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mardi 22 octobre 2013

L'égyptien Mohamed Helmy, Juste parmi les nations


Juifs et musulmans ont parfois du mal à se tendre la main. Judaïsme et islam, autour du patriarche Abraham,  partagent pourtant les valeurs d'entraide et de respect de la vie. 
Pendant la Seconde guerre mondiale, juifs et musulmans, traqués par l'idéologie nazie xénophobe, ont affronté les mêmes persécutions, et des musulmans n'ont pas hésité à secourir des juifs. 
Le 30 septembre 2013, un Egyptien a été reconnu « Juste parmi les nations », distinction délivrée par Israël à ceux qui ont sauvé des Juifs pendant la Shoah, au péril de leur vie.

Le titre officiel délivré par Yad Vashem
La distinction, décernée à titre posthume, honore le Dr Mohamed Helmy, médecin égyptien né à Khartoum, et son épouse  allemande Frieda Szturmann pour " avoir œuvré ensemble au cœur de l’Allemagne nazie à sauver une famille juive au plus fort de l’Holocauste ". Pendant plus de deux ans, il cacha Anna Boros, une de ses patientes juives et sa famille.
Installé en Allemagne depuis 1922, le médecin travaillait pour l’Institut Robert Koch à Berlin jusqu’en 1937, date à laquelle il fut licencié par le régime hitlérien. Arrêté en 1939 avec d’autres Egyptiens, il sera relâché en 1940 pour raisons médicales.
Mohamed Helmy et Frieda Szturmann, sont respectivement décédés en 1982 et 1962.
Ces "Schindler arabes" sont les premiers égyptiens à être reconnus par le mémorial de Yad Vashem. L’Égypte, engagée dans quatre guerres avec Israël de 1948 à 1973, a signé en 1979 un traité de paix avec l’Etat hébreu.

> Cinq ans après que le titre de Juste ait été décerné, en octobre 2017, la médaille des Justes a été remise à un petit-neveu du Dr Helmy, à Berlin. Lire, Le Point.


Yad Vashem a reconnu depuis 1953 une soixantaine de musulmans, originaires d'Albanie, de Bosnie et de Turquie. Citons le  diplomate turc Selahattin Ülkümen (1914-2003), consul général à Rhodes en 1943 et 1944.
Egalement Dervis Korkut (1888-1969), conservateur du musée de Sarajevo, qui cacha la Haggadah, l'un des plus précieux manuscrit en hébreu du XIVe siècle. En 1942, il sauva Mira Papo, une jeune juive, décédée en 1998. Son témoignage a permis l'enquête de Yad Vashem. Sa fille Lamija se retrouva dans un camp de réfugiés en 1999, lors du conflit serbe. Un représentant de la communauté juive du Kosovo obtiendra son transfert en Israël, avec son mari.

En France, le journaliste franco-algérien Mohammed Aïssaoui, auteur de "L'étoile jaune et le croissant" (Gallimard, 2012) milite en faveur de la reconnaissance de Kaddour Ben Ghabrit, fondateur de la grande mosquée de Paris.

Lire aussi le cas du tunisien Khaled Abdul-Wahab dont la candidature au titre de Juste n'a pas été reconnue au motif que son action n'était pas "au péril de sa vie".

vendredi 15 mars 2013

Pourquoi le Consistoire n'a pas réagi contre l'étoile jaune

Jacques Helbronner 1873-1943 (dr)

Lorsque la 8e ordonnance allemande du 29 mai 1942 instaure l'étoile jaune en zone occupée, le Consistoire central n'a pas protesté. Comment expliquer cette attitude de l'institution juive ? 

L'étoile jaune, nouvelle étape de la répression antisémite, succédait aux statuts des Juifs d'octobre 1940 et de juin 1941, aux recensements, aux rafles, aux décisions allemandes d'élimination des Juifs de la vie économique, et au premier convoi de déportés pour Auschwitz du 27 mars 1942. 

Le silence du Consistoire est d'autant plus lourd qu'il tranche avec la multitude de réactions émises depuis 1940 par les institutions juives face à la politique de Vichy. 

Aucun document vraiment explicite ne ressort des archives, dans l'état actuel des recherches historiques. Comment interpréter ce silence qui peut paraître surprenant de la part de l'instance communautaire chargée de représenter les Juifs de France ?

A maintes reprises, contre les législations discriminatoires de Vichy, le Consistoire central avait solennellement réagi, multipliant actions et contacts au plus haut niveau de l'Etat et du gouvernement. Les réponses de Pétain " furent polies mais insignifiantes " notent Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, dans " Vichy et les Juifs " (Biblio Le Livre de Poche, 2004, p. 126)
Replié à Lyon, en ZNO (zone non occupée) après l'invasion allemande de juin 1940, le Consistoire continua d'exercer son rôle devant les pouvoirs publics. Un rôle renforcé, à partir de mars 1941, par la présidence de Jacques Helbronner, qui succédait à Robert de Rotschild, réfugié à New-York.
Jacques Helbronner, avocat, fils d'avocat, né en 1873, entré au consistoire de Paris en 1906, a été membre de l'état-major de Paul Painlevé, ministre de la Guerre. 
Conseiller d'Etat mis à la retraite, proche des milieux d'affaires et du monde politique, "ami" de Pétain, il est un authentique "Juif d'Etat", un " Fou de la République ", pour reprendre les qualificatifs utilisées par Pierre Birnbaum. (1)
Lyon-Vichy, la proximité géographique, facilitera les déplacements d'Helbronner qui, entre l'été 1940 et juin 1941, rencontra Pétain pas moins de vingt-sept fois, rappelle l'historien Zosa Szajkowski (The Analytical Franco-Jewish Gazetter, 1939-1945, New York 1966, p.49, n.21)
Helbronner, lors de la déclaration de guerre en 1939, à 66 ans, ira jusqu'à endosser à nouveau son uniforme de colonel de réserve. Aide de camp de Pétain, pendant la Grande Guerre, sa confiance dans le Maréchal est sans réserve.
Sacrifice et résignation

