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mercredi 16 septembre 2020

Leguay - Bousquet : un parcours complice

Jean Leguay a vécu sa carrière de haut fonctionnaire dans l’ombre de celle de René Bousquet. Les deux hommes qui sont nés la même année, en 1909, auront un parcours complice. Co-responsables de la mort de milliers de juifs, ils mèneront après-guerre de brillantes carrières dans le privé…

Leguay, né le 29 novembre 1909 à Chevreuse, était le fils du président de la chambre des notaires de Rambouillet. Ancien élève des lycées Montaigne et Louis-le-Grand, diplômé de Sciences Po, docteur en droit et avocat, il débuta sa carrière dans la préfectorale en 1932. 
Le 3 octobre 1935, alors qu’il est secrétaire général des Basses-Alpes, il épouse Christine Janin, fille de Marie-Thérèse Nénot (soeur d’Antoinette Nénot, première épouse de Gontran Barry de Longchamps).
En 1936, il devient sous-préfet de Haute-Savoie. En juin 1939, il est nommé sous-préfet de Vitry-le-François (Marne), poste occupé depuis avril 1938 par René Bousquet, nommé secrétaire général à la préfecture de Châlons-sur-Marne, avec le soutien d’Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, frère de Maurice Sarraut, sénateur radical-socialiste de l’Aude et propriétaire de La Dépêche de Toulouse.
Du 16 novembre 1940, au 1er janvier 1942, Leguay lui succède au secrétariat général, Bousquet étant devenu préfet de la Marne, le plus jeune de France à 31 ans. 
Bousquet, né le 11 mai 1909 à Montauban, est aussi fils de notaire.
Diplômé de la faculté de droit de Toulouse, il débuta comme chef de cabinet du préfet de Tarn-et-Garonne. A 22 ans, en 1931, il devient chef de cabinet adjoint du sous-secrétariat d’Etat à l’Intérieur dans le premier gouvernement Laval. Sous le Front Populaire de 1936, il est chargé du fichier central de la Sûreté nationale.

Fin 1941, Leguay devient directeur de cabinet du préfet délégué en territoires occupés. 
En avril 1942,  lorsque Pierre Laval nomme Bousquet au secrétariat général à la Police, Leguay devient son délégué à Paris dans les territoires occupés et il est promu préfet hors cadre. Des rôles de premier plan pour la collaboration policière de Vichy avec l’occupant allemand.
Début juillet, Leguay participe avec Dannecker, chargé de la Question Juive à la Gestapo de Paris, à la commission préparatoire à la rafle du Vél d’Hiv. 

La déportation des enfants

Alors que Laval proposait dans un premier temps que les enfants de moins de 16 ans accompagnent leurs parents « lors de l’évacuation des familles juives de la zone non-occupée », le chef du gouvernement accepte finalement que les juifs de zone occupée et de zone libre, enfants compris, soient livrés…
Le 15 juillet 1942, Bousquet, sous l’autorité de Darquier de Pellepoix, Commissaire Général aux Questions Juives, donne officiellement l’ordre d’arrêter les juifs apatrides de région parisienne. 
Les 16 et 17 juillet, lors de la rafle du Vél'd’Hiv, près de 3000 policiers français arrêtent 13.152 juifs à Paris et banlieue.
Le 17 juillet, lors d’une réunion consacrée aux enfants arrêtés, Jean Leguay plaide « avec insistance » le principe de leur déportation, et leur transfert dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Plus de 800 enfants de moins de 6 ans seront finalement déportés dix à quinze jours après leurs parents…
Le 18 août Bousquet abaisse de 5 à 2 ans l’âge d’arrestation des enfants juifs en zone sud. 
Fin 1943, Pétain révoquera Bousquet et Leguay. En 20 mois à la tête de la police, ils auront participé à la déportation de 60.000 personnes de confession juive.
Préfet de l’Orne depuis janvier 1944, Leguay sera suspendu à la Libération et révoqué en 1945.
Il poursuivra une carrière dans le privé aux Etats-Unis. D’abord pour le groupement professionnel des industries d’art et de création, puis de 1950 à 1957 comme vice-président de la distribution des parfums Nina Ricci. Sa révocation sera annulée en 1955, et il sera réintégré dans le corps préfectoral en 1957.
De 1958 à 1970 il sera directeur général du groupe Warner-Lambert Co, un conglomérat industriel pharmaceutique dont il deviendra président international jusqu’en 1974. En 1975, il prend sa retraite après avoir présidé les laboratoires Substantia à Suresnes. 
Inculpé de crimes contre l’humanité en 1979 pour son rôle dans l’organisation de la rafle du Vél'd’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, il meurt avant l’ouverture d’un procès le 2 juillet 1989. 

