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dimanche 19 février 2017

Le risque de ne pas porter l'étoile...


Contre l'étoile discriminatoire, des Juifs choisiront aussi de ne pas la porter, au risque de se faire dénoncer, arrêter et déporter.

Robert Debré (dr)
L'éminent Pr Robert Debré (1882-1978) n'hésita pas. 

Lui qui menait par ailleurs des actions de résistance, sera interrogé par la police en 1943 pour « s’être présenté à plusieurs reprises dans les bureaux allemands sans porter l'étoile ».
Par décret du 5 janvier 1941, il avait été relevé de toutes les interdictions du statut des Juifs car il soignait des enfants d'officiers allemands, respectant ainsi le serment d'Hippocrate. 
« Quoique prétextant que les autorités occupantes ne le considèrent pas comme Juif, le Pr Debré n'en est pas moins recensé à la préfecture de police et ne possède aucune dispense de l'étoile ». (80)
Dans ses mémoires, le Pr Debré explique avoir rangé « le petit morceau d'étoffe dans un tiroir ».
« J’étais convaincu, comme plusieurs d'entre nous, que cette désobéissance n'augmenterait guère les risques car nous fûmes assez nombreux à prendre cette attitude. Sans nous être entendus, agirent de même les deux autres membres de ma famille astreints à cette obligation et alors présents à Paris : le
Pr Jacques Hagueneau, mon cousin, qui échappa de justesse un peu plus tard à la Gestapo, et un autre cousin, Paul Dennery, qui fut arrêté place de la Madeleine, et dont on n'eut plus jamais de nouvelles ». 

Déporté de Drancy par le convoi n° 59, il est mort à Auschwitz le 2 septembre 1943. (81)

Serge Klarsfeld, dans " La Shoah en France " tome 2, évoque Tamara Isserlis, 24 ans, étudiante en médecine qui travaillait avec le Pr Debré. 
Elle sera arrêtée pour avoir porté le drapeau français sous l'étoile jaune, et déportée par le convoi n° 3 du 22 juin 1942, le premier à compter des femmes. 
Egalement, le Dr René Bloch, frère de l'avionneur Marcel Dassault, chirurgien à l'hôpital des enfants malades, s'était confectionné une étoile géante et l'avait arborée sur son uniforme de lieutenant colonel sur les Champs Elysées le 6 juin 1942, avec ses médailles.
Le 9 juin, alors qu'il opérait, il sera arrêté et déporté le 22 juin. 

Il partira de Drancy pour Auschwitz par le convoi n° 3. (82)

De multiples arrestations pour défaut d’étoile se termineront par des déportations.
Armand Abraham Reis, né le 13 mars 1878 à Mutzig (Bas-Rhin), écrira le 18 août 1942 au maréchal Pétain en évoquant sa « culpabilité » :
« Comme juif, je suis interné dans le camp de La Lande, par Monts (Indre-et-Loire), pour avoir voulu franchir la ligne de démarcation, sans être porteur de l'insigne, et sans autorisation de déplacement, je mérite en effet une peine disciplinaire pour infraction à l'ordonnance allemande en vigueur ».
Il dit attendre l'intervention du chef de l'Etat pour « adoucir ou écourter (sa) peine » et invoque ses états de service, rappelant qu'il a « eu le très grand honneur » de servir en qualité de chauffeur dans l'état-major particulier du maréchal pendant plus de deux ans jusqu'à sa démobilisation en février 1919, à Mayence.
Il rappelle les actions de plusieurs membres de sa famille, comme son frère, ingénieur et officier d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur, décédé suite à une maladie contractée sur le front.
Egalement, de son beau-père, médecin-chef pendant la guerre, et sa soeur, infirmière-major, sans oublier son épouse qui « partage mon malheureux sort ».
Interné à Drancy, il sera déporté à Auschwitz, par le convoi n° 48, du 13 février 1943 où il sera exterminé le 18 février. (83)


Elisabeth de Fontenay, philosophe, maître de conférences émérite à la Sorbonne, née en 1934, a présidé la Commission Enseignement de la Shoah de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. 
Toute la famille de sa mère (née Hornstein) est morte à Auschwitz : « La mère de ma mère, la soeur de ma mère et son mari, ainsi que leurs deux enfants qui avaient le même âge que moi et mon frère, Micheline et Daniel Feinstein, 11 ans et 9 ans. Nous passions nos vacances ensemble, on jouait aux gendarmes et aux voleurs. Ils ont été déportés en mars 1944. Dénoncés, probablement par des voisins. Aucun d’entre eux n’avait jamais porté l’étoile jaune ». (84)


