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samedi 21 janvier 2012

Des préfets aux ordres ou résistants et les "dérogations" de Papon

La 8e ordonnance avait été instaurée par les allemands mais les demandes d'exemption ont été souvent adressées aux préfectures françaises. Certains préfets se sont révélés très ambivalents dans leurs actions.

André Parmentier (photo Assemblée Nationale)
André Parmentier (1896-1991), préfet des Vosges depuis novembre 1941, considéré comme " philosémite " par les allemands, est intervenu pour obtenir des exemptions à des juifs d'Epinal. Il aida aussi le maire radical socialiste Schwab afin qu'il puisse se réfugier à Montélimar.
Blessé à Verdun en 1916, cité quatorze fois, Parmentier était avocat.
Député de la Fédération républicaine du Nord de 1932 à 1942, très opposé au Front Populaire, il sera nommé préfet régional à Rouen en septembre 1942 et fera procéder à l'arrestation de juifs le 16 janvier 1943, à la demande des autorités occupantes. Une rafle menée avec zèle.
Nommé directeur général de la police national par Laval en janvier 1944, il remplaça Darnand au secrétariat général du ministère de l'Intérieur du 20 juin à août 1944. (biographie tirée des "Orphelins de la République - destinées des députés et sénateurs français 1940-1945 ", de Olivier Wieviorka - Seuil 2001).
Condamné à cinq ans d'indignité nationale en 1949, il sera relevé de sa condamnation pour faits de résistance le 28 décembre 1957 et réintégré le même jour. (1)
Le 22 mai 1944, il donna l'ordre aux préfets de l'ancienne zone sud de ne renouveler les cartes d'alimentation des Juifs qu'à la mairie de leur commune de résidence, " en vue de faciliter les investigations concernant les israélites ". (cité par Marrus et Paxton, dans "Vichy et les Juifs", Calmann-Lévy 2015, p. 476)
Jacques-Félix Bussière (1895-1945), préfet du Loir-et-Cher, interviendra pour l'exemption d'étoile d'une commerçante, Alice Houlmann-Lévy, 73 ans, et son employée Renée-Claire Kahn, 61 ans, toutes deux veuves, à Romorantin.
Réponse du ministère de l'Intérieur à la lettre du préfet Bussière du 26 juin 1942
Elles avaient adressé ce courrier le 9 juin 1942 : " Je vous fais pour nous deux serments que notre honorabilité est parfaite (...) Alors, vous plairait-il, Monsieur le Préfet, comme il y a, paraît-il, des exceptions prévues à cette loi de nous mettre à même d'en profiter et nous éviter la si pénible blessure imposée à notre amour propre ?
S'il en était ainsi et que vous puissiez avoir la bonté de nous prendre sous votre haute protection, nous vous en aurions, je vous le promet, une gratitude infinie ". (2)
Bussière qui ignorait apparemment qu'une telle demande relevait des autorités allemandes,  transmettra la lettre au ministère de l'Intérieur. 
La réponse, trois semaines plus tard, le 13 juillet 1942, souligne qu'il ne lui appartient pas " d'accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre ".
Le 26 octobre 1942, il interrogera la Gestapo d'Orléans sur le motif des arrestations des deux femmes. Sa note parle de femmes de " race juive, mais de nationalité française " - souligné dans le texte - arrêtées le 22 septembre.
Réponse de quatre lignes, le 4 novembre, du secrétaire de la police allemande Muller : arrestations " pour action anti-allemande ".
Renée-Claire Kahn sera déportée à Sobibor le 25 mars 1943 dans le convoi n°53, et Alice Houlmann-Lévy, à Auschwitz, le 31 juillet 1943, dans le convoi n°58.
Bussière, qui sera ensuite préfet du Loiret puis préfet régional à Marseille multipliera les contacts avec la France Libre pour préparer le débarquement allié en Provence.
Arrêté par la Gestapo le 14 mai 1944, il sera déporté à Neuengamme et trouvera la mort le 3 mai 1945 sur le " Cap Arcona ", en baie de Lübeck, en mer Baltique. Cet ancien paquebot qui transportait dans ses cales 6500 déportés gardés par 500 SS, sera coulé par la Royal Air Force. On ne comptera que 150 survivants.
Les "dérogations" de Maurice Papon