Quant à René Bousquet, il comparaîtra en 1949 devant la Haute-Cour mais sera acquitté, à l’issue d’un procès expédié en trois jours. 
Ecarté de la fonction publique il réussira à faire une brillante carrière d’homme d’affaires sans avoir à s’exiler à l’étranger. On le retrouve à la Banque d’Indochine, et au conseil d’administration du quotidien La Dépêche du Midi, qu’il dirige aux côtés de la veuve de Jean Baylet, décédé en 1959. 
Une décision du Conseil d’Etat lui permet en 1957, de retrouver sa Légion d’Honneur. Il est amnistié en 1958. Ami de François Mitterrand depuis le début des années 50, il sera même candidat de l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance) aux élections législatives dans la Marne. 
Jusqu’en 1978, il siège au conseil d’administration d’UTA, compagnie aérienne dirigée par Antoine Veil, qui obtiendra sa démission.

En 1986, une instruction judiciaire est lancée contre Bousquet mais François Mitterrand, devenu Président de la République, interviendra pour ralentir la procédure. 
La Cour de cassation tranche en faveur d’un procès en cour d’assises, suite à l’acquittement de 1949, les partisans d’un nouveau procès invoquant une nouvelle infraction pénale, le crime contre l’humanité.
En 1989, une plainte en ce sens est déposée par trois associations suite à la déportation de 194 enfants.
Bousquet sera inculpé en 1991 mais l’instruction sera close et il n’y aura jamais de procès car le 8 juin 1993, Bousquet est assassiné à son domicile par Christian Didier qui, condamné à dix ans de prison, sera libéré en 2000.
                                                                                                                                          T. N-G


lundi 14 septembre 2020

POUR COMPRENDRE LE ZELE DE LA POLICE

Dès le décret-loi du 22 juillet 1940 révisant les naturalisations établies depuis 1927, où 8000 juifs perdront leur nationalité française, les autorités de Vichy devanceront les ordonnances allemandes en matière de répression antisémite.

Suivra l'ordonnance allemande du 27 septembre 1940 énonçant les critères d'appartenance à la religion juive, entrainant le recensement des personnes et des entreprises juives. Dans la foulée, l'Etat français adoptera le 3 octobre 1940 son premier "Statut des Juifs" applicable aussi bien en zone "libre" qu'en zone occupée...

Ainsi, jusqu'en août 1944, c'est au nom des ordonnances allemandes qu'elles étaient obligées de faire appliquer depuis l'armistice, que police et administration françaises se révèleront de parfaits exécuteurs d'ordres pour mener la répression raciale : fichiers, arrestations, interrogatoires, internements, rafles, seront facilités par la politique de collaboration franco-allemande mise en place à partir de la rencontre du 24 octobre 1940 entre Hitler et Pétain, à Montoire.

Création du Commissariat Général aux Questions Juives (loi du 29 mars 1941), réorganisation de la police nationale (loi du 23 avril 1941), second Statut des Juifs (loi du 2 juin 1941), "aryanisation" des biens juifs (loi du 22 juillet 1941), création de la Police aux questions juives (PQJ) (arrêté du 19 octobre 1941), création de l'UGIF (Union Générale des Israélites de France) (loi du 29 novembre 1941)... Tout cet arsenal rendra la collaboration active.

Lors de la première rafle du 14 mai 1941, dite "rafle du billet vert" liée à la couleur de la convocation, plus de 3700 Juifs étrangers seront arrêtés par la police française. Serge Klarsfeld, dans "Vichy-Auschwitz - Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la Question Juive en France - 1942" cite le rapport établi sans ambiguïté par la Préfecture de Police : « En accord avec la Délégation générale du Gouvernement français dans les Territoires occupés et sur la demande des Autorités d'occupation, la Préfecture de Police a procédé ce matin, sur convocations, à la concentration de ressortissants polonais juifs, âgés de 18 à 40 ans, et de ressortissants tchécoslovaques et ex-autrichiens, âgés de 18 à 60 ans ». (1)

Un irréversible processus s'enclenche avec les rafles suivantes : le 20 août 1941, visant les Juifs français, puis le 12 décembre 1941, la rafle des notables en représailles d'attentats anti-allemands.

