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mardi 18 août 2020

Nita Raya, sauvée par Maurice Chevalier

Maurice Chevalier, vedette internationale du music-hall, a sauvé sa fiancée d'origine juive, la chanteuse Nita Raya. À la Libération, elle témoignera en faveur de celui qui se retrouva accusé d'avoir été un "collabo".

De son vrai nom Raïssa Beloff-Jerkovitch, Nita Raya est née le 15 octobre 1915 à Kichinev, en Moldavie. 

À 12 ans, elle arrive en France avec ses parents qui fuient l'antisémitisme. Pour vivre, son père est à la fois tailleur et chauffeur de taxi à Paris.

Douée pour la danse, Nita suivra les cours de la russe Olga Préobrajenska, et débute au cabaret "Le bal Tabarin" avec Viviane Romance comme partenaire dans un spectacle de French Cancan. Un muscle déchiré l'obligera à se réorienter vers les cours de comédie de René Simon. 
Enchaînant les petits rôles de figuration, elle débute au cinéma en 1931 dans "Olive se marie", un court-métrage de Maurice de Canonge.
Fin 1934, elle participe à la création de "Marie Galante" de Jacques Deval, 
au théâtre Hébertot.

À partir de 1936, elle multiplie les tournages avec les plus grands réalisateurs de l’époque qui ont remarqué sa beauté : Abel Gance, Christian-Jaque, Marcel L’Herbier, Pierre Colombier. Elle joue aux côtés de Fernandel, Raimu, Tino Rossi, Andrex, Charpin, Madeleine Renaud, Edwige Feuillère, Gaby Morlay.

Elle n'a que 19 ans lorsque Maurice Chevalier (1888-1972) la découvre au Théâtre de la Madeleine comme figurante dans la pièce américaine " Broadway " où Marlène Dietrich a fait ses débuts. Il évoquera sa rencontre dans son livre "Ma route et mes chansons" - volume 3 (Julliard, 1950). (1)

Depuis 1910, Chevalier occupe le devant de la scène des variétés aux côtés de Mistinguett dont il partagera la vie jusqu'en 1922. 

Enchaînant les succès, le "p'tit gars de Ménilmontant" et son canotier partiront conquérir l'Amérique. 

New York, Hollywood, Los Angeles, Maurice attire les foules et tourne dans deux films musicaux, " La Veuve joyeuse "  de Lubitsch, avec Jeanette Macdonald, et " Folies Bergère " de Marcel Achard et Roy Del Ruth. 

Marié à la chanteuse Yvonne Vallée en 1927, ils divorceront en 1933. 


Le coup de foudre


De retour de Hollywood, Maurice se retrouve célibataire. Un célibat de courte durée car sa rencontre en 1934 avec Nita Raya sera un vrai coup de foudre ! Leur relation amoureuse durera douze ans...  

Chevalier la propulsera en haut de l'affiche du Petit-Casino à Bobino, L'Européen et l'ABC. 

Après le film " Au son des guitares " en 1936 avec Tino Rossi (musique de Vincent Scotto),  " Ignace " sera le plus gros succès de 1937, un film de Pierre Colombier avec Fernandel où elle chante " La Mexicana " aux côtés d'Andrex, qui débuta aussi grâce au "grand Maurice" à l'Alcazar de Marseille.


En 1938, au Casino de Paris, Chevalier chante avec Nita Raya dans la populaire revue " Lambeth Walk " puis dans des tournées européennes, même en Allemagne.

La même année, elle tourne " Chipée " de Roger Goupillières, et surtout "Bécassine" de Pierre Caron. 

Le film sortira très discrètement le 3 septembre 1939, éclipsé par la déclaration de guerre, et par le dénigrement de députés bretons qui essaieront de le faire interdire au motif qu'il donnait une mauvaise image de la Bretagne.

Le soir du 1er septembre, Maurice et Nita apprennent l'invasion de la Pologne par l'Allemagne alors qu'ils dînent chez le duc et la duchesse de Windsor à Cagnes-sur-Mer. Ils décident de rentrer à Paris...

