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vendredi 14 août 2020

La protection italienne jusqu'au 11 novembre 1942

Les Juifs étrangers issus des pays belligérants n'ont pas porté l'étoile jaune. 
A la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l'Amérique Centrale et du Sud, s'ajoutaient les pays neutres : Suisse, Espagne, Brésil. Et les alliés de l'Allemagne : Italie, Grèce, Turquie, Bulgarie.

Ces exemptions, prévues dans le dispositif dérogatoire, avaient pour objectif d'éviter " les représailles contre les ressortissants allemands de ces pays ainsi que les interventions des pays neutres ", commentait Théodore Dannecker, le chef de la section IV J de la Gestapo de Paris. (1)

D'après la préfecture de police 9.837 personnes sont concernées. (1bis)

Le 29 mai 1942, afin de préciser le texte de l'ordonnance publiée le même jour, le général Oberg, chef supérieur de la SS pour la France, indique à Brinon, l'ambassadeur de Vichy, les nationalités, en plus des français, qui auront à porter l'étoile : hollandais, polonais, slovaques, croates, roumains, belges, yougoslaves, et les Juifs apatrides.

Ces précisions corrigeaient le texte de l'ordonnance élaboré le 5 mai 1942 à l'ambassade d'Allemagne.

Début juillet les Juifs hongrois se voient astreints au port de l'étoile à l'occasion d'un "complément à la 8e ordonnance". (2) 

En septembre, les bulgares sont aussi visés. (3)


Ces décisions au coup par coup susciteront en septembre les remarques de Carl-Theo Zeitschel, chargé des questions juives à l'ambassade d'Allemagne, dans une note à Ahnert, l'adjoint de Röthke, le chef du service juif à la SS : " Si on avait introduit le port de l'étoile jaune pour tous les Juifs sans distinction de nationalité aucun état n'aurait bronché. L'outrecuidance, ces derniers temps du consulat général italien dépasse franchement les bornes : il en est à exiger d'être consulté avant que ne soient décrétées d'autres mesures qui toucheraient également ses ressortissants ! " (4)

Des relations conflictuelles exprimées dès août 1942 par le consul Gustave Orlandini qui considère que " l'application des mesures anti juives n'est pas possible sans l'accord du consulat et que l'accord doit être fondé sur les lois raciales italiennes". 

Si les Juifs Italiens ont été seulement exemptés de l'étoile ils restent soumis aux autres mesures antisémites contrairement à un compte-rendu de réunion qui aurait été falsifié par le consulat général. À la suite de quoi, l'ambassade d'Allemagne a pris le relais du service IV J de la Sipo-SD pour maintenir les relations. (5)

Cette agacement vis-à-vis des Italiens ira crescendo. 

3 juin 1943 : le consul Gustave Olandini demande la libération de Micheline Lévy, arrêtée parce que sans étoile. 

Röthke suggère qu'on arrête toute sa famille. Le 28 juillet sa sœur jumelle et sa mère sont appréhendées. Cette dernière sera relâchée car mariée à un aryen mais  Aloïs Brunner, alors chef du camp de Drancy, indique dans une note manuscrite du 14 août que " les deux filles seront déportées avec le prochain transport vers l'Est ". (6)


Jusqu'à la capitulation italienne de septembre 1943


Après le débarquement allié en Afrique du Nord, l'invasion allemande de la zone sud intervient le 11 novembre 1942. Les Italiens avaient été chargés d'occuper les dix départements du sud-est. Une présence qui permettra aux Juifs une bienveillance qui durera jusqu'à la capitulation italienne de septembre 1943, hormis les rafles de février 1943 où 2000 Juifs étrangers seront arrêtés par la police française en zone d'occupation italienne. 

À Annecy, la gendarmerie sera cernée par les italiens qui demanderont la remise en liberté des personnes arrêtées (7) et des rapatriements seront organisés par plusieurs consulats italiens sur demande du ministère des Affaires étrangères italien. 

Ainsi, le 17 août 1942 la libération de la famille Cohen est demandée à l'ambassade d'Allemagne : Maria, qui a accouché deux mois plus tôt est retenue à l'hôpital Rothschild et son mari Giacomo est à Drancy.