L'irréparable arrivera avec le premier convoi des déportations vers l'Est... le 24 mars 1942, parti à midi de la gare du Bourget-Drancy, avec une halte à Compiègne. Direction Auschwitz pour 1.146 Juifs.

Tout s'accélère avec la nomination le 18 avril 1942 de René Bousquet, Secrétaire général à la Police. La "coopération policière franco-allemande" sera fixée par d'intenses négociations entre Bousquet et le général SS Carl Oberg, Höhere SS und Polizeiführer, chef supérieur de la SS et de la police en zone occupée.

L'accord du 2 juillet 1942 scellera le sort de 40.000 Juifs de France déportables : Bousquet s'est engagé à livrer 10.000 Juifs de zone libre et d'arrêter 20.000 Juifs en région parisienne, tous étrangers. Environ 6.500 Juifs français - que Pétain et Laval veulent jusqu'alors distinguer des étrangers - le seront d'ici la fin 1942.

Le 4 juillet 1942, Laval propose la déportation à partir de 2 ans des enfants de Juifs apatrides à arrêter en zone non occupée. Le 17 juillet 1942 la police française envisage la déportation de 4.051 enfants à partir de 2 ans, des Juifs apatrides, arrêtés à Paris, la veille, lors de la rafle du Vél'd'Hiv. Proposition acceptée par Eichmann et appliquée massivement à partir du 17 août. La rafle se déroulera avec la participation des policiers et gendarmes français sur ordre de Vichy.

Le 19 juillet 1942, un premier convoi des raflés prend la direction d'Auschwitz avec 1.000 personnes, dont 172 Juifs français livrés par Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture régionale de Bordeaux. Dès son arrivée à Birkenau ce convoi n°7 verra 375 hommes immédiatement gazés...

Suivront l'accord de collaboration entre les polices françaises et allemandes début août 1942, et les rafles en zone libre le 26 août. En moins d'un mois, entre le 7 août et le 5 septembre, 9.872 Juifs seront transférés à Drancy par la police de Vichy, dont 6.584 arrêtés en zone libre...

Un nombre plus bas que prévu alors que les protestations s'enchainent au sein des autorités religieuses et du Consistoire central et entraineront un ralentissement du "programme" prévu de 13 trains pour septembre. Une grande rafle de plus de 5.000 Juifs français, prévue le 22 septembre à Paris, sera annulée, la police parisienne se limitant à l'arrestation de 1.574 Juifs roumains le 24 septembre. Le lendemain, ils seront 729 avec 63 de leurs enfants, français, a être inclus dans le convoi n° 37 parti de Drancy... Le 28, ils seront 609 et 67 enfants à constituer le gros du convoi n° 38. Les contingents de mille Juifs ne sont plus respectés... Eichmann est informé qu'il ne sera pas possible de déporter des contingents élevés, et le "programme" d'octobre est annulé.

Le 6 octobre, Röthke, responsable du service des Affaires Juives de la Gestapo, transmet à tous les commandos de la Sipo-SD l'ordre qui vise à l'arrestation de Juifs étrangers. Cet ordre commence par la formule : « Dans le cadre de la solution finale de la question juive et en ayant recours à la police française, les Juifs des nationalités qui suivent doivent être arrêtés... » Fin octobre, le résultat total sera de 1.965 Juifs, auxquels s'ajouteront 600 Juifs de Drancy.

Avec l'occupation de la zone libre par les Allemands à compter du 11 novembre, Bousquet indique aux préfets que « toutes opérations de police ne peuvent et ne doivent être effectuées que par la police française ».

Un mois plus tard, la loi du 11 décembre 1942, impose la mention "Juif" sur les papiers d'identité et les cartes d'alimentation dans la nouvelle zone sud, pour les Juifs français et étrangers. Une obligation qui s'ajoute à l'étoile jaune, imposée au 1er juin 1942 par les Allemands, en zone occupée, où le cachet "Juif" existait déjà...