Louise Jacobson, une lycéenne de 17 ans, dénoncée pour ne pas avoir porté l’étoile, sera arrêtée chez elle, rue des Boulets (11e), par la police française. Incarcérée à Fresnes le 1er septembre 1942... Drancy, Beaune-la- Rolande, elle sera déportée par le convoi n° 48 du 13 février 1943 et mourra gazée à son arrivée à Auschwitz. Elle a laissé six mois de lettres émouvantes écrites pendant sa captivité, publiées par sa soeur. (85)


Léna Frenkel, 17 ans, arrêtée le 12 septembre 1942 à Evreux, pour ne pas avoir porté d’étoile, sera condamnée à
dix semaines de prison. Début décembre, sa mère, Ernestine Frenkel, restait sans nouvelles. Le 9 décembre, elle écrit une lettre poignante à la maréchale Pétain.
« Laissez moi espérer que tout n’est pas encore perdu, que je verrai ma petite bientôt pour me consoler pendant l’attente de la libération de mon mari (Ndlr : prisonnier de guerre). Elle adressera aussi un courrier au service diplomatique des prisonniers de guerre qui fera suivre sa demande de libération de sa fille au Commissariat général aux questions juives. Le 29 janvier 1943, il est répondu que « dans les circonstances actuelles, il ne peut être donné une suite favorable à la requête de Mme Frenkel ». (86)


Parmi les agents zélés de la SEC, l’inspecteur Robert Douillet appliquera strictement les ordonnances allemandes. 
Le 8 décembre 1942, il interpelle Albert Morhaim dans le métro. Ce jeune garçon de 18 ans ne porte pas d’étoile. Il le brutalise et se rend à son domicile, à Champigny-sur-Marne, où il arrête ses parents, son frère Roger et sa soeur Rachel. Ils seront tous déportés par le convoi n° 47 du 11 décembre 1943. (87)

Le 26 octobre 1943, Douillet arrête Simone Lackenbacher, 32 ans, employée dans une pharmacie, rue des Batignolles (19e). Son rapport précise avoir « trouvé la Juive à la caisse sans étoile ». Il lui demande de le suivre et... « cette juive a tenté de prendre la fuite, mais a été appréhendée à nouveau ».
Elle sera déportée par le convoi n° 62 du 20 novembre 1943. (88)


L’inspecteur Douillet sera condamné en août 1949, par la Cour de justice de Paris à 15 ans de travaux forcés.


Nicole Barry de Longchamp ne portait pas non plus son étoile.
Arrêtée à Paris alors qu’elle vient consulter un spécialiste pour soigner une tuberculose, son mari est l’oncle de la femme de Jean Leguay (1909-1989), délégué en zone occupée de René Bousquet, secrétaire général à la Police nationale. (Ndlr : en 1979, il sera inculpé de crimes contre l’humanité pour son rôle dans l’organisation de la rafle du Vel d’Hiv mais il meurt avant son procès).

Leguay fera appel à Röthke, le chef du « service juif « de la SS, pour plaider la cause de sa parente. 
Dans une note du 11 juin 1943, Röthke rapporte la visite effectuée la veille par Leguay : « Il n’est jusqu’ici jamais intervenu pour des Juifs, il ne veut et ne peur non plus le faire à l’avenir. Barry de Longchamp, l’oncle de la femme de Leguay, est marié en secondes noces à une Juive (...) Son mari réclame l’intervention de Leguay qui refuse d’agir en sa qualité de chef de la police ». 
Röthke transmettra à Helmut Knochen, le chef de la Sûreté, pour donner des instructions « si et quand la Juive, devra, le cas échéant être libérée ». (89)

Des avocats et des avoués du Palais de justice de Paris choisiront aussi de ne pas porter l'étoile sur leurs robes.
Le 15 juillet 1942, Röthke s’adresse au CGQJ : « A plusieurs reprises, notre attention a été attirée sur le fait que des notaires, avocats et avoués juifs, ne portaient pas l’étoile juive ni au Palais de justice, ni devant les autres tribunaux. Je vous demande de faire vérifier l’exactitude de ces informations et de me signaler les cas d’infractions, avec l’adresse des intervenants. » (90)

Le bâtonnier Jacques Charpentier profita des vacances judiciaires de juillet à octobre 1942 pour ne pas répondre à la demande du chef du service juif de la SS.
Richard Weinberg, dans « Vichy, la Justice et les Juifs » (Editions Archives contemporaines, 2006, p.92) considère cette attitude comme « un souci d’indépendance » du barreau qui refusa de prêter serment à Pétain.


