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samedi 21 janvier 2012

" Je m'adresse à vos sentiments humains "




Nelly Frankfurt avait 17 ans. Sa famille, d'origine polonaise, expulsée de Gironde, arriva au camp de La Lande. 
Depuis novembre 1941, elle avait l'autorisation de la Kommandantur de fréquenter l'école Pigier à Tours, pour devenir secrétaire sténographe. 
Une autorisation confirmée par la préfecture le 24 décembre avec la mention " comme les autres étudiantes "...
Le 31 mai 1942, Nelly adresse cette lettre exceptionnelle de courage au général-chef de la Kommandantur de Paris, en vue d'obtenir une exemption d'étoile :
" Je voudrais vous adresser une prière. Comme vous le savez, il est interdit de paraître en public, à partir du 7 juin, sans porter l'étoile jaune. Cela me chagrine beaucoup car je suis juive.
Je suis femme et j'ai de la peine à concevoir que je ne pourrai plus me trouver en société sans provoquer chez certains un sentiment d'animosité.
J'aime tous les êtres humains sans distinction, et me voir repoussée par ceux que j'aime, surtout par mes camarades de classe, me cause un vif chagrin.
Je m'appelle Frankfurt, Nelly, je suis née le 19 septembre 1925 à Varsovie, et habite au camp de La Lande (15 km de Tours). J'ai la permission de me rendre tous les jours à Tours pour y suivre des cours.
Je m'adresse donc à votre bonté, à vos sentiments humains qui, j'en suis sûre, sont aussi forts qu'en moi, et vous prie de bien vouloir me répondre avant le 7 juin, date à laquelle le décret entre en vigueur.
En attendant une réponse favorable, je vous prie, Monsieur le Feldkommandant, d'agréer mes respectueuses salutations ". (1)
Nelly n'obtiendra aucune réponse. Elle sera arrêtée puis déportée par le convoi n°8 du 20 juillet 1942, avec sa mère Alla, 54 ans. (2)
Une mère attentionnée, qui, le 6 janvier 1941, n'avait pas hésiré à écrire au préfet pour lui demander l'autorisation de se rendre à Tours pour acheter des chaussures d'hiver. 
Elle y soulignait sa " bonne conduite " et celle de son mari " qui a été à Pithiviers " (Ndlr : au camp de Pithiviers).
Stanislas Frankfurt, né à Lodz le 26 août 1883, était directeur commercial chez Massey-Harris à Bordeaux. Il sera déporté un peu plus tard depuis Bordeaux, par le convoi n°31, parti de Drancy pour Auschwitz le 11 septembre 1942.
(1) CDJC-XLIXa-51b Lettre du 31 mai 1942
(2) Ce convoi, formé à Angers, sera le seul à partir à cette période alors que ceux, formés à Bordeaux, Rouen, Nancy et Dijon seront annulés suite à l'accord du 2 juillet 1942 entre Knochen, responsable de la Sipo-SD, et René Bousquet, secrétaire général de la police, concernant le report temporaire de la déportation des juifs français, remplacés par les juifs étrangers (lire Serge Klarsfeld, " Vichy - Auschwitz 1942 " Fayard 1983, chapitre IV, p. 89 à 133). 
Le convoi comptait 824 juifs, au lieu des 1000 habituels, dont 201 français, 68 apatrides, 42 indéterminés, 39 allemands, 34 roumains, 24 russes, 14 turcs, 13 autrichiens, 8 grecs, 8 hongrois, 4 hollandais, 3 suisses, 2 américains et un égyptien. 288 venaient de La Lande, 132 hommes et 156 femmes. A l'arrivée à Auschwitz, on ne comptait que 801 personnes. Il n'y aura que 14 survivants en 1945, et parmi eux, le Dr André-Abraham Lettich, né le 27 juin 1908, raflé à Tours avec son épouse Edith et leur fils Jean, 5 ans, morts en déportation. Il témoignera à son retour (lire André Lettich - Lazar Moscovici " 1942, convoi n°8 " - Editions du Retour, 2009)

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