Dans un tableau récapitulatif des 43 convois de l'année 1942, dressé par Serge Klarsfeld, sur 41.951 déportés à Auschwitz (dont 6.000 enfants de moins de 17 ans), 24.361 seront gazés à leur arrivée. Soit, sur 11 semaines de mars à novembre, une moyenne de 3.000 Juifs par semaine. On dénombrera 805 survivants en 1945. (2)

Au total, du 27 mars 1942 au 17 août 1944, les 79 trains partis vers Auschwitz entraîneront l'extermination de près de 76.000 Juifs...

« Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français » déclarait le Président de la République, Jacques Chirac, dans son célèbre discours prononcé lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vél'd'Hiv le 16 juillet 1995, reconnaissant la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs. « Le 16 juillet 1942, 4.500 policiers et gendarmes, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis ».

A la Libération, outre des exécutions expéditives sans procès de policiers et de miliciens, l'épuration de la police permettra de juger les fonctionnaires les plus zélés. 

En 1954, le "bilan définitif" après les recours liés à la loi d'amnistie de 1953, seulement 2.019 policiers seront sanctionnés dont 1.162 révoqués. « Depuis la fièvre épuratoire de la Libération : au total 41 % des sanctions (1.440) ont été annulées et 36 % des révocations (663) » relève Jean-Marc Berlière dans "Les policiers français sous l'Occupation". A la Préfecture de Police, véritable Etat dans l'Etat, 1.906 sanctions, 800 révocations, 164 retraites d'office, soit un policier sur dix sanctionné en 1945. Dans la hiérarchie, 52 révocations sans pension. 196 policiers parisiens seront condamnés par la justice, dont plus de 20 à la peine de mort. (3) 

68 Justes parmi les Nations

Serviteurs de l'Etat et de l'ordre, police et gendarmerie françaises ne constituaient pas un corps homogène. Face aux dérives collaborationnistes, quelques uns ont renoncé à l'obéissance imposée par leurs fonctions, contribuant avec d'autres français à sauver les trois quarts de la communauté juive de France. Ainsi, 68 policiers et gendarmes qui n'ont pas hésité à mettre leur vie en danger pour sauver des Juifs, ont reçu le titre de "Justes parmi les Nations", décerné par l'Etat d'IsraëlA Nancy, sept policiers du service des étrangers préviendront des familles et sauveront quelque 300 personnes de la rafle du 19 juillet 1942. Ces policiers, qui seront reconnus Justes, « que l'on peut qualifier d'humanistes n'ont jamais appartenu à l'une des trois organisations de la Résistance dans la police » relève Maurice Rajsfus dans "La police de Vichy". (4) 

Peu de policiers ont prévenu leurs futures victimes des rafles et seule une minorité s'engagea tôt dans la Résistance, quand d'autres attendront la dernière heure. Plus de 150 policiers tomberont dans les ultimes combats de la Libération de Paris et « dans la matinée du samedi 19 août 1944, les Parisiens incrédules découvrent le drapeau tricolore flottant sur la préfecture de police. Beaucoup s'étonnent : la police n'a-t-elle pas été pendant quatre ans l'auxiliaire fidèle d'un occupant qu'elle a protégé et dont elle a pris en charge une partie des tâches ? » interroge J.M. Berlière dans un chapitre intitulé Résistance ou opportunisme ?... (5) 

Au bilan, indulgence, pardon et oubli dominent à part quelques "exemples" :

René Bousquet (1909-1993) et Jean Leguay (1909-1989) constituent le meilleur exemple au plus haut niveau de la hiérarchie. Le premier, acquitté par la Haute Cour en 1949, mènera une carrière dans le privé après guerre. Poursuivi pour crime contre l'humanité en 1989, inculpé en 1991, l'action de la justice s'éteindra le 8 juin 1993, lorsqu'il sera assassiné à son domicile.

Leguay, délégué de Bousquet en zone occupée, verra sa révocation de 1945 annulée en 1955. Menant aussi une carrière dans le privé, il est à la retraite lorsqu'en 1979 il est inculpé de crime contre l'humanité pour son rôle dans l'organisation de la rafle du Vél'd'Hiv. Il meurt avant l'ouverture d'un procès.

Amédée Bussières (1886-1953), préfet de police de mai 1942 à août 1944, sera condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1946 mais bénéficiera d'une remise de peine. 

André Tulard, né en 1899, directeur du fichier juif, meurt en 1967 sans être inquiété. 