Contre l'avalanche des mesures antisémites, le Consistoire réagira par devoir mais à la lecture des protestations, on sent Jacques Helbronner et ses amis, dépassés par les événements. Leur stratégie, liée au sacrifice et à la résignation, seront un échec. 
Leurs voix seront de moins en moins entendues face à la lâcheté de Vichy et à la puissance des nazis. Au fil des mois, on mesure son impuissance et son isolement. Rétrospectivement, il paraît facile d'émettre ce jugement mais indéniablement, le piège s'est refermé sans que l'institution ait pu influer de quelque sorte contre la politique de collaboration et la " Solution finale ", comme l'a montré la suite tragique des événements.
Chronologiquement, voici les principales réactions du Consistoire :

Isaïe Schwartz (photo Klein)
22 octobre 1940 : contre le premier statut des Juifs d'octobre 1940, le grand rabbin Isaïe Schwartz proteste quatre jours après sa publication, auprès du chef de l'Etat, estimant qu'il s'agit de " l'atteinte la plus grave à la liberté de conscience "... " Contre les principes de ce statut, contre ses stipulations, nous élevons la plus solennelle des protestations. Nous ne pouvons adhérer aux principes de législation raciale, principes nés hors de nos frontières, répudiés par le judaïsme, niés par la science et condamnés ex cathedra par le chef de l'Eglise catholique, ainsi que par les autres églises chrétiennes ". (Alliance Israélite Universelle, CC-32, et CDJC-CCXIII-4_001).
Mais le régime n'est pas vraiment contesté lorsque le grand rabbin ajoute : " L'ordre nouveau qui a été proposé aux Français par le chef de l'Etat doit reposer sur le Travail, la Famille et la Patrie. Aucune notion ne pouvait nous être plus chère ". Il reste légaliste : " Nous continuerons de respecter les lois de l'Etat. Victimes de mesures que nous avons conscience de n'avoir pas méritées, qui nous atteignent dans notre dignité d'homme et dans notre honneur de Français, nous exprimons notre foi profonde en l'esprit de justice de la France éternelle (...) A une loi d'exception, nous répondrons par un dévouement sans défaillance à la Patrie. "
Et il conclut : " Les Français israélites ont pris pour devise : Religion-Patrie. Toujours fidèles à cet idéal, nous puiserons notre courage et notre espérance dans l'amour de Dieu et dans les leçons de la Bible, sources de la vie spirituelle du peuple français ".

Pétain répond le 12 novembre 1940 en faisant appel au "sacrifice" : " vous m'avez fait part de l'émotion qu'éprouve la communauté israélite de Paris à la suite de la loi portant statut des Juifs. L'obéissance à la loi est un des principes essentiels de tout Etat et une des conditions indispensables au redressement de la France que je poursuis, vous le savez, de toutes mes forces, en faisant appel au dévouement et, si besoin est, à l'esprit de sacrifice de tous mes concitoyens dans quelques situations qu'ils se trouvent placés. Je suis heureux de constater que vous êtes animés de ces mêmes sentiments et je vous remercie de les avoir exprimés ... » (CDJC : CCXIX-114). 
Des propos très hypocrites, Pétain ayant rayé de sa main les " Juifs nés français ou naturalisés avant 1860 " du projet de statut, comme le montre le document authentifié en 2010, déposé au Mémorial de la Shoah.
Le grand rabbin Schwartz rencontrera Pétain le 15 mars 1941
Dans un courrier du 30 mai, il reprend cette notion de "sacrifice" et demande que les mesures en préparation soient effectivement présentées comme " un sacrifice et une rançon exigée par les pressions extérieures ". (CDJC : XXXI-48)
Toujours bienveillant envers Pétain, Jacques Helbronner, encore vice-président, prône la résignation. Il demande au Consistoire réuni le 2 décembre 1940 " d'accepter en silence les mesures qui nous frappent, sans rien faire qui puisse gêner l'oeuvre de redressement patriotique entreprise par le chef de l'Etat, en présence d'une défaite sans précédent dans l'histoire de la France ". (AIU, CC 15)

A l'approche du second statut des Juifs (2 juin 1941), Jacques Helbronner réclame à Xavier Vallat, Commissaire général aux Questions juives, des "aménagements" en faveur des anciens combattants. Lors de leur rencontre du 7 avril, Vallat se veut confiant, prétendant pouvoir sauver les quatre cinquièmes des familles juives françaises. 
Helbronner estime alors l'entretien " charmant et cordial, collaboration confiante, promesses favorables " (cité par Simon Schwarzfuchs, " Aux prises avec Vichy ", Calmann-Lévy, 1998. p. 102). Mais, le 30 mai, Vallat informe Helbronner que les autorités allemandes ont refusé d'intégrer dans le nouveau statut les critères des trois générations et les exemptions pour les anciens combattants...
Au fur et à mesure que les mesures anti-juives s'accumulent, le Consistoire va durcir sa position :  

26 avril 1941 : une ordonnance allemande évince les Juifs de zone occupée de la vie économique. 

