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mardi 18 août 2020

Louise Neuburger, la veuve de Bergson

Le 17 juin 1942, une réunion à l'ambassade d'Allemagne étudie plusieurs demandes d'exemption de l'étoile jaune, formulées par le maréchal Pétain.

Des demandes « pour les femmes » du philosophe Henri Bergson, de Henry de Jouvenel (il s'agit de la romancière Sidonie-Gabrielle Colette), de l'ambassadeur de France, Fernand de Brinon ». Aucune décision ne sera prise. (1)

Henri Bergson, prix Nobel de littérature 1927, est mort depuis un an et demi… 

A 81 ans, le 4 janvier 1941, il succomba chez lui, à Paris, d’une congestion pulmonaire.

Son élève, Jacques Chevalier, secrétaire d’Etat à l’Education nationale et à la Jeunesse, adresse un télégramme de condoléances à sa veuve Louise Neuburger (1872-1946) qui avait épousé Bergson en 1892, à tout juste 20 ans, quand il était âgé de 33 ans. Elle n'aura qu'un seul enfant, Jeanne (1893-1961), née sourde et muette mais peintre et sculpteur de talent, élève de Bourdelle. 

Marcel Déat, dans le journal collaborationniste « L’Oeuvre » dénoncera un « hommage solennel à un Juif judaïssime » et le ministre démissionnera le 22 février. (2)

Le télégramme avait été approuvé par Pétain mais le 6 janvier, Chevalier se voit refuser un ausweis pour se rendre à la cérémonie funéraire organisée au domicile de Bergson en présence de Fernand de Brinon. 


Paul Valéry, en sa qualité de secrétaire de l'Académie française, prononça l'éloge funèbre du « juif Henri Bergson ». Une prise de position qui lui vaudra de perdre ce poste, comme celui d’administrateur du Centre universitaire méditerranéen de Nice. A sa mort en juillet 1945, le général De Gaulle lui accordera des obsèques nationales…

Le 29 août 1941, Mme Bergson lui adressera une amicale carte depuis Saint-Jean-de-Luz.

Louise et sa fille Jeanne sont résolues à quitter la France. Elles demanderont des laisser-passer à l'ambassade d'Allemagne mais la réponse sera négative…

Dans une note du 26 juin 1941 de l’ambassade à la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés, il est indiqué «  qu’il ne peut être fait droit aux requêtes de Madame et Mlle Bergson, du fait qu’elles soient juives ». (3)

Est-ce pour se faire pardonner tant d’ingratitude que Pétain demanda une exemption d’étoile jaune pour Mme Bergson ?

Le Pr Émile Aron, qui soignait Bergson à Tours, considère que le geste de Pétain ne servait plus à rien en juin 1942 car « dès le printemps 1941, j'avais dit à Mme Bergson de quitter la France ». (entretien avec l'auteur)

Aussi, les deux femmes franchiront clandestinement la ligne de démarcation à Bléré,  en Touraine, où les Bergson possédaient une propriété à Saint-Cyr-sur- Loire, dans l'intention de rejoindre leur résidence en Suisse. 

Leur voyage sera facilité par Pierre Brisson, le directeur du Figaro replié à Lyon. Leur permis de séjour est daté du 9 juillet 1943. Il indique qu'elles rejoindront le canton de Genève à l'automne. (4) 

Direction «  L’Echappée », la maison de campagne de Saint-Cergue, face au Mont-Blanc, entourée de forêts avec vue sur le lac Léman, où Bergson rédigea ses dernières oeuvres sur sa philosophie morale et religieuse.


En 1937, Bergson avait rédigé un testament prémonitoire : «  Je me serai converti si je n’avais vu se préparer depuis des années la formidable vague d’antisémitisme qui va déferler sur le monde. J’ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés ». 

Sa biographe Raïssa Maritain rappelle qu’il avait refusé d’être dispensé des mesures du statut des juifs : «  Bergson quitta son lit de douleur, lui qui depuis des années pouvait à peine se mouvoir et, vêtu d’une robe de chambre et de pantoufles, appuyé au bras d’un de ses proches, il va faire la queue pour se faire inscrire comme juif, se voulant plus que jamais solidaire de son peuple ». (5)


(1) CDJC-XLIXa-91b Lettre et note de Herbert Hagen au commandant de la Sipo-SD de Paris, du 18 juin 1942.

(2) Jacques Chevalier : Entretiens avec Bergson (Flon, 1959), p. 299-300.

(3) CDJC-II-178 Note du 26 juin 1941 de Rudolf Schleier, de l’Ambassade d’Allemagne à Paris.

(4) Fonds d'archives SB4 de l'Office cantonal de contrôle des habitants et de police des étrangers.

(5) Jacques et Raïssa Maritain : Grandes amitiés (Parole et Silence, 2000)


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