Jean François, né en 1884, directeur des Affaires juives à la Préfecture de police, obtiendra deux classements par la justice en 1946. En 1954, il est même nommé directeur honoraire, et n'a jamais été sanctionné. 

Emile Hennequin (1887-1977), directeur de la police municipale, jugé en 1947, écopera de 8 ans de travaux forcés. Gracié en 1948, il sera mis à la retraite d'office.

Charles Permilleux, né en 1896, sous directeur du service spécial des affaires juives à la Direction de la PJ de la Préfecture de police, obtiendra un classement par la justice en 1946. La commission d'épuration avait proposé sa révocation sans pension... En 1949, le Conseil d'Etat déclare un "vice de forme" et Permilleux est rétabli dans ses droits au 1er septembre 1944.

Parmi ses inspecteurs, Henri Jalby, impliqué dans plus de 200 arrestations, est révoqué sans pension, son dossier est classé en justice en 1948 et sa pension est rétablie. Antoine Santoni, enfui en Allemagne à la Libération, sera arrêté en Suisse. Evadé lors de son transfert, il est repris en 1951. Jugé en 1953, il sera acquitté et rétabli dans ses droits en 1957. Laville, arrêté avec Santoni, qui déclarait « s'ennuyer » à la 5e section des RG, sera révoqué sans pension. Jugé en 1946, il est condamné à mort. Son jugement cassé, il est rejugé quatre mois plus tard, et condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Au sein des Brigades Spéciales de la Préfecture de police, qui dépendaient de la direction centrale des Renseignements Généraux, 154 policiers sur 220 seront poursuivis. 64 inspecteurs condamnés dont 22 à la peine de mort (10 exécutés. Les peines capitales non exécutées sont 4 contumaces et 8 grâces). Parmi les plus zélés des tortionnaires, le commissaire Fernand David, né en 1908, fusillé le 5 mai 1945, avec Lucien Rottée, né en 1893, directeur des RG.

L'inspecteur principal Gaston Barrachin, né en 1900, à l'origine de l'arrestation du groupe Manouchian, fusillé le 19 janvier 1946.

Louis Sadosky, inspecteur principal à la 3e section des RG, né en 1899, passe devant la commission d'épuration pour "zèle exagéré dans l'application des ordonnances allemandes". Révoqué sans pension en 1946, la cour de justice lui reprochera plusieurs milliers d'arrestations d'israélites. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, radié de la médaille militaire, sa peine est réduite à 10 ans en 1949, puis amnistiée en 1951. Il quittera la prison en 1953, rétabli dans ses droits à la retraite.

Just Bignand, de la BS du 4e arrondissement, né en 1910, bénéficia d'un classement mais du fait d'une nouvelle plainte, il sera condamné à trois ans de prison en 1950. Amnistié en 1953, il ne sera pas réintégré. Son chef, Francis Guillaume, surnommé "Darquier de Pellepoix", né en 1900, crédité de 84 arrestations de juifs, se suicida avant sa comparution devant la commission d'épuration.

Jean Dides (1915-2004), spécialiste des affaires juives et des résistants étrangers, révoqué, ne sera jamais jugé. A la tête d'une association corporatiste de défense des gradés épurés de la police municipale, forte de 2.200 membres, il sera réintégré. Devenu dirigeant du syndicat des commissaires de police, il participa à l'épuration des communistes dans les CRS. Il est à nouveau révoqué en 1954 lors de "l'affaire des fuites" où François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur avait été mis en cause. Elu député poujadiste en 1956, conseiller municipal de Paris en 1959, il cofonde en 1960 le Front National pour l'Algérie française.

Pierre-Napoléon Poinsot, né en 1907, commissaire de la SAP (section des activités politiques) à Bordeaux de 1938 à 1944 est à la tête d'une brigade sanguinaire. Sous-directeur des RG à Vichy début 1944, il s'enfuit en Suisse. Condamné à mort, il est exécuté à Riom en juillet 1945.

Jacques Schweblin, né en 1901, directeur de la PQJ (Police des Questions Juives, créée en 1941 par le ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu), antisémite fanatique, déporté en 1943 à Buchenwald par les Allemands, ne rentrera pas.  Lors de ses visites à Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, il détroussait les internés avec ses hommes.

