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dimanche 22 janvier 2012

Les religions et l'étoile jaune


Les protestants protestent en premier


Les protestants seront les premiers à réagir officiellement contre l'instauration de l'étoile : 
le 12 juin 1942, la Fédération protestante de France, sous la signature du pasteur 
Bertrand, l'un de ses vice-présidents, écrit à Pétain pour lui exprimer " la douloureuse 
impression éprouvée devant les nouvelles  mesures prises par les autorités d'occupation 
à l'égard des Israélites ". (1)
Cette protestation avait été faite en chaire, à l'Oratoire de Paris, par le pasteur Bertrand
les 7 et 14 juin.
Le pasteur Bertrand
Le dimanche 7 juin, premier jour où le port de l’étoile
devient obligatoire, Bertrand déclare :
" Depuis ce matin, nos compatriotes israélites sont 
assujettis à une législation qui froisse dans leur 
personne et dans celle de leurs enfants, les principes 
les plus élémentaires de la dignité humaine. 
Nous ne sommes pas ici pour protester ou pour récriminer, 
encore bien moins pour condamner et pour maudire ; 
nous sommes ici pour aimer, pour prier et pour bénir. 
Ce sont des droits que personne sans doute ne nous 
contestera, et dont personne, dans tous les cas, 
ne peut nous dépouiller sans notre propre 
consentement. 
Nous sommes ici pour demander à Dieu qu’il fortifie le cœur 
de ces hommes et de ces femmes, afin que ce dont on a voulu faire pour eux 
un signe d’humiliation, ils soient rendus capables d’en faire un signe d’honneur. 
- Là où des hommes souffrent, quels qu’ils soient, le cœur innombrable du Christ 
est ému de miséricorde et l’Église a le devoir de dire : 
Moi aussi je souffre avec eux. - Là où des chrétiens, des hommes et des
femmes qui ont été baptisés au nom de Jésus-Christ, sont contraints de 
porter un signe qui n’est pas celui de leur Maître et de leur Sauveur, l’Église 
de Jésus-Christ a le devoir de dire : Ceux-là sont à moi, et je suis avec eux. 
- Et là où sont frappés des enfants de six ans, l’Église de Jésus-Christ a le
devoir de dire : Ceux-là sont à Dieu, les innocents, et je les bénis ".
 
Les catholiques : la base avant la hiérarchie

Pour les catholiques, le jour même de l'entrée en vigueur de l'étoile, un groupe de Jécistes
demanda au chanoine Jean Rupp de protester en chaire à l'église de la Sorbonne, 
rappelle Sylvie Bernay dans "L'Eglise de France face à la persécution des Juifs" 
(CNRS Editions 2012, p. 313).
Elle rappelle aussi que Mgr Chaptal, évêque auxiliaire de Paris, dont la mère était juive 
d'origine russe, porte ostensiblement l'étoile par esprit de solidarité. 
Elle mentionne également (p. 314) qu'un " rapport de la Gestapo indique qu'à la 
Sainte-Chapelle, au cours de la messe en l'honneur de saint Louis et de saint Yves 
qui réunissait le barreau parisien, le prédicateur dominicain proteste au nom du cardinal. 
(CDJC, fonds de la Gestapo, XLIXa-94a, rapport n°21 du service VI, 25 juin 1942).

Michel Laffitte, dans "Juif dans la France Allemande" (Tallandier 2006), p. 138, cite ce rapport :
" Dans son sermon, le représentant de Mgr Suhard s'est dressé avec la plus grande énergie contre l'introduction de l'étoile juive. Les auditeurs ont été priés de se rappeler que Juifs et  chrétiens sont frères. "

C'est seulement le 22 juillet 1942 que l'assemblée annuelle des cardinaux et archevêques émet
une protestation après la rafle du Vél d'hic, " afin que soient respectés les exigences de la justice et les
droits de la charité ". Le texte est fondé sur " ce qu'on nous rapporte des arrestations massives d'Israélites et les durs traitements qui leur étaient infligés, notamment au Vélodrome d'Hiver ".
(Michel Laffitte : "Juif dans la France Allemande", p. 139)