Le consulat italien estime que leur arrestation est intervenue dans l'ignorance des accords sur le rapatriement des Juifs Italiens. (8)

À Annecy, le colonel Badoglio, neveu du commandant en chef des armées, vient demander au sous-préfet d'Albertville de faire rouvrir le Grand Hôtel de Brides-les-Bains pour y installer des Juifs bientôt évacués de la Côte d'Azur. (9)

Lorsque l'armée allemande prend le relais des italiens, une toute autre attitude s'engage : à Nice le 9 septembre 1943, Aloïs Brunner organise la rafle et la déportation de 1.850 Juifs fichés.

Le 12, Georges-Abraham Barach, officiant depuis quarante ans de la synagogue de Nice rue Deloye, est arrêté avec le grand rabbin Josué Pruner par un détachement allemand avec les personnes qui suivaient un enterrement. 

Transférés à l'hôtel Excelsior, QG de Brunner, ils seront vus sous escorte montant dans un train pour Marseille. M. Barach sera déporté à Auschwitz le 17 septembre 1943 par le convoi n° 60. Sa femme écrira au préfet en indiquant que la famille Barach est en France depuis 1813... 

Le grand rabbin Pruner et son épouse seront arrêtés le lendemain de Roch Hachanah dans la nuit du 3 au 4 octobre. Transférés à Drancy ils seront deportés à Auschwitz le 20 novembre par le convoi n°62. 

Le 15 octobre, le rabbin de Cannes Léon Berman est aussi arrêté avec sa femme et son fils. Ils seront deportés à Auschwitz le 28 octobre 1943 par le convoi n° 61. (10)

Le contraste est saisissant avec la présence italienne protectrice liée au rôle joué par quelques hommes :  Alberto Calisse, consul général à Nice, s'était déjà opposé à la loi vichyste du 11 décembre 1942 obligeant de porter la mention "JUIF" sur les papiers d’identité. 

Confronté au préfet Ribière qui voulait assigner les Juifs étrangers établis après 1938 en résidence surveillée, il lui rappellera les termes de la convention de 1930 entre l'Italie et la France, stipulant que " les citoyens de "race" hébraïque conservent pleinement leur nationalité italienne et ne peuvent être soumis en France à des dispositions contraires ". (11)

À Rome, le secrétaire d'Etat Giuseppe Bastianini, hostile aux Allemands, a informé Mussolini sur les déportations en Pologne. Pour lui " aucun pays ne pourrait prétendre associer l'Italie, berceau de la chrétienté et du droit, à ces forfaits pour lesquels le peuple d'Italie devrait peut-être rendre compte un jour ". (12)

Un plan, à l'initiative du banquier Donati, en liaison avec le Vatican, qui prévoyait l'évacuation de 30.000 réfugiés vers l'Afrique du Nord, sera stoppé par l'invasion allemande de septembre 1943. Dés mai 1943, les mesures anti juives seront suspendues à Nice et Monaco. (13)

En juillet 1943, le nouveau préfet des Alpes Maritimes Jean Chaigneau avait ordonné la régularisation de tous les Juifs étrangers par l'UGIF. Il hébergera des familles à la préfecture et fera disparaître le double des listes du recensement. Mais l'original servira à Brunner pour ses arrestations massives... Le préfet sera arrêté le 14 mai 1944, déporté à Eisenberg et libéré en mai 45.


Le criminel de guerre Aloïs Brunner a fait déporter 24.000 juifs français et est jugé responsable de l'assassinat d'environ 130.000 juifs d'Europe. Condamné par la France à la réclusion criminelle à perpétuité, par contumace en 1954 puis en 2001, pour "crimes contre l'humanité" pour avoir arrêté, interné et déporté 345 enfants juifs, il serait mort à Damas en décembre 2001 à 89 ans. Il avait été donné pour mort en 1992, et le Centre Simon-Wiesenthal affirmait que l'ex-nazi était mort en 2010.