14 mai 1941 : première arrestation massive de Juifs étrangers de zone occupée (3700 personnes, essentiellement des Polonais, transportées dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande).  

19 mai 1941 : attentat contre la synagogue de Marseille.
15 juin 1941 : deux semaines après le second statut, Jacques Helbronner estime que sa dignité et celle du judaïsme français tout entier lui imposent de “mettre fin aux relations qu'il entretenait avec les pouvoirs publics". Un changement d'attitude s'amorce, mais la confiance est encore là et Pétain affirme à Helbronner que les nouvelles mesures à l'encontre des juifs sont imposées par les Allemands au gouvernement.
Pour le président du Consistoire, la rupture est consommée.
30 juin 1941 : Helbronner remet personnellement au maréchal un texte signé du grand rabbin et des 43 membres du Consistoire central protestant contre le nouveau statut. Les signataires se déclarent encore " convaincus que les mesures d'exception collectives prises à l'égard des Français israélites ne peuvent pas avoir emporté l'adhésion, même tacite, du gouvernement français ". (CDJC : LXXII-2 et AN, AG II 610, lettre du 1er juillet 1941)
1er juillet 1941 : Helbronner écrit de nouveau à Pétain pour dénoncer cette loi qui " ne vise pas les israélites en tant que Français ou étrangers, mais, à l'imitation servile de l'autorité occupante, ne connaît ou ne reconnaît plus qu'un troupeau juif où la nationalité, même française, n'est plus qu'un accessoire sans valeur ni portée ". (CDJC : CCXIX-110_002 et CDJC-LXXII-2)
7 septembre 1941 : Helbronner donne lecture au Consistoire de sa réponse à Xavier Vallat qui, sur ordre du maréchal, l'avait invité à présenter une demande de dérogation au statut des Juifs. Sa lettre de refus est applaudie par ses collègues, mais il reconnait que la politique d'entente avec les pouvoirs publics qu'il avait préconisée a totalement échoué. 

Opposition à l'UGIF 
Jacques Helbronner repart à l'offensive à l'occasion de la création de l'UGIF (Union générale des Israélites de France). Il rédige un contre-projet de loi, présenté le 19 octobre 1941, à l'assemblée du Consistoire où, faisant le bilan de ses actions, il dit vouloir " sauvegarder l'honneur du judaïsme français " et il estime qu'en raison de la loi de Séparation de 1905, la loi " risque d'ouvrir en France une ère de persécution religieuse". (CDJC : CCXIII-6_002)
Consistoire-UGIF : la question de la légitimité est posée et Michel Laffitte (dans “ Juif dans la France Allemande “ - Tallandier, 2006, p. 48) rappelle les relations conflictuelles et le fossé intellectuel entre Jacques Helbronner et Raymond-Raoul Lambert, le président de l'UGIF. Un point de vue partagé par Sylvie Bernay (dans L'Eglise de France face aux persécutions des Juifs - CNRS Editions, 2012, p.263) notant que le Consistoire central redoute " de perdre son rôle de représentation auprès du gouvernement ".
29 novembre 1941 : la loi instaurant l'UGIF sera effectivement un rude coup pour le Consistoire qui voit sa représentation confessionnelle remplacée par une représentation raciale. Il perd aussi le contrôle des oeuvres de bienfaisance, dissoutes (lettre du 13 novembre de Lavagne, chef du cabinet civil de Pétain indiquant qu'il transmet au CGQJ les inquiétudes d'Helbronner concernant le projet de dissolution des associations de bienfaisance CDJC-CCXIII-7_001. Lettre du 24 novembre 1941 où Lavagne indique que le CGQJ n'a pas voulu envoyer l'étude du projet de création de l'UGIF au Conseil d'Etat, mais il assure Helbronner de continuer les démarches pour " faire revoir le projet et l'amender " CDJC : CCXIII-9_001).