C'est seulement le 30 juillet que le cardinal Suhard assure André Baur, vice-
président de l'UGIF, de son soutien après les démarches engagées pour restreindre 
le champ d'application du "marquage".
Ces interventions catholiques, conjointement aux dirigeants juifs parisiens n'auront 
aucun résultat, souligne Michel Lafitte ("Juif dans la France Allemande", p. 140), 
tout en notant que, recevant André Baur à différentes reprises, le cardinal Suhard lui assure  être "toujours prêt à donner son appui dans la mesure de ses moyens". (CDJC YIVO36-582).
Un soutien sans vraie condamnation... 


Mgr Saliège à Toulouse, le 23 août 1942 : " les Juifs sont nos frères " 

Sur le parvis de la cathédrale de Toulouse, le buste de Mgr Saliège
À Toulouse, 
le 23 août 1942, l'archevêque Jules Saliège dénoncera sans ambiguïté les 
persécutions antisémites dans sa lettre pastorale, " Et clamor Jerusalem ascendit ", lue dans tout son diocèse le dimanche suivant.
" Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et 
reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. 
Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités 
comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t-il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre-Dame, priez pour la France.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé 
et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. 
Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces 
pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme 
tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. " 

> Lire sur Mgr Saliège le livre  "La Protestation" d'Yves Belaubre 

En octobre, le cardinal Suhard s'inquiète...
 
Le maréchal Pétain aura un entretien avec un agent diplomatique du Saint-Siège. D'après une note anonyme du 27 septembre 1942, suite aux mesures prises par Laval de livrer des  Juifs étrangers contre des Juifs français, soumettant au Conseil d'Etat le port de l'étoile, 
le diplomate exprima l'opinion du Pape désapprouvant les mesures antisémites qu'il
considère comme contraires à la dignité humaine et à la morale chrétienne 
(CDJC-CCXIV-85_001). 
Mais, au niveau des autorités ecclésiastiques françaises, il faudra attendre cinq longs mois, 
le 14 octobre 1942, pour que le cardinal Suhard, archevêque de Paris, s'inquiète auprès de 
Brinon pour des convertis au catholicisme ou des descendants de convertis qu’il craignait obligés de porter l'étoile. Dans une lettre à Brinon, le chanoine Maurice Bohan écrit :
“ Des exemptions ont été accordées par le commandement
militaire pour la Belgique et le Nord de la France dans une ordonnance n°79 du
1er juin 1942.
Ces exemptions ont été accordées  
1) à des femmes catholiques mariées à des Juifs
2) à des époux Juifs vivant dans un mariage mixte, lorsque de ce mariage sont
issus des enfants qui ne sont pas considérés comme Juifs.
Cette règle vaut, même si le mariage est dissous.
Votre haute autorité ne pourrait-elle pas intervenir auprès de M. le Commandant Militaire  pour la France, pour que semblable exemption puisse être accordée aux Juifs qui en feront  la demande et qui pourront justifier qu’ils remplissent les conditions d'exemptions  prévues ". (2)
Le sujet du mariage mixte avait été évoqué le 6 mai 1942, dès la conception de l'ordonnance,  et il était convenu que les Juifs concernés seraient exemptés si leurs enfants étaient reconnus comme non Juifs. (3)
Ces mesures particulières sont valables exclusivement dans le Nord, le Pas-de-Calais 
et la Belgique et concernent les conjoints d' "aryens", en référence aux dispositions appliquées dans le Reich (en Belgique, 1.077 juifs en ont bénéficié).
Ces dispositions étaient rappelées par le Dr Beyer, rattaché à l’état-major 
du Militärbefehlsaber in Frankreich (MbF), dans une note du 13 juin 1942 :
“ Les personnes exemptées du port de l’étoile jaune sont d'une part les époux juifs ayant contracté un mariage mixte dont les descendants ne sont pas considérés comme juifs (exemption valable même si le mariage est dissout ou rompu) d'autre part, les femmes 
juives ayant contracté un mariage mixte duquel n'est pas issu d'enfants
(valable pendant la durée du mariage uniquement) ". (4)
Outre les mariages mixtes, les demandes de convertis seront formulées très tôt :
dès le 2 juin 1942, Adolphe Weinstock explique qu'il s'est converti au catholicisme en 1900
et espère ainsi “ être épargné de la honte d’être obligé de porter l’étoile jaune ". (5)
Le 3 juin 1942, Marcel Levi, de Bagnolet, adresse une supplique à Laval pour lui-même
et son fils. Fils d’un père juif mais élevé dans la religion catholique, il reste considéré
comme Juif, tout comme son fils, et sont contraints de porter l’étoile.
Après examen, le CGQJ rejette sa demande. (6)
Lors des manifestations de sympathie envers les juifs, sitôt l'application de l'ordonnance, les religions sont mises en avant : à Rouen, des jeunes arborent l'étoile avec les inscriptions "catholique" et "protestant". (7)
A Paris, le 8 juin 1942, Marie Planeix, qui n'est pas juive, est arrêtée lors d'un contrôle
parce qu'elle porte une étoile jaune en papier avec l'inscription "INRI"
(Iesus Nazarenus Rex Iudæorum). Elle déclarera avoir voulu démontrer que " Jésus-Christ était le premier juif royal ".
Un geste de solidarité qui lui vaudra d'être écrouée à la prison de la Santé. (8)