Pas d'étoile jaune en zone sud


Après l'invasion allemande du 11 novembre 1942, l'occupant renoncera à imposer l'étoile jaune en zone sud, jusqu'alors "libre", à la différence de la "zone occupée". Par la loi du 11 décembre 1942le gouvernement de Vichy préféra la mention « JUIF », tamponnée à l'encre rouge, sur les cartes d’identité et d’alimentation dans toute la zone sud. Ce dispositif était déjà en vigueur à Paris, suite à une ordonnance du préfet de police du 10 décembre 1941.

"Moi vivant, l'étoile juive ne sera pas portée en zone libre " aurait dit Pétain au grand rabbin Isaïe Schwartz. (14)

Pierre Laval, dans ses notes rédigées dans sa cellule avant son exécution, apportera des précisions sur le "tampon JUIF" : " Je refusai l'obligation que les Allemands et le commissariat général voulaient imposer aux Juifs en zone sud de porter l'étoile jaune. Les Allemands (...) avaient exigé la loi instituant l'obligation de faire figurer le mot "Juif" sur les cartes d'identité et de ravitaillement. (...) Ce fut le moindre mal, car l'insertion sur les cartes ne gênaient pas les Juifs vis-à-vis des autorités françaises. Elle leur permettait d'échapper, comme travailleurs, au départ pour l'Allemagne, car j'ai toujours donné l'instruction de les exclure des départs. Ils furent seulement requis au tout dernier moment pour les chantiers Todt et il y en eut un nombre infime "... 

Laval "oublie" seulement les déportations massives effectuées depuis la zone sud...

La grande rafle du 26 août 1942 marque pourtant l’extension de la chasse aux Juifs étrangers dans les 40 départements de la zone encore libre, considérée jusqu’alors comme un refuge. Vichy s’était déclaré prêt à livrer trois à quatre mille Juifs internés dans les camps de la zone libre avant la mi-août. Et prêt aussi à arrêter tous les Juifs apatrides réfugiés de zone libre. 

Au total, allemands et français conviendront de livrer 32.000 Juifs...


(1) CDJC-XLIXa-13 Lettre du 14 mai 1942 de Theodor Dannecker au service IV B4 et VI B, à l'inspecteur de la Sipo-SD de Düsseldorf et aux services de Sipo-SD d'Angers, Dijon, et Rouen.

(1bis) Léon Poliakov : «L’Etoile jaune », CDJC – Editions du Centre, Paris 1949, p. 41

7.731 hommes et femmes, et 2.106 enfants pour une prévision de Juifs astreints à l’insigne de 100.455 personnes (61.864 français et 38.591 étrangers)

(2) CDJC-XLIXa-99 Lettre de Oberg du 8 juillet 1942.

(3) CDJC-XLIXa-43 Note de Oberg.

(4) CDJC-VI-194 Note du 1er septembre 1942.

(5) CDJC-I-31 à I-65 et XLVIIIa-9

(6) CDJC-XLVI-315/318 Requête de mise en liberté. Documents du 3 juin au 10 août 1943.

(7) CDJC-XXVa-274a Note du 22/2/1943 de Lischka sur l'attitude des Italiens envers la "question juive".

(8) CDJC-XXVa-326 Note du 13/2/1943

CDJC-XXVa-235 Note et lettre du 17 août 1943.

(9) Charles Rickard : 1943-45 Vérités sur la guerre (Éditions J.P Gisserot, 1990) p. 27

(10) Rapporté par Jean Kleinmann. Thèse de doctorat 2003 sur les étrangers dans les Alpes-Maritimes 1860-1944. 

Paul Lévy : Hommes de Dieu dans la tourmente - L'histoire des rabbins déportés. Safed éditions 2006. p. 397 et 371.

(11) AD Alpes-Maritimes, 616 W242, télégramme du 14/12/1942.

(12) CDJC-I-43 et 44

(13) CDJC-XXVa-297 Documents des 21 et 31 mai 1943.

(14) Témoignage de Paul Estèbe, chef adjoint du cabinet de Pétain à Raymond Tournoux, cité dans "Pétain et la France", Plon 1980, p.305)

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