Le Conseil de l'Association des rabbins de France rejette la loi estimant la séparation, entre les associations cultuelles et l'Union générale "opposée aux principes et aux traditions du judaïsme" (...) " Si elle doit être respectée comme loi d'Etat, elle ne peut être acceptée librement par les Israélites ". (CDJC : CDXX-12, séance du 7 décembre 1941)
Consistoire et UGIF se retrouvent en concurrence directe et l'institution réagit. 
7 décembre 1941 : le Consistoire stipule qu'il " est impossible aux membres des comités des oeuvres d'accepter les fonctions de membres du CA de l'Union " (CDJC : CCXIII-10). 
Lors de son procès, fin 1947, Xavier Vallat rappellera la motion du 18 janvier 1942 où la délégation permanente du Consistoire blâmait ses membres qui avaient accepté d'entrer dans le conseil de l'UGIF (CDJC : LXXIV-7, p.12)
8 décembre 1941 : dans un courrier à Pétain, Jacques Helbronner demande "d'arrêter cette campagne de haine " contre les Juifs. 
" Le régime cruel et inique que les autorités occupantes nous ont imposé depuis plus d'un an frappe de plus en plus injustement tant de Français de religion israélite que vous m'excuserez si je viens aujourd'hui adresser au chef de l'Etat, au père de la patrie, et à lui seul, un appel pathétique en faveur de tant de malheureux privés de leurs droits de citoyens (...) Ces persécutions ne prendront-elles jamais fin ? (...) Ne craignez-vous pas qu'en imposant à la France une législation si contraire à ses traditions et à son génie, nos ennemis n'aient en réalité poursuivi l'humiliation de notre patrie en nous infligeant, après une défaite militaire, une véritable défaite morale ? "
Monsieur le Maréchal, je vous en supplie, arrêtez cette campagne de haine : elle est affreuse, elle augmente injustement les souffrances des Français qui pleurent avec vous les malheurs de la patrie. Ces hommes croient en Dieu, en sa justice éternelle... Croyez, Monsieur le Maréchal à mon dévouement fidèle et à ma persistante et respectueuse affection “. (CDJC : CCXIX-113_001)
Trois jours plus tôt, le 5 décembre, un attentat visant des soldats de la Wehrmacht, les représailles seront terribles : exécution de cent otages, amende d'un milliard pour les Juifs de Paris, et déportation de mille Juifs et cinq-cents communistes. 
La rafle du 12 décembre 1941 touchera 743 notables juifs français.
Jacques Helbronner et le grand rabbin Schwartz, incarnant inlassablement la permanence "morale" de la représentation Juive, demandent audience à Pétain le 19 décembre
Ils rencontrent le cardinal Gerlier, le primat des Gaules, et l'implorent de réagir (le cardinal Suhard promet son aide au grand rabbin de Paris, le 22 décembre 1941, et le pasteur Boegner, de la Fédération des Eglises protestantes, interviendra auprès de Vichy. 
La conférence épiscopale, réunie les 12-13 février 1942 à Lyon, apportera aussi son soutien au Consistoire).
27 mars 1942 : nouveau coup de semonce, avec le premier convoi de 1112 Juifs parti de Compiègne pour Auschwitz. 
19 mai 1942 : Jacques Helbronner écrit à Laval : " Le Consistoire central estime aujourd'hui indispensable de vous adresser respectueusement une protestation solennelle contre les mesures cruelles prises en zone occupée contre les israélites par les autorités allemandes, en dehors de toute loi française ou d'ordonnance réglementaire des autorités d'occupation (...) Cette protestation vise nos malheureux coreligionaires internés dans les camps de Compiègne et de Drancy qui, même citoyens français, souvent anciens combattants notoires, titulaires des plus belles distinctions nationales, viennent d'être déportés vers l'Allemagne, dans des conditions lamentables et infamantes et au mépris de tout principe d'humanité la plus élémentaire. Ils étaient pris comme otages et aucun d'eux n'était poursuivi pour avoir accompli une faute personnelle (...) Vous comprendrez notre émotion et l'appel que nous faisons à votre justice pour vous supplier de faire ce qu'il vous sera possible pour que soit rapportée une mesure aussi contraire au droit des gens qu'à l'honneur national.
Devons nous donc penser que les Français de confession israélite sont définitivement mis hors la loi et qu'on peut les frapper en raison de leur foi religieuse, comme s'ils avaient commis les plus grands crimes ? " (...) " Le statut de juin 1941 est déjà en soi une législation d'exception, contraire à tous les principes du droit français et à l'union que le Maréchal n'a cesser de préconiser entre toutes les confessions et les races de l'Empire, il est assez cruel pour que les autorités occupantes ne viennent pas encore l'aggraver par des persécutions odieuses qui révoltent le coeur des Français qui les connaissent ". (Archives du Consistoire, BCC 10-11)
Résignation face à l'étoile jaune ?
Dix jours plus tard, la 8e ordonnance allemande est promulguée.  
Le Consistoire central s'abstiendra de prendre position sur l'instauration de l'étoile jaune. 
Ce silence résigné peut s'expliquer par le contexte particulier de cette période : repliés en zone non occupée, à Lyon, ses dirigeants sont " coupés " de la réalité parisienne. 
Ils n'ont pas vécu directement l'humiliation de l'étoile qui touchait aussi bien les Juifs français que les apatrides et les étrangers. 
S'agissant d'une ordonnance allemande, la crainte des représailles peut aussi justifier l'absence de réaction directe. D'ailleurs, pour chaque ordonnance allemande, le Consistoire n’intervenait pas ou modestement par la « voix » très discrète de Vichy.
Le contraste est flagrant avec la réaction émise quelques mois plus tard, contre une autre mesure humiliante, mais française. 
La loi du 9 novembre 1942 imposait le tampon "JUIF" sur les cartes d'identité et d'alimentation en zone sud. Là, Helbronner et le grand rabbin Schwartz protesteront vivement auprès de Laval (courrier du 30 décembre), exprimant " leur indignation contre une mesure qui tendait à soumettre à une humiliation nouvelle une catégorie de citoyens français contre une obligation vexatoire venant s'ajouter à tant d'autres ". (AIU, CC-24)
Le Consistoire a dû également tenir compte de la position de l'UGIF qui fera campagne pour l'étoile, incitant même les Juifs " à porter l'insigne dignement et ostensiblement ". Une attitude relevée par Renée Poznanski, dans "Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale", p. 292. (2)
Le n° 25 du Bulletin de l'UGIF, daté du 10 juillet 1942 - quelques jours avant la rafle du Vél d'Hiv - publie en première page un " avis important concernant l'étoile " relayant les sanctions graves en cas d'infraction " que constitue toute tentative de la dissimuler même partiellement ". 
Le rabbin Isaac Schneersohn, fondateur du Centre de documentation juive contemporaine, en avant-propos au livre de Léon Poliakov, " L'Etoile Jaune " (Editions du Centre, Paris 1949), qualifie l'étoile d' " inexorable recensement de plus, un recensement "visuel", auquel beaucoup de Juifs, par lassitude ou absurde confiance, succombèrent ".
Y-a-t-il eu un choix délibéré de la résignation ? 