Et Papon ? A son procès, l'ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde, soutiendra avoir "sauvé des juifs" à l'occasion d'interventions multiples du service des questions juives de la préfecture. (3)
Papon, secrétaire général de la préfecture de Gironde
Le 16 février 1998, à la 68e journée d'audience, il estimera son bilan à " au moins 150 personnes libérées ou excemptées des convois entre 1942 et 1944 ".
S'appuyant sur des notes écrites, il assura que la préfecture accorda " 1182 dérogations au port de l'étoile jaune, ce qui donnait une chance supplémentaire aux juifs d'échapper aux allemands ". (Ndlr :
ces dérogations étaient impossibles puisqu'elles ne relevaient en aucun cas des autorités françaises).
Il affirma également avoir procédé à 130 radiations sur les listes, certaines étant clandestines " et donc risquées ".
Ces 1182 dérogations auraient concerné 951 français et 231 étrangers.
Michel Slitinsky, partie civile à l'origine du procès, prendra la parole pour contester ces chiffres : " C'est faux, il n'y a eu que 11 dérogations accordées sur 1181 demandes".
Le 5 décembre, lorsque le procureur général interroge l'accusé sur l'application de la 8e ordonnance, Maurice Papon (1910-2007) expliquera que " le premier choc que j'ai eu en arrivant à Bordeaux, et en prenant possession du poste de secrétaire général, ça été l'étoile jaune qui venait d'être distribuée quelques jours avant mon arrivée. 
J'en ai constaté les effets et j'en ai condamné les méthodes, et je dois dire que l'opération étoile jaune a, pour moi, effacé un peu les effets de la loi de février 1942, laquelle est tombée en désuétude pour la bonne raison que sont survenus des évènements plus dramatiques, précisément les convois. 
L'étoile jaune c'était en mai. Dès juillet, les allemands exigeaient la livraison d'hommes et de femmes innoçents ".

Le préfet Chaigneau et la protection italienne

Exemptés d'étoile jaune, les ressortissants italiens - issus d'un pays allié de l'Allemagne - ont été protégés par leurs autorités consulaires dans tout le sud-est de la France. 
A Nice, elles durent affronter le préfet Marcel Ribière (1892-1986).
Cet ancien chef de cabinet de Raymond Poincaré, dévoué à Pétain, refusa de faire apposer la lettre J sur les cartes d'alimentation de Juifs dans les Alpes-Maritimes, seul département où cette mesure n'a pas été appliquée. Son rôle sera ambigüe car il protestera contre ce qu'il considérait comme une ingérence italienne.
Le consul italien à Nice, Alberto Calisse, dans une lettre du 12 janvier 1943, souligne que l'étoile jaune " ne saurait concerner les Israélites résidant dans les zones où cantonnent les troupes italiennes, étant donné que toutes les mesures concernant le problème des Israélites, dans la dite zone doivent être effectuées exclusivement par des organismes italiens ". (4)
Aussi, les préfets seront obligés de suspendre le port de l'étoile, fait relevé dans un article du "TImes" du 21 janvier 1943. (5)
Et, lorsque le 18 février 1943, la police française procèdera à de nouvelles rafles de juifs étrangers en zone sud, les italiens protègeront les juifs, comme à Annecy où la gendarmerie sera cernée par les militaires italiens qui demanderont la remise en liberté de juifs étrangers arrêtés. (6)
A partir du 23 juillet 1943, le successeur de Ribière, Jean Chaigneau (1895-1955), viendra conforter l'attitude italienne, allant jusqu'à ordonner la régularisation de tous les juifs étrangers vivant dans les Alpes-Maritimes. (7) 
Il fera aussi disparaître le double des listes de recensement conservées à la préfecture. L'original servira malheureusement, lors de l'occupation allemande, à partir du 10 septembre 1943, pour pratiquer des arrestations massives. Une véritable panique éclate pour les juifs de Nice, arrêtés par milliers, sous les ordres d'Aloïs Brunner.
De son QG de l'hôtel Excelsior, il organise les rafles contre les 1800 juifs fichés. Il ira en personne au consulat italien récupérer les dossiers mais les diplomates lui répondront qu'ils ont été transférés à Rome... 
Jusqu'au 16 décembre, 1850 juifs seront arrêtés et déportés. (8) 
Le préfet Chaigneau ira jusqu'à héberger des familles dans ses appartements de la préfecture. Il sera arrêté le 14 mai 1944 et déporté au camp d'Eisenberg. Il sera libéré et rapatrié le 11 mai 1945.
Ce préfet résistant s'était déjà illustré entre septembre 1941 en Indre-et-Loire où, refusant d'appliquer les ordres de Vichy, il fit libérer des prisonniers du camp de La Lande. Il agira après avoir été prévenu par Simone Kahn, qu'il avait connu avant-guerre et qui se trouvait à La Lande avec son fils Robert, et une vingtaine d'autres personnes. 
Après avoir vérifié les identités, Chaigneau leur fera prendre le premier train pour Paris. L'amiral Darlan voudra l'exclure de la préfectorale mais compte tenu de ses états de service durant la guerre de 1914-1918, il sera muté en Seine-et-Marne. 

