il est promu maître des requêtes en 1910 et fait parallèlement ses premiers pas dans les institutions communautaires en entrant en 1906 au Consistoire de Paris.

De mars à septembre 1917, il sera directeur du cabinet militaire de Paul Painlevé, président du Conseil et ministre de la Guerre. C'est là qu'il se lie d'amitié avec le général Pétain, nommé le 15 mai 1917 commandant en chef de l'armée pour remplacer le général Nivelle.

Démobilisé en 1919, croix de guerre avec trois citations, commandeur de la Légion d’Honneur, Helbronner est aussi très proche des milieux d'affaires en raison de ses liens familiaux. Son frère cadet Henry est administrateur du Comptoir français du Maroc. Son frère ainé Paul est marié à Hélène Fould, la fille d'Alphonse Fould, administrateur des Hauts fourneaux, Forges et Aciéries de Pompey, près de Nancy, principal fournisseur de l'acier de la Tour Eiffel. 

Son épouse Jeanne Helbronner, est la fille du banquier Charles de Weisweiller.


A 66 ans, en 1939, il n’hésite pas à remettre son uniforme de colonel de réserve…

Le 13 juin 1940, le couple quitte le 32 avenue Henri-Martin, dans le 16e pour rejoindre Bordeaux puis Lyon.

Mis à la retraite du Conseil d’État en raison du premier statut des Juifs du 3 octobre 1940, il reste néanmoins fidèle au chef de l'Etat. 

Entre l'été 1940 et juin 1942, le président du Consistoire qui a pour mission de protéger les juifs français, rencontrera Pétain pas moins de vingt-sept fois (1), souvent accompagné à Vichy par le grand rabbin de France, Isaïe Schwartz, pour protester contre l'avalanche des législations antisémites. Sans effet... Des réponses "polies mais insignifiantes" notent les historiens Marrus et Paxton. ("Vichy et les Juifs", Calman-Lévy 2015, p. 130)

Alors qu'il réclame le 7 avril 1941 des "aménagements" en faveur des anciens combattants à Xavier Vallat, Commissaire général aux Questions Juives, Helbronner estime l'entretien " charmant et cordial, collaboration confiante, promesses favorables " (Simon Schwarzfuchs, " Aux prises avec Vichy ", Calmann-Lévy, 1998. p. 102). 

Le 30 mai, Vallat l'informe que les autorités allemandes ont refusé d'exempter les anciens combattants...

15 juin 1941 : Helbronner, deux semaines après l'entrée en vigueur du second statut des Juifs, estime que sa dignité et celle du judaïsme français tout entier lui imposent de “mettre fin aux relations qu'il entretenait avec les pouvoirs publics".

30 juin  : Helbronner remet personnellement au maréchal un texte signé du grand rabbin et des 43 membres du Consistoire central protestant contre le nouveau statut des Juifs du 2 juin.

1er juillet 1941 : Helbronner écrit de nouveau à Pétain pour dénoncer cette loi qui " ne vise pas les israélites en tant que Français ou étrangers, mais, à l'imitation servile de l'autorité occupante, ne connaît ou ne reconnaît plus qu'un troupeau juif où la nationalité, même française, n'est plus qu'un accessoire sans valeur ni portée ". (CDJC : CCXIX-110_002 et CDJC-LXXII-2)

29 novembre 1941 : l'Union générale des Israélites de France (UGIF) est créée. Helbronner s'était déclaré contre cette représentation raciale, souhaitant que le Consistoire continue de régir l'administration du culte. (CDJC-CCXIII-6)

De fait, le Consistoire perd ses prérogatives, les œuvres de bienfaisance qu'il contrôlait étant dissoutes.

8 décembre 1941 : dans un courrier à Pétain, Helbronner demande l'arrêt "de cette campagne de haine". Mais il emploie cette formule de politesse : "Croyez, Monsieur le Maréchal à mon dévouement fidèle et à ma persistante et respectueuse affection". (CDJC-CCXIX-113)

Quatre jours plus tard, le 12 décembre, suite à un attentat, 743 notables juifs français sont arrêtés et 100 otages seront exécutés à Caen le 15 décembre.

12 juin 1942 : deux semaines après l’introduction de l’étoile jaune en zone occupée, Helbronner écrit à Laval, sans évoquer l'insigne instauré par l'occupant : « La France va-t-elle donc connaître la honte d'être une terre de pogroms et les principes de justice, de liberté des croyances et des cultes, de respect de la personne humaine, qui ont été si longtemps la personnalisation de son idéal, vont-ils être désormais méconnus à l'égard des personnes françaises ou étrangères que réunit uniquement le seul lien religieux ? » (Archives du Consistoire, BCC 19, dossier 19 a). 

23 octobre 1943 : les nombreuses protestations prendront fin avec l'arrestation de Jacques Helbronner à son domicile lyonnais, sur ordre de Berlin, alors qu'il se rend à Vichy pour dire une nouvelle fois son opposition aux mesures de répression et de déportation.

Le 3 novembre, le cabinet de Pétain adresse un télégramme au CGQJ pour connaître le sort qui lui sera réservé. Georges Edinger, le nouveau président de l'UGIF, demande son transfert à l'hôpital Rotschild. En vain.


Avant d'être transféré au fort de Montluc, la Gestapo l'autorise à passer deux appels téléphoniques. L'un au Cardinal Gerlier, l'autre à Léon Meiss, vice-président du Consistoire.

Jacques Helbronner est transféré à Drancy le 11 novembre, avec son épouse Jeanne. Le 20, ils sont déportés à Auschwitz par le convoi n° 62 et seront gazés dès leur arrivée.

Jeanne Helbronner avait 70 ans. Son frère Arthur, polytechnicien, membre du Consistoire central, meurt en 1941 à 64 ans. Sa veuve Betty Deutsch de la Meurthe, 55 ans, sera déportée à Auschwitz par le convoi n°60 du 7 octobre 1943.

Les deux fils des époux Helbronner, Henri (1900-1975) et Raoul (1904-1979) échapperont à la Shoah. Raoul s'engagea en 1941 comme officier d'aviation dans les Français Libres.


(1) Michel Laffitte : " Juif dans la France allemande" (Tallandier 2006). Chapitre II - La relève des élites du judaïsme parisien. Pages 45 à 50. Chapitre VII - La politique sociale. L'impuissance des élites parisiennes. Pages 214-215.

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