Pendant la "Drôle de guerre", Chevalier et Joséphine Baker partent soutenir les soldats sur le front. Il chante "Ça fait d'excellents Français"... 

À Paris, ils font rouvrir le Casino de Paris pendant l'hiver.

Après l'invasion allemande du 10 mai 1940, Maurice fait d'abord partir les parents de Nita à Arcachon alors que "La Louque", sa propriété de La Bocca près de Cannes, est réquisitionnée par l'aviation française. Puis, ils iront tous rejoindre leurs amis danseurs classiques Desha Delteil et son mari Jean Myrio, à Mauzac, en Dordogne.

Après l'armistice du 17 juin, ils retourneront à La Bocca au 14 juillet.

Sollicité pour remonter sur scène en France et s'exiler en Amérique, Maurice Chevalier refusera toutes les propositions, préférant rester en zone libre, en se contentant de galas de bienfaisance au profit des prisonniers. 


Chevalier sauve des juifs

mais il passe pour un "collabo"


Lorsqu'il rejoint Paris début septembre 1941, Le Petit Parisien lui prêtera des propos en faveur de la Collaboration qu'il n'a jamais tenu et son démenti passera inaperçu... 

La calomnie s'installe alors que Maurice Chevalier sauve des juifs !

Mais les apparences sont contre lui car au Casino de Paris, où il rechante, il est applaudi aussi bien par son public que par des officiers allemands.

Les émissions qu'il animait sur Radio Paris ne sont pas non plus du goût de tout le monde, d'autant qu'à deux reprises, il acceptera d'aller chanter,  à la demande des allemands, devant des prisonniers de guerre au camp d'Altengrabow, où lui-même a été prisonnier pendant la Première Guerre Mondiale.


Grégoire Akcelrod, le petit-fils de Nita Raya, dans son livre "L'amour ou la mort" apporte des précisions sur la venue de Maurice en Allemagne. Interviewé par The Times of Israël, il met un point final aux rumeurs calomnieuses : " Son neveu a été fait prisonnier en Allemagne au début de la guerre. Il avait négocié avec les nazis de chanter dans un camp où son neveu se trouvait en échange de sa libération et de celle de neuf autres prisonniers. Cela devait rester discret. Mais, finalement, les nazis ont bien libéré 10 prisonniers, mais pas son neveu. Sans doute pour garder sur lui un moyen de pression pour d’autres tours de chant. Dans le cadre de leur propagande, les Allemands ont publié une photographie de Maurice dans le camp disant qu’il faisait une tournée en Allemagne, ce qui était complètement faux. La désinformation a alors sévi et Maurice Chevalier est passé pour une crapule collaborant artistiquement avec les nazis." (2)

Outre-Atlantique, la réputation de Maurice Chevalier sera égratignée lorsque le magazine américain Life publie en août 1942 une liste de "collabos" où la vedette française figurait.


Des faux papiers


Quant à Nita, elle doit redoubler de prudence en raison des nouvelles lois raciales.

Lorsque l'armée allemande envahit la zone libre le 11 novembre 1942, Maurice rapatriera les parents de Nita Raya dans un quartier retiré de Nice et leur fournira de faux papiers. 

L'étau se resserre et en août 1943, une enquête de la redoutable SEC de Nice (Section d’enquêtes et de contrôle du Commissariat Général aux Questions Juives) soupçonne Nita Raya d’être juive. Pour échapper au pire, elle doit fournir des preuves de son « aryanité »

Grâce aux contacts de Maurice à la préfecture, elle obtiendra un faux certificat roumain, qui sera reconnu authentique. Il établissait qu’elle et sa mère Anna étaient de religion catholique orthodoxe. (3)

Après d'ultimes représentations au Casino de Paris, Maurice décide de cesser toute activité musicale jusqu'à la fin de la guerre mais Pierre Dac (André Isaac de son vrai nom), sur Radio Londres le cite toujours comme un " mauvais français " !

Le journaliste résistant René Laporte - son voisin à Nice - fera passer le message jusqu'à Londres qui cessera ses attaques radiophoniques. 

Le mal est fait et en mai 1944, un tribunal spécial réuni à Alger le condamne à mort par contumace...