Déjà confronté aux statuts des juifs, le grand rabbin Schwartz, malgré ses protestations officielles, prônait une attitude résignée auprès de la communauté juive : 
" ... Quelle que soit votre amertume et sans rien accepter de ce qui vous a mis hors de la loi commune, subissez régulièrement les obligations qui vous sont faites par les lois, décrets, arrêtés et règlements du gouvernement français, en en appelant dans votre conscience de la France contrainte et meurtrie d'aujourd'hui, à la France généreuse et libre de toujours. Ne cachez pas votre qualité d'Israélites... Soyez renseignés et en règle avec les lois, ne vous cachez pas d'être ce que vous êtes. Soyez simples et modestes. Vous n'en serez que meilleurs Israélites et meilleurs Français ... " (3)
Une attitude rabbinique à rapprocher peut-être du Talmud qui professe que l'homme est tenu de bénir Dieu aussi bien pour le bonheur que pour le malheur (le tsidouk hadin ou acceptation de la justice divine). Et c'est encore le Talmud qui énonce le principe " dina demalkhouta dina - la loi du royaume est la loi ".

12 juin 1942 : Le président Helbronner reste fidèle à son attitude protestataire car les archives du Consistoire conservent une lettre de Jacques Helbronner à Laval, écrite moins de deux semaines après l'introduction de l'étoile le 29 mai.
Il écrit : " La France va-t-elle donc connaître la honte d'être une terre de pogroms et les principes de justice, de liberté des croyances et des cultes, de respect de la personne humaine, qui ont été si longtemps la personnalisation de son idéal, vont-ils être désormais méconnus à l'égard des personnes françaises ou étrangères que réunit uniquement le seul lien religieux ? " (Archives du Consistoire, BCC 19, dossier 19 a). 
Le même jour, un autre courrier à Laval, concernait les violences perpétrées contre la synagogue de Nice. (CDJC : CCXIX-111_001 )

Contre l'étoile, seulement une réaction "en interne"

30 juin 1942 : Le Consistoire central réagira contre l'étoile, mais une réaction émise seulement en interne, évoquant les "persécutions", dans une lettre à ses délégations régionales (AIU, CC 17, citée par Eric Alary dans " La ligne de démarcation ", Perrin 2003).
Il développe l'idée d'un transfert inter-zones des familles juives françaises demandé au gouvernement dès le 3 juin, et évoque pour la première fois l'étoile jaune
" Il paraît utile de préciser que cette requête a été présentée dans le dessein de préserver les Israélites de la zone occupée, des persécutions que constituent le port de l'Etoile, et ses répercussions. Aussi bien ne saurait-il s'agir, selon nous, d'une évacuation obligatoire mais d'une faculté d'évacuation accordée à ceux des Israélites qui en manifesteraient le désir. Une évacuation obligatoire serait une nouvelle persécution (...) Seraient tout particulièrement frappés ceux d'entre eux qui, réintégrés depuis longtemps à la Communauté française, attachés à la terre, à l'usine, à leur atelier d'artisan, remplissent en silence leur tâche quotidienne, supportant sans fléchir les vexations qui, sous le régime d'occupation leur sont infligées ".
(L'occupation de toute la France, à compter du 11 novembre 1942, ruinera cet espoir, refusé officiellement le 14 août 1942 - AIU, CC-6).

13 juillet 1942 : Jacques Helbronner et Isaïe Schwartz écrivent à Laval pour qu'il intervienne « auprès des autorités d'occupation » en vue du rétablissement, « de conditions de vie plus supportables et plus humaines » pour les internés du camp de Drancy. (CDJC : CCXIII-1_001)

16-17 juillet 1942 : la rafle du Vel'd'Hiv (arrestation de 13 152 juifs étrangers dont 4 115  enfants) viendra s'ajouter à l'horreur. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, un attentat frappe la synagogue de la rue de la Victoire. (CDJC : CCXXI-43 )
Le grand rabbin de Paris Julien Weill écrira à Laval pour lui rappeler la loi de 1905 qui plaçait les cultes sous la protection de l'Etat.
27 juillet : le Consistoire s'inquiète du sort des mères et des enfants arrêtés. 