Conversions et méfiance

La conversion sera aussi invoquée pour obtenir des libérations : dans une lettre à Pétain
du 7 avril 1943, Mathilde Masse, de Saint-Dié, demande la libération de son mari Camille,
et de sa belle-soeur Irène, tous deux convertis au catholicisme mais internés pour non
port de l’étoile. (9)
Le 20 mars 1944, le Cdt Hubert Cauchy, sous-chef de la défense passive de Reims,
demande la remise en liberté de son épouse Yvonne, née Sanders.
Il explique que sa femme est “ israélite, actuellement internée au camp de Drancy”.
Mais, précise-t-il, “ je suis catholique, né à Lille le 20 février 1894, et baptisé à l’église
Saint-Pierre Saint-Paul à Lille. Les trois enfants, issus de notre mariage, sont
catholiques et ont été baptisés à Etampes. Mes parents, tous deux décédés,
étaient catholiques. Mes grands parents, paternels et maternels, étaient catholiques
eux aussi. Sept certificats de baptème de mes ascendants ont été fournis et remis
à la préfecture de la Marne. Il me semble dans ces conditions qu'une mesure de faveur
puisse intervenir pour ma femme et la rendre à son foyer, me trouvant isolé et souffrant ".(10)

Pierre More, ancien prisonnier de guerre, dentiste à Dôle, écrira au président de
l’Alliance Nationale contre la dépopulation, le Dr Raffour, pour lui exposer le cas de sa
femme, née Vormus, mais convertie au catholicisme à sa majorité.
Il demande qu’une “  distinction soit faite entre une mère de famille indispensable
à ses petits enfants et des apatrides dangereux au pays  ”. Et le courrier fait référence
à Mgr Gaudel évêque de Toulon, qui procéda en 1937 au baptême et au mariage. (11)

Le juriste américain Richard H. Weisberg, dans " Vichy, la justice et les Juifs" insiste sur
la “ charge de la preuve " que le CGQJ exigeait, estimant non suffisante la production
de certificats de baptême pour délivrer le salvateur “ certificat de non-appartenance
à la religion juive " (12).
La méfiance pour les documents ecclésiastiques s’installa tout au long de l’année 1942
suite à plusieurs affaires de fraudes, de falsification de registres paroissiaux.
Il est à noter que l'église exprimera sa condamnation des mesures prises par Laval de livrer des israélites étrangers : une note anonyme du 27 septembre 1942, évoque l'entretien que Pétain a eu avec un agent diplomatique du Saint-Siège qui souligne l'opinion du Pape Pie XII désapprouvant les mesures antisémites qu'il considère "comme contraires à la dignité humaine et à la morale chrétienne". (CDJC-CCXIV-85_001) 