(1) Serge Klarsfeld, "Vichy-Auschwitz - Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la Question Juive en France - 1942(Fayard, 1983), p. 15

(2) op. cit. p. 191 

(3) Jean-Marc Bélière, "Les policiers français sous l'Occupation", (Perrin, 2001), p. 329-330-333

(4) Maurice Rajsfus, "La police de Vichy - Les forces de l'ordre françaises au service de la Gestapo 1940/1944", (Le Cherche Midi, 1995), p. 221

(5) J.M. Berlière, op. cit. p. 37 

vendredi 4 septembre 2020

Des exemptions d'étoile jaune pour faciliter le pillage des oeuvres d’art

Trois exemptions d’étoile jaune seront accordées en août 1942 aux marchands d'art Juifs Allan et Emmanuel Loebl, et Hugo Engel, galeriste Juif autrichien, et son fils Herbert. Ils avaient été chargés d'alimenter le projet de musée voulu par Hitler à Linz, en Autriche, et les collections pillées par Hermann Göring. (1)

Allan Loebl était au service de Bruno Lohse (1911-2007), historien d'art engagé dans la SS, pour lui fournir les plus belles oeuvres. 

Echange de « bons procédés », Lohse fera libérer l'épouse de Paul de Cayeux de Sénarpont (1884-1964), président du syndicat des marchands d'art, et propriétaire de la galerie Cailleux.  Née Judith-Marguerite Serf (1882-1973), issue d'une famille juive alsacienne de Buschwiller (Haut-Rhin), elle avait été internée à Drancy. Elle s'était mariée en 1910 avec le galeriste, personnage influent, conseiller du commerce extérieur, expert devant le tribunal civil de la Seine et l'administration des Douanes.

Dans le syndicat des marchands d'art, on retrouve l'industriel Achille Boitel, liquidé en 1944 par la Résistance. Une bombe avait été placée dans sa voiture…

Spéculateur, il agissait comme banquier non officiel du syndicat et a vendu plusieurs tableaux à Göring, notamment " La femme à l'oeillet " du peintre de la Renaissance allemand Lucas Cranach, et "Le bain de Diane" de Nicolas Bertin, peintre français du 18e siècle.

L'antiquaire Yves Perdoux en était également membre. Il révéla les cachettes du marchand d'art Paul Rosenberg, obtenant en contre-partie trois Pissaro et un Renoir... (2)

Afin d'échapper à l'aryanisation de la galerie d'art, les enfants et petits-enfants des époux Cailleux de Sénarpont, d'origine juive mais de confession protestante, iront se réfugier au début de décembre 1943 dans le sud Deux-Sèvres, à Thorigné, un petit village proche de Niort : Jean de Cailleux, marié en 1935 à Daria Kamenka (1908-1998) femme de lettres d'origine russe, et leurs jeunes enfants Marianne, Catherine et Olivier. Par l'entremise du pasteur Roullet, ils seront cachés chez M. et Mme Simon. Début 1944, ce pasteur sera arrêté par les Allemands pour son action résistante. (3)


(1) CDJC XXVa-186 Documents du 10 août 1942 au 13 juillet 1943 concernant l’exemption d’Allan et Emanuel Loeb, et Hugo Engel

(2) André Gob : " Des musées au dessus de tout soupçon " Armand-Colin, 2007, chap. 4 : Butin, saisies, spoliations 1933-1946, p. 142-144

L’Oeil n° 630 - décembre 2010 Dans les ténèbres du Dr Lohse, par Philippe Sprang

(3) Jean-Marie Pouplain : " Les enfants cachés de la Résistance " Geste éditions, 1998, p. 106-109.

mardi 1 septembre 2020

Bibliographie

Laure Adler, Françoise, Grasset, 2011.

Eric Alary, La ligne de démarcation, Perrin, 2010

Henri Amouroux, La vie des Français sous l’Occupation, Fayard, 1979

Henri Amouroux, Les passions et les haines, Laffont, 1981

Pierre Assouline, Le dernier des Camondo, Gallimard, 1997

Robert Badinter, Idiss, Fayard, 2018

Jean-Marc Berlière, Policiers sous l'Occupation, Perrin 2009

Jean-Marc Berlière, Polices des temps noirs, Perrin 2018

Hélène Berr, Journal (1942-1944), préface de Patrick Modiano, Tallandier, 2008

Jacques Chevalier, Entretiens avec Bergson, Plon, 1959

Jérôme Clément, Plus tard, tu comprendras, Grasset, 2005

Asher Cohen, Persécutions et sauvetages : Juifs et Français sous l'Occupation et sous Vichy, Editions du Cerf, 1993