28 juillet 1942 : Jacques Helbronner adresse une nouvelle missive solennelle à Laval (qui refusera de le recevoir en audience mais qui recevra André Baur, vice-président de l'UGIF le 3 août), où il est question de "restrictions infamantes aux libertés" : " Le consistoire central a été profondément ému par les informations qui lui parviennent de zone occupée sur la situation des israélites français et étrangers. De nouvelles restrictions très graves et infamantes ont été apportées à leur liberté (...) Considérant que le devoir primordial de tout Etat civilisé est de sauvegarder les biens, la liberté, l'honneur et la vie de ses citoyens et de protéger les étrangers qui ont régulièrement reçu hospitalité sur son territoire, adresse une nouvelle et plus solennelle encore protestation au gouvernement français contre des persécutions dont l'étendue et la cruauté atteignent un degré de barbarie que l'histoire a rarement égalées, l'adjure de tenter encore, par tous les moyens, de sauver des milliers de victimes innocentes auxquelles aucun autre reproche ne peut être adressé que celui d'appartenir à la religion israélite." (CDJC : CCXIX-94_002)

Les contradictions de l'UGIF 

De son côté, l'UGIF paraît animée de sentiments contradictoires vis-à-vis du "marquage" des Juifs par l'étoile. D'un côté elle encourage son port et participe activement à sa fabrication et à sa diffusion, et de l'autre, elle s'en inquiète : le 30 juillet, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, répond à André Baur, pour soutenir ses démarches visant à restreindre le "marquage", à l'instar de l'application de l'ordonnance en Belgique et au nord de la France, où sont exemptés les conjoints d'aryens, ainsi que pour les couples mixtes. (Fonds Suhard, 1 D XIV-15 lettre au secrétaire du cardinal , l'abbé Le Sourd). 
Michel Laffitte (“ Juif dans la France Allemande “ p.141) estime qu' "il y a là un paradoxe qui mérite d'être expliqué ".

L'indignation face aux déportations
Le rythme des déportations s'accélère : 22 convois sont déjà partis pour Auschwitz. 
23 août 1942 : le Consistoire, averti de l'imminence de la grande rafle prévue dans toute la zone libre, tient une séance extraordinaire. 
Solennel, le vice-président Adolphe Caen, en l'absence de Jacques Helbronner, souffrant, déclare : " l'heure que nous vivons est peut-être une des plus tragiques qu'ait connue le Consistoire Central au cours de son histoire ".
Une énième et ultime motion de protestation est rédigée contre les déportations et le voeu est exprimé d'obtenir une audience auprès de Laval
La protestation adressée au chef du Gouvernement, sur plus de trois feuillets, datés du   25 août 1942, commence ainsi :
" Le Consistoire central des Israélites de France, conscient du devoir de solidarité religieuse qui lui incombe, exprime au Chef du Gouvernement, l'indignation que lui inspire la décision prise par le Gouvernement Français de livrer au Gouvernement Allemand des milliers d'étrangers de diverses nationalités, mais tous de religion israélite, résidant en zone non occupée et qui s'étaient réfugiés en France avant la guerre, pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes ". 
Le texte évoque l'extermination des déportés voulue par le Chancelier du Reich... (CDJC : CCXIII-15_001). 
Une commission, réunie le lendemain, décide de diffuser largement la motion : au maréchal, au Nonce du Pape, au pasteur Boegner, au président de la Croix-Rouge, aux prélats, ministres, préfets, journalistes...

Le lendemain, 26 août, le convoi n° 24 quitte Drancy avec 1002 Juifs. Cinquante et un autres convois suivront jusqu'au 23 juillet 1944...
Dès l'aube du 26 août, la grande rafle de la zone libre entraînera l'arrestation et la déportation vers Auschwitz de 6.584 Juifs...

Dans sa lettre pastorale du 4 septembre 1942, à l'occasion de Roch Hachana 5702, le grand rabbin Schwartz rappelle que " l'année finissante sera tristement célèbre dans les annales du judaïsme français. Commencée dans l'angoisse, elle se termine dans la douleur ". Il évoque bien les " funestes effets du statut ", mais ne dit rien sur l'étoile jaune. (CDJC : CCXIX-88)
Le grand rabbin Schwartz rencontre Pétain le 23 février 1943 après la rafle de Marseille du 22 janvier (2000 Juifs, français et étrangers, arrêtés). 
Il était alors question d'imposer l'étoile jaune en zone Sud.
Paul Estèbe, chef adjoint de cabinet du maréchal, rappelle les propos de Pétain : " Tant que je serai vivant, je n'accepterai jamais que cette ignominie qu'est l'étoile jaune soit appliquée en zone Sud ".
Le maréchal aurait dit à la fin de l'entretien : " Priez pour moi afin que je vive assez longtemps pour voir la fin de ce drame ". 
Et le grand rabbin de répondre : " Monsieur le maréchal, il est d'usage dans nos synagogues de prier chaque samedi pour le chef de l'Etat ". (4)
Isaac Schneersohn, toujours dans son avant-propos à " L'Etoile Jaune " de Poliakov, d'apporter ce commentaire : " Dans la zone libre, si Vichy s'opposa au port de l'étoile, il accepta cependant – d'après sa méthode de molle résistance, aussitôt rachetée par des concessions hypocrites – le recensement supplémentaire, qui se fit sous la forme d'estampillage des cartes d'identité et des cartes d'alimentation. Les Juifs de la zone libre n'avaient pas le mot Juif marqué sur la poitrine, mais ils l'avaient sur leurs papiers. "
Les protestations continuent, sans résultat :

12 juillet 1943 : Helbronner écrit à Laval pour qu'il intervienne suite à la détérioration des conditions d'internement à Drancy (CDJC : CCXIII-2_001). Le cabinet militaire de Pétain répond le 16 que le maréchal demande au chef du gouvernement d'intervenir auprès des autorités d'occupation pour " essayer d'obtenir une amélioration de la triste situation que vous signalez ".