Louis Tuaillon, sous-préfet d'Oloron, défend ses administrés

Dans le Pays Basque, où la proximité de la frontière a permis à de nombreux Juifs de passer en Espagne, la zone libre n'existe plus depuis le 11 novembre 1942, suite au débarquement allié en Afrique du Nord. Désormais on parle de "zone sud".
Louis Tuaillon
Aussi, le 29 mai 1943, Louis Tuaillon, sous-préfet d'Oloron Sainte-Marie écrira un courrier pour le moins courageux au chef de la Sûreté allemande de Tardets.
Les Juifs évacués de la côte Basque, et réfugiés dans plusieurs communes de l'arrondissement, ont été "mis dans l'obligation de porter l'étoile jaune à compter du 26 mai" et de se présenter "chaque semaine à la mairie".
Mais le sous-préfet, en l'absence d'instructions, estime qu'il n'y a pas lieu de considérer ces "invitations comme devant être suivies d'effet".
Il rappelle qu'aucun texte français n'a imposé l'étoile dans la zone sud. Et il conclue : "si vous pensiez devoir maintenir vos injonctions, je vous serais très obligé de bien vouloir m'en aviser ; je me verrai alors dans l'obligation d'en référer à l'autorité supérieure ". (9)
Document des Archives départementales des Pyrénées Atlantiques

Un peu plus tôt, le 24 mai, M. Dacosta, réfugié à Espès-Undurein, adressa un courrier à la préfecture pour demander de ne pas porter l'étoile.
Evacué de Bayonne, il témoigne d'une absolue confiance dans l'Etat Français et interroge : "A t-on le droit de nous imposer le port de cet insigne ici en zone non occupée ? Est-ce un ordre d'un officier ? ". Précisant qu'il est de nationalité française, une mention manuscrite rajoutée précise "pur sang". (10)
Document des Archives départementales des Pyrénées Atlantiques

(1) Limor Agil : " Chrétiens et Juifs sous Vichy, 1940-1944 : sauvetage et désobéissance civile " (Cerf, 2005) p. 596.
(2) Archives départementales du Loir-et-Cher.
(3) Le procès de Maurice Papon (Albin Michel, 1998)
(4) Archives départementales des Alpes-Maritimes, 616 W 242
(5) CDJC-XXVa-339
(6) CDJC-XXVa-274a Note du 22 février 1943 de Lischka sur l'attitude italienne.
(7) CDJC-XXVa-247 Lettre du 23 juillet 1943 du service des cartes d'identité d'étrangers de la préfecture des Alpes-Maritimes au commissaire divisionnaire de Nice.
(8) Serge Klarsfeld : " Nice, hôtel Excelsior ", Association Les Fils et Fillesdes déportés juifs de France, 1998, p.51.
(9) Archives départementales des Pyrenées-Atlantiques : lettre du sous-préfet d'Oloron SDA64 - Pau
Louis Tuaillon, est né le 11 mai 1904 à Valay (Haute-Saône). Il débute sa carrière dans le corps préfectoral à 24 ans comme chef de cabinet du préfet de la Haute-Saône. Il occupa plusieurs postes de sous-préfet d’arrondissement et sera secrétaire général de la préfecture de l’Yonne à la déclaration de guerre. Autorisé sur sa demande à rejoindre son unité du génie sur le front, il est rappelé après l’armistice dans le corps préfectoral pour occuper par intérim les fonctions de sous-préfet d’Oloron-Sainte-Marie, chargé notamment d’organiser l’accueil et l’hébergement des populations réfugiées. Poursuivant sa carrière, il deviendra au cours de l’année 1943, préfet délégué à Limoges puis à Marseille. 
Le 6 février 1944, il prend officiellement ses fonctions de préfet de Lot-et-Garonne qui sera son dernier poste tenu sous l’Occupation.
Dès sa nomination, il entame une lutte ouverte avec les autorités d'occupation, condamnant les crimes de la Milice et interdisant à la police et à la gendarmerie de communiquer des renseignements aux occupants.
Après la mutinerie des détenus du centre de détention d’Eysses en février 1944, le préfet est tenu à l’écart de la répression des meneurs. Pour marquer sa désapprobation, il n’accorde aucune audience aux membres de la cour martiale, ignorant leurs sollicitations.
En avril, recevant du préfet régional l’ordre de remettre aux autorités allemandes les 1 123 condamnés détenus dans cet établissement, il subordonne l’application de ces directives à la réception d’un ordre ministériel portant la signature d’un membre du gouvernement. Cette grève du zèle administrative lui permet de repousser de six semaines la déportation des détenus politiques d’Eysses. Mais le 30 mai 1944, des troupes allemandes viennent se saisir directement des détenus résistants.

Il sera arrêté dans la nuit du 8 au 9 juin 1944 par les agents de la Gestapo d’Agen en compagnie de Pierre Brunon, son chef de cabinet et de Jean Brachard, sous-préfet de Nérac. Ils seront déportés à Neuengamme (Allemagne) puis à Terezin (République Tchèque) où ils seront libérés en mai 1945. A son retour de déportation, Tuaillon est réintégré en mai 1945 dans le corps préfectoral. Nommé préfet de Moselle en septembre 1945, il décède en fonction le 31 mars 1947 d'une crise cardiaque suite à une intervention chirurgicale consécutive à une affection contractée en captivité.
(10) Archives départementales des Pyrenées-Atlantiques :  lettre de M. Dacosta 1031 W228

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