Michèle et Jean-Paul Cointet, Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation, Tallandier, 2000


Robert Debré, L'honneur de vivre, Stock - Hermann, 1974

Jean-Louis Debré, Une histoire de famille, Robert Laffont, 2019


Charles Enderlin, Les Juifs de France entre République et Sionisme, Seuil, 2020


Jacques Fredj, Les archives de la Shoah, Centre de documentation juive contemporaine – L’Harmattan, 1998


Cyril Grange, Une élite parisienne : les familles de la grande bourgeoisie juive, 1870-1939, Editions du CNRS, 2016


Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech,  J’ai pas pleuré, Laffont, 2002


Maurice Goudeket, Près de Colette, Flammarion, 1956


Cécile Gruat et Cédric Leblanc, Amis des Juifs, les résistants aux étoiles, Tiresias - Les oubliés de l’histoire, 2005


Laurent Joly, Vichy dans la « Solution Finale » - Histoire du Commissariat Général aux Questions Juives, Grasset 2006

Laurent Joly, Dénoncer les juifs sous l'Occupation, Paris 1940-1944, CNRS éditions, 2017


Nadia Kaluski-Jacobson, Les lettres de Louise Jacobson et de ses proches 1942-43, Laffont, 1997


Beate et Serge Klarsfeld, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Fils et filles de déportés juifs de France, 2012

Serge Klarsfeld, L’Etoile des Juifs, L’Archipel 1992

Serge Klarsfeld, La Shoah en France, tome 2, Fayard, 2001

Serge Klarsfeld, Le Statut des Juifs de France, CDJC-FFDJF, 1990


Ginette Kolinka et Marion Ruggiéri, Retour à Birkenau, Paris, Grasset, 2019


Michel Laffitte, Juif dans la France allemande, Tallandier, 2006


Hermann Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, Fayard, 1975


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Carol Mann, Nous partons pour une destination inconnue : Femmes juives pendant la Shoah en France, Albin Michel, 2020


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Jacqueline Mesnil-Amar, Ceux qui ne dormaient pas. Journal, 1944-1946, Stock, 2009


Léon Poliakov, L’Etoile jaune - La Situation des Juifs en France sous l'Occupation - Les Législations nazie et vichyssoise, Editions Grancher, 1999


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Maurice Rajsfus, La police de Vichy, Le Cherche Midi, 1985

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Jacques Semelin, La survie des Juifs en France 1940-1944, Editions du CNRS, 2018

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Richard Weisberg, Vichy, la Justice et les Juifs, Archives contemporaines, 1998


Georges Wellers, Un Juif sous Vichy, Editions Tiresias-Michel Reynaud, 1991


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Limor Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, 1940-1944 : sauvetage et désobéissance civile, Edition du Cerf, 2005

Limor Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1944 : l'exemple du sauvetage des juifs, Cerf 2010-2011, 3 tomes

Limor Yagil, Au nom de l'art 1933-1945, Exils, solidarités et engagements, Fayard 2015

Des femmes et l'étoile jaune - Introduction

Simone Veil interviewée en 1974 par l'ORTF
(capture d'écran de l'INA)
Qui mieux que Simone Veil pouvait incarner la cause des femmes ?

Entre nuit et brouillard, à 16 ans et demi, elle vivra l’enfer concentrationnaire dans ces destinations absolues de l’horreur, de Drancy à Auschwitz-Birkenau et Bergen-Belsen entre le 7 avril 1944 et le 15 avril 1945. 

Privée de toute dignité humaine, réduite à un numéro indélébile tatoué sur le bras, vêtue de haillons, une bonne étoile lui permettra d’échapper à la mort. 

Obstinée à survivre, sa magistrale résilience n’effaça jamais de sa mémoire «  ces visages, ces femmes portant leurs jeunes enfants, ces foules ignorantes de leur destin qui marchaient vers les chambres à gaz. J’étais dans un bloc tout proche de la rampe où arrivaient les trains. C’est ce que j’ai vu de pire » écrira-t-elle en 2007 dans son livre « Une vie ». 