Le poète Max Jacob (1876-1944) ne porta pas non plus l'étoile.

Max Jacob (dr)
Né juif, converti à 40 ans, il s'était réfugié à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret) où il vivait depuis 1936.
« Deux gendarmes sont venus enquêter sur mon sujet (Ndlr : le 12 juillet 1942), ou plutôt au sujet de mon étoile jaune. Plusieurs personnes ont eu la charité de me prévenir de cette arrivée soldatesque et j'ai revêtu les insignes nécessaires » écrit-il dans une lettre. (91)
Le 24 février 1944, après qu'il ait assisté à la messe du matin à Saint-Benoît, il est arrêté à 11 h à son domicile par trois membres de la Gestapo d’Orléans. 

Après quatre jours à la prison militaire d'Orléans, dans des conditions sordides, il est envoyé à Drancy le 28 février. 
En dépit de la mobilisation de ses amis pour le faire libérer (notamment Jean Cocteau, Sacha Guitry, Marcel Jouhandeau, André Salmon, Charles Trenet, Conrad Moricand), il meurt épuisé par une pneumonie à l'infirmerie du camp, dans la nuit du 5 au 6 mars 1944. Sous le matricule n° 15 872 il devait faire partie du convoi n° 69 pour Auschwitz, prévu le 7 mars. 
Sur les 1.501 juifs déportés (dont 178 enfants), on ne comptera que 34 survivants en 1945.
Max Jacob sera inhumé dans la fosse commune du cimetière d'Ivry, et sa dépouille sera transférée au cimetière de Saint-Benoît en mars 1949. 

Il sera déclaré « mort pour la France ».

Les limites du droit antisémite

Selma Mazaud, 49 ans, est arrêtée le 24 juillet 1942, pour infraction à la 8e ordonnance. Une demande de libération est lancée par la Direction des Etrangers et des affaires juives de la préfecture de police, le 15 décembre, au seul motif qu'elle n'avait pas été déclarée par son mari en 1941. Or, « la déclaration de la femme mariée incombait au mari, et que la délivrance de l'insigne juif étant subordonné à cette déclaration il n'y avait pas lieu d'interner la femme pour défaut de cet insigne ». Selma Mazaud sera effectivement libérée du camp de Drancy le 15 janvier 1943 contre l'avis de la Sipo-SD. (92)

A SUIVRE Papon, Tuaillon, Chaigneau : la préfectorale et l'étoile

Sauvée par Emile Hennequin, organisateur de la rafle du Vél d'Hiv...

(80) CDJC CXCIV-92_002 Lettre du 16 juillet 1942 à Louis Parquier de Pellepoix, Commissaire général aux questions juives
(81) Robert Debré : : " L’honneur de vivre " (Stock – Hermann, 1974)
(82) Serge Klarsfeld : « La Shoah en France » tome 2 (Fayard, 2001) p. 393-394

Renée Poznanski : " Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale" (Hachette, 1997) p. 293
(83) Archives départementales d’Indre-et-Loire : 120 W 35 Lettre au Maréchal Pétain du 18 août 1942
(84) Interview d’Elisabeth de Fontenay dans L’Obs du 16 juillet 2008
(85) Nadia Kaluski-Jacobson : les lettres de Louise Jacobson et de ses proches 1942-1943, Laffont, 1997
(86) CDJC LXI-103b Lettre du 6 décembre 1942 d’Ernestine Frenkel à la Maréchale Pétain et du service diplomatique des prisonniers de guerre du 20 janvier 1943 au Commissaire Générale aux Questions Juives. Le 29 janvier, le CGQJ répond « qu’il ne peut être donné une suite favorable à la requête de Mme Frenkel » 

(87) Laurent Joly : « Vichy dans la Solution Finale - Histoire du CGQJ - (Grasset, 2006), p. 622-643
(88) AN-AJ 38-6
(89) CDJC XXVII-13, cité par Serge Klarsfeld : « Vichy-Auschwitz 1943 »(Fayard, 1983) p. 285-286
(90) CDJC-XXIII-6, ordre du 15 juillet 1942
(91) Bibliographie des poèmes de Max Jacob - Université de Saint-Etienne, 1992, par Maria Green, et Christine Van Rogger Andreucci, Centre de recherches Max Jacob
(92) CDJC XXVa-161a

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