2 août 1943 : Le grand rabbin Schwartz et Helbronner réitèrent leur demande à Laval. D'autres courriers communs, à partir de fin 1942, concernent les persécutions, les arrestations dans l'ex-zone libre - nouvelle rafle de Marseille le 6 mai 1943, l'arrestation d'André Baur, le 21 juillet 1943 -. (CDJC : CMXXI-25)
23 octobre 1943 : les nombreuses protestations prendront fin avec l'arrestation de Jacques Helbronner à son domicile lyonnais, sur ordre de Berlin, alors qu'il se rend à Vichy pour dire une nouvelle fois son opposition aux mesures de répression et de déportation.
Avant d'être transféré au fort de Montluc, la Gestapo l'autorise à passer deux brefs appels téléphoniques. L'un au cardinal Gerlier, l'autre à Léon Meiss, vice-président du Consistoire.
Jacques Helbronner est transféré à Drancy le 11 novembre, avec son épouse. 
Ils porteront l'étoile jaune, imposée dans le camp, et le 20, sont déportés à Auschwitz par le convoi n° 62. Is seront gazés dès leur arrivée.
Léon Meiss, ex-magistrat à Nancy, devenu président du Consistoire, menacé du même sort que son prédécesseur, se réfugie en Savoie et le Consistoire entre alors dans la clandestinité. 
A la Libération, il aura un rôle de conciliateur  avec ceux qui reprochaient à l’institution consistoriale de ne pas avoir rompu avec Vichy (dès le 13 août 1944, il préside une commission demandant la fermeture de l'UGIF - CDJC-CCXVI-155). 
La délégation parisienne estimait avoir été abandonnée par les dirigeants du Consistoire restés à Lyon, qui bénéficièrent de la sécurité relative de la zone libre, jusqu'en novembre 1942. Meiss est à l'origine du Comité de défense, qui, en janvier 1944, se transforme en Conseil représentatif des israélites de France, devenu Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). (5)

Thierry Noël-Guitelman (mars 2013)

Remerciements particuliers à M. Philippe Landau, conservateur des archives du Consistoire central.
Sources : Centre de Documentation Juive Contemporaine, Archives du Consistoire central, Alliance Israélite Universelle.
(1) Pierre Birnbaum : " Les Fous de la République. Histoire politique des Juifs d'Etat, de Gambetta à Vichy " (Fayard, 1992).
(2) Citant un rapport de l'une des employées bénévoles de l'UGIF (CDJC-CCXIV-5), " Portez l'étoile jaune avec fierté ", mot d'ordre déjà lancé par Robert Weltsch, éditeur du journal sioniste allemand de l'immédiat avant-guerre Judische Rundschau.
(3) Archives " Librairie of the Jewish Theological Seminary : New York ", citées par Maurice Rajsfus, " Des Juifs dans la Collaboration " - L'UGIF 1941-1944 " (EDI, 1980), p. 92.
(4) Cité par Raymond Tournoux : " Pétain et la France " (Plon, 1980) p. 305, et Raymond Aron : " Le Monde et la Vie " (février 1961). 
(5) Claude Nataf : " Les Cahiers de la Shoah " n°5 (2001) : Survivre à la Shoah - Exemples français : le judaïsme religieux au lendemain de la Libération : rénovation ou retour au passé ?

lundi 21 janvier 2013

Anniversaire : 22-27 janvier 1943, la rafle de Marseille

Rafle d'une famille entière dans le Vieux-Port
Il y a exactement 70 ans, du 22 au 27 janvier 1943, la rafle de Marseille avait lieu dans le quartier du Vieux-Port.
Dirigée par René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, elle permettra d'arrêter et de déporter, selon les instructions préfectorales " repris de justice, souteneurs, clochards, vagabons, tous les Juifs, les étrangers en situation irrégulière ".
L'ordre venait d'Himmler, en représailles à des attentats dirigés contre des officiers et soldats allemands début janvier, suite à l'invasion de la zone libre qui entraina l'occupation de Marseille depuis le 12 novembre 1942.
Bousquet obtiendra des autorités allemandes la liberté totale pour la police française  d'agir sur toute la ville, les allemands visant au départ de rester dans les limites du premier arrondissement.
Le 22 janvier, le Vieux-Port sera bouclé par deux cents inspecteurs, quinze compagnies de groupes mobiles de réserve, et des escadrons de gendarmerie et de gardes mobiles, soit au total 12.000 policiers.
La destruction du quartier nord du Vieux-Port fut décidée, favorisant le réaménagement de tout le quartier et la spéculation foncière.
Bilan de l'opération, appelée " Sultan " par les Allemands : 6.000 arrestations et 40.000 identités vérifiées. Dans le seul quartier de l'Opéra, proche de la grande synagogue, 250 familles juives seront raflées. Le 24 janvier, 1.642 personnes seront transférées sur Compiègne, dont 782 Juifs déportés et exterminés à Sobibor, et 600 suspects déportés à Sachsenhausen. Au total, 4.000 Juifs arrêtés jusqu'au 27 janvier 1943.
Le cynisme de René Bousquet
La photo de la préparation de la rafle (Archives fédérales allemandes) montre le cynisme de René Bousquet, souriant, cigarette à la main, et manteau en col de fourrure,  entouré notamment du SS Bernhard Griese, de Pierre Barraud, préfet de Marseille et du préfet régional Antoine Lemoine, à l'hôtel de ville de Marseille.