Le 6 juin 1944, jour du Débarquement, Chevalier échappera de justesse à des maquisards de Dordogne qui voulaient le fusiller. Arrêté le 14 septembre, il sera interrogé à Périgueux pour collaboration. 

Nita venue à son secours, il ressortira libre et ils partiront à Toulouse, protégés par des résistants. 

Interviewé par le quotidien britannique The Daily Express, le roi du music-hall sera vite réhabilité aux yeux de l'opinion, et Pierre Dac ira même témoigner en sa faveur devant le comité d'épuration, où Chevalier sera convoqué le 1er décembre 1944.

Début octobre, Aragon prendra aussi sa défense en publiant un article dans le quotidien communiste Ce soir.

Chevalier retrouvera vite le succès à partir de mai 1945.

Malgré l'euphorie de la paix, Maurice et Nita se séparent en 1946 mais restent en bons termes.

" Nous ne pouvions à la fois travailler et nous aimer. Notre métier ne pardonne pas. Quand Maurice allait à New-York, je signais un engagement pour une autre capitale. J'étais absente quand il rentrait : ce n'était plus tenable " expliquera Nita dans une interview dans le magazine Mon Film en 1947. (4)

 

Une séparation due sans doute à la courte relation de Nita avec Francis Lopez, le compositeur basque, qui proposait aussi des chansons à Chevalier.

Dans ses mémoires, Lopez la qualifiera de "machine à faire rêver" :


« Mi-femme enfant, mi-femme fatale, bien plus jeune que Maurice, qui portait toujours beau malgré sa cinquantaine avancée, elle était la juste récompense d’une star internationale ».

« Jambes interminables, hanches rondes et poitrine haute, Nita Raya nous regardait de ses yeux noirs, avec un air soumis qui laissait croire à chaque homme qu’il pouvait être le seul, l’unique…. Pourtant, elle n’aguichait pas.  Simplement, elle était une machine à faire rêver.  Involontairement, ce qui est pire.  Et, c’est pour ça qu’elle devint la vedette des Folies-Bergère ».  (5)

Nita Raya : "une machine
à rêver" (photo Unifrance)
À défaut de retrouver des rôles au cinéma, Nita Raya renouera avec la scène.
En 1945, avec Francis Lopez, elle chante dans l'opérette " Heureux comme un roi ". En 1946, dans " Faut faire plaisir". 

En 1948, elle enregistre " La cane au Canada " avec le grand orchestre de Raymond Legrand.

À 34 ans, en 1949, Nita Raya épouse Joseph Akcelrod, un industriel de 35 ans.

Le couple aura un enfant, Patrick, né en 1951, mais un divorce les séparera en 1954.


Sa dernière apparition au cinéma  remonte à 1954 pour « La rafle est pour ce soir » de Maurice Dekobra, d’après des nouvelles de Maupassant.


Au début des années soixante, Nita Raya chantera en première partie des spectacles d'Edith Piaf, née aussi en 1915. Elle lui écrira aussi des chansons :  "Je m'imagine" (musique de Marguerite Monnot),  "Toujours aimer"  (musique de Charles Dumont), "Pourquoi je l'aime" chantée par Théo Sarapo, le dernier mari de Piaf. 

L'artiste tire sa révérence le 25 mars 2015, à 99 ans, à Trégastel (Côtes d'Armor) où elle vivait depuis plusieurs années dans une maison de retraite.


                                    

                                                                                                        Thierry Noël-Guitelman


(1) Maurice Chevalier, « Les tempes grises » - Ma route et mes chansons volume 3, Ed. Julliard, Paris, 1948 :