Sa force de vaincre s’exprimera aussi tout au long de sa carrière ministérielle avec l’adoption en 1975 de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse.

Exceptionnelle Simone Veil que j’ai eu la chance de rencontrer en 2005, près de Tours, lorsqu’elle viendra inaugurer un espace social portant son nom, se prêtant volontiers à l’interview dans une conférence publique durant plus d’une heure.  

Sa voix s’est éteinte en 2017. Un an plus tard, sa « soeur des camps », Marceline Rozenberg-Loridan-Ivens ira la rejoindre un soir de Yom Kippour...

Depuis leur départ, comment ne pas nous sentir orphelins ? 

D’autres femmes moins connues incarnent encore, mais pour combien de temps, la même force, avec le même visage à la fois endurci par les épreuves et rayonnant d’espoir. 

Parce que les survivantes « passeuses de mémoire de la Shoah » se font de plus en plus rares, il m’a semblé important de rappeler que des femmes, des mères, des épouses ont été arrêtées et envoyées à la mort parce que juives. 

"Le Matin" du 1er juin 1942

Beaucoup portaient l’étoile jaune imposée par la 8e ordonnance allemande du 29 mai 1942 en zone occupée, ou parce que la lettre « J » se trouvait tamponnée de rouge sur leurs papiers d’identité. Ces signes discriminatoires constituaient un rouage de la "Solution finale" voulue par les nazis contre les juifs.

Certaines n'ont pas porté l’étoile, d’autres avaient de faux papiers - comme Simone Veil - prenant le risque d'être arrêtées et déportées. 

Echapper au "marquage" des Juifs pouvait aussi permettre de sauver sa peau. 

D’autres ont pu obtenir des exemptions d’étoile. Un privilège très rare, accordé par les seules autorités allemandes. 

Le 5 mai 1942, lors de la venue à Paris de Reinhard Heydrich, l'adjoint de Himmler à la tête des SS, la formulation du texte de la 8e ordonnance sera précisée en présence de l'ambassadeur d'Allemagne Otto Abetz et de Carl-Theo Zeitschel, chargé des questions juives. Au cours de cette réunion, la décision sera prise d'exempter les juifs vivant en mariage mixte, si leurs enfants sont reconnus comme non juifs. 

D’autres exemptions seront accordées dans des cas isolés « lors de circonstances spéciales, dans l'intérêt du Reich »

Une brèche utilisée par le maréchal Pétain qui formulera quelques demandes pour des proches, notamment l’épouse de Fernand de Brinon, son ambassadeur à Paris auprès des autorités allemandes.

Le 25 août 1942, Heinz Röthke, chef du service juif de la SS de Paris, dressera une liste de 26 personnes officiellement exemptées du port de l'étoile jaune.

Huit exemptions seront décidées pour "de pressants motifs économiques", sept à la demande de l'Abwehr, le service de renseignement de l'état-major allemand, six pour des juifs travaillant avec la police anti-juive…

Egalement, le  pseudo "statut" d’ "aryen d’honneur", utilisé par l’Occupant, permettra également de profiter de l’article 8 du Statut des Juifs du 3 octobre 1940 qui prévoyait que « Par décret individuel pris en conseil d'État et dûment motivé, les juifs qui, dans les domaines littéraire, scientifique, artistique, ont rendu des services exceptionnels à l'État français, pourront être relevés des interdictions prévues par la présente loi. Ces décrets et les motifs qui les justifient seront publiés au Journal officiel. »

Si certaines histoires individuelles de quelques grandes familles illustrent la réalité des mariages mixtes et des conversions, l'antisémitisme d'Etat s'est abattu sur une foule d'anonymes qui retrouveront ici un nom, un passé, une vie...

A chaque fois, des histoires complexes rappelant que la volonté de survie restait la plus forte.



Thierry Noël-Guitelman


Remerciements

Journaliste professionnel honoraire, j'ai débuté des recherches en 2004 lorsque ma tante Ida Seurat-Guitelman m'expliqua avoir bénéficié d'une rare exemption de l'étoile jaune grâce à son mari, policier. Elle comblait ainsi un silence familial sur la période de l'Occupation, déclenchant en moi la nécessité d'en savoir plus. Grâce aux précieuses archives du Centre de Documentation du Mémorial de la Shoah à Paris, j'ai pu consulter les documents qui se trouvent référencés dans cette étude.