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samedi 19 janvier 2013

Françoise Giroud n'a pas porté l'étoile jaune

Le 19 janvier 2003, Françoise Giroud disparaissait à l'âge de 86 ans.
Journaliste, co-fondatrice de l'Express avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, directrice de la rédaction jusqu'en 1974, secrétaire d'Etat à la condition féminine (1974-1976) puis à la Culture (1976-1977), Françoise Giroud a toujours voulu cacher sa judéité, jusqu'à ce que son petit-fils Nicolas (fils de Caroline Eliacheff et de Robert Hossein), en 1982, décide d'enquêter sur ses origines familiales. 
Dans une lettre, il demande à sa grand-mère si elle est juive. Françoise Giroud niera mais, poursuivant ses recherches, il tombe sur des papiers d'état-civil qui ne laissent aucun doute.
En 1988, Françoise Giroud lui révèle la vérité dans une lettre : " Ta grand-mère est née juive. Pour te dire cela, je dois rompre un serment fait à ma mère sur son lit de mort ".
Grâce aux révélations de sa grand-mère, Nicolas Hossein-Eliacheff pourra renouer plus tard avec ses origines. Devenu rabbin, il a pris le nom hébraïque d'Aaron Eliacheff, et exerce son ministère à Strasbourg.
 
Françoise Giroud est née Lea France Gourdji le 21 septembre 1916.
Son père, Salih Gourdji, dirigeait l'Agence télégraphique ottomane à Constantinople, en Turquie, où il était né. Sa mère, Elda Faraggi, est née à Thessalonique, en Grèce.
Née à Lausanne, en Suisse, Lea France n'a que onze ans quand son père meurt. A 14 ans, elle quitte l'école pour travailler et aider sa mère financièrement, avec un unique diplôme de dactylo, qui se révélera bien utile dans sa carrière journalistique.
Employée de librairie boulevard Raspail à Paris, elle devient secrétaire d'André Gide, puis scripte de Marc Allégret, ami de la famille. En 1937, elle devient assistante de Jean Renoir - son nom apparaît dans le générique de la Grande Illusion -.
En 1938, elle est scénariste pour Jacques Becker et travaille pour la radio où elle prend le nom de Françoise Giroud.

A l'exode de 1940, la famille rejoint Clermont-Ferrand où vit sa soeur Djénane.
Lorsque les lois anti-raciales sont promulguées, elle ne se fait pas recensée et n'a jamais porté l'étoile jaune, tout comme sa mère  Elda et sa soeur Djenane, comme le rappelle Laure Adler dans sa biographie, " Françoise ", parue chez Grasset, en 2011.
Alix de Saint-André, dans "Garde tes larmes pour plus tard" (Gallimard, 2012) apporte de nouveaux éléments d'enquête, concernant un vrai-faux acte de baptême, délivré le 23 avril 1942, mais avec une fausse date, grâce à un curé de l'Allier. 
Le chanoine Bardet, à Montcombroux-les-Mines (Allier) réalise en effet des certificats antidatés en 1917, pour la fille et sa mère, rajoutant même pour cette dernière "après avoir renoncé à sa foi musulmane".
Ce curé accommodant aurait été contacté car les Gourdji ont vécu à Nice et des connaissances niçoises travaillaient dans la mine du village.
Avec ses origines falsifiées, Françoise Giroud entreprend en mars 1942 des démarches administratives auprès du Comité d'organisation de l'industrie cinématographique, pour continuer de travailler dans le cinéma.
Utilisant son pseudo de Françoise Giroud, elle sera reconnue comme " scénariste d'origine catholique ", et déclare sous la foi du serment être de race aryenne. 
Le 15 juin 1942 elle obtient son autorisation de travailler de l'Institut des hautes études cinématographiques.
En 1943, elle écrit dans " Le Pont", périodique allemand édité en français, créé en 1940 par la Propagandastaffel et destiné aux travailleurs français en Allemagne. Elle écrit aussi dans " Paris-Soir ", dont la rédaction s'est repliée à Lyon.
Françoise Giroud, qui a été agent de liaison dans la Résistance, sera arrêtée par la Gestapo sur dénonciation. On lui reproche d'avoir hébergé un chef de l'Armée secrète.

Incarcérée à Fresnes de mars à juin 1944, elle sera libérée grâce à l'intervention du collaborateur Joseph Joanovici