« Elle y jouait un rôle de second plan avec tant de simplicité et elle était d’une si juvénile beauté que mon intérêt masculin, un peu trop au repos depuis mon retour d’Amérique, se mit à rebondir. Elle avait dix-neuf ans. Très belle, brune, superbe plastique et dominant toute cette féminité, une grâce, une gentillesse naturelle qu’agrémentait encore une intelligence peu commune chez un semblable « poulet de grains ». Un e sorte de complexe d’infériorité que je lui sentis dès notre entrée en conversation la rapprocha encore plus de moi et nos premières entrevues, toutes platoniques, mais si fraiches et agréables, m’apprirent que mon cœur, si largement mis à contribution au cours de mon existence amoureuse, avait, malgré tout, gardé un coin tout neuf pour un sentiment d’une qualité encore inconnue. Elle respirait la vraie jeunesse. L’atmosphère des coulisses n’avait pas encore eu le temps de la flétrir et l’avait seulement déniaisée. Elle était une surprise, une apparition dans ma vie…Je n’avais jamais rencontré dans le monde artistique, un alliage si inconcevable de beauté, d’esprit et de modestie ».


(2) Interview dans "The Times of Israël" par Sandrine Swarc, 15 juillet 2022. 

Grégoire Akcelrod : L’amour ou la mort (l’Archipel, 2022). 


(3) CDJC-LXXXIX-126 Lettre de « présomption de qualité non-juive » du 21 mars 1944 du directeur de la SEC pour les deux zones au délégué régional à Nice. 


(4) Mon Film du 29 janvier 1947. Propos recueillis par Paule Marguy.


(5) Francis Lopez, Flamenco, la gloire et les larmes, Presses de la Cité, Paris, 1987, p. 91





> BIOGRAPHIE : lire aussi Nita Raya, doyenne des actrices du cinéma français ? (2013)



CINÉ MONDE n° 338 


Dans la revue Ciné Monde du 11 avril 1935, le futur scénariste et réalisateur Marcel Blitstein, sous le titre Visage de beauté écrivait à propos de Nita Ray : 

" Un corps dont les formes admirables ont la plénitude d'un beau fruit savoureux et velouté. Un visage, enfin, exceptionnel, passionnant : des yeux dont les prunelles ont l'éclat de l'acier et une flamme étrange, des cheveux dont le noir d'ébène a des reflets bleutés, une peau de velours mat et soyeux, des lèvres qui semblent deux pétales écrasés, plus rouges que le sang, plus écarlates que le carmin. Brusquement un sourire qui étonne tout d'abord, qui conquiert aussitôt : entre les lèvres de feu les dents éclatantes sont apparues, d'une étincelante blancheur, d'une exquise harmonie. Telle est Nita Raya, une des femmes les plus complètement belles que j'aie jamais vues".

L'article insiste aussi sur ses débuts théâtraux, au Palais-Royal où elle a joué La Demoiselle de Mamers, La Famille Vauberlin et La Belle Isabelle.

Au Théâtre de Paris, elle créé Marie Galante puis Aliette.


MON FILM n° 27


La revue Mon Film du 29 janvier 1947, dans la rubrique "Les amours de nos vedettes" revient sur la relation entretenue par Nita Raya avec Maurice Chevalier.

À 32 ans, l'artiste n'a pas tourné depuis 1940. Oubliée des écrans, l'épisode douloureux de la guerre est passé par là. Interviewée, elle ne dit pas un mot de son "sauvetage". 

Sa relation avec la vedette du music-hall reste une romance et Nita Raya évoque volontiers ses "amours délicieuses". Elle décrit Chevalier comme "l'amant parfait" qui la couvrait de cadeaux...









Filmographie


1934 - Le Père Lampion - Christian-Jaque

L'École des contribuables - René Guissart

1935 - La Sonnette d'Alarme - Christian-Jaque
Lucrèce Borgia - Abel Gance
Et moi, j'te dis qu'elle t'a fait de l'oeil - Jacques Forrester 

Sous la griffe - Christian-Jaque

Le Roi des gangsters - Maurice Gleize

1936 - Au son des guitares - Pierre-Jean Ducis (avec Tino Rossi)

Sacré Léonce - Christian-Jaque

Oeil de lynx, détective - Pierre-Jean Ducis

1937 - Les Rois du sport - Pierre Colombier

Ignace - Pierre Colombier (avec Fernandel)

1938 - Chipée - Roger Goupillières

1939 - Entente cordiale - Marcel L'Herbier

1940 - Bécassine - Pierre Caron (scénario Jean Nohain)

1954 - La rafle est pour ce soir - Maurice Dekobra



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