La force du droit

Il faudra aussi que la justice intervienne comme dans le cas de Françoise Raphaël, après deux ans de procédure et les interventions de l'amiral Darlan. La petite fille de
Georges Leygues, dont il fut chef de cabinet de 1926 à 1934 au ministère de la Marine,
d''ascendance mixte, n'avait pu fournir de preuve de sa non-judéité. Le tribunal
d'Agen, début 1943, se basera sur le fait qu'elle avait suivi des cours de catéchisme, en
contradiction avec la loi du 2 juin 1941, qui désignait de "race juive" celui qui "pratiquait la religion juive".
Le tribunal déclara qu'elle n'était pas juive et bloqua l'aryanisation de ses biens. Le Conseil d'Etat confirmera ce jugement dans un arrêt du 22 juin 1944. (13)

L’engagement de quelques prêtres

Des prêtres de base s'engageront : " Plusieurs fidèles de l'église Saint-Honoré-d'Eylau, 
d'origine juive et munis de leurs insignes, sont allés consulter leur curé à ce sujet. " Puisque notre Seigneur Jésus-Christ, s'il était parmi nous, aurait porté lui aussi cet insigne. 
C'est pourquoi il faut les bénir vos insignes ", rapporte Jacques Biélinky dans son journal  du 10 juin. (14)
Le dimanche 14 juin, Paul Verdrie, curé de Sainte-Clotilde, dans le 7e arrondissement,
fera un sermon vigoureux à la messe de 11 h. (15)
Le 20 juin 1942, deux indicateurs rapportent les réactions des Parisiens après l’entrée
en vigueur de la 8e ordonnance.
Ils signalent notamment la prise de position en faveur des Juifs des abbés Lombard
(Saint-Germain-des-Prés), Michel, Boucard, de Pitray (Saint-Sulpice), de Buchère de
Lépinois, Gilson et Verdrie (Sainte- Clothilde) pendant leurs prêches.
Des prises de position similaires ont eu lieu dans les paroisses Saint-Laurent,
Saint-Martin-des-Champs, Saint-Vincent-de-Paul (Xe), Saint-Marcel (XIIIe),
Sainte-Hippolyte. (16)
Même à Vichy, rapporte Georges Wellers, " le RP Victor Dillard, devant ses fidèles de
l'église Saint-Louis, les invite à prier pour les 80.000 juifs que l'on bafoue en leur
faisant porter l'étoile jaune ". (17)
À Séranon (Alpes-Maritimes), l'abbé Coene s'engage dans son bulletin paroissial :
" Que commande la charité chrétienne au sujet des juifs ? De les aimer comme des
frères : ce sont des hommes comme nous, rachetés par le sang de Jésus, appelés à aller au ciel comme nous ". (18)

Le 28 août 1942, le SS-Obersturmführer Moritz rapporte que le moine “juif” Jean Salomon 
Nathan, de l’abbaye Sainte-Marie, s’est vu interdit de sortir par son abbé qui craignait que son étoile jaune " provoque des manifestations anti-allemandes ". Il ne s'agissait pas d'une attitude pro-juive, car cet abbé était l'auteur d'un article " Pourquoi je suis antisémite " paru dans l'Action française. (19)
Parmi les attitudes exemplaires, celle de l'abbé Jean Flory, curé de Montbeliard (Doubs). 
A la messe de minuit de 1942, en présence d'Allemands en uniforme, il avait fait porter par les enfants de choeur, un enfant Jésus en procession, de 30 à 40 cm, qui portait l'étoile jaune.
Toute la foule est élue jusqu'aux larmes. Dans la crèche, Joseph et Marie portaient aussi l'étoile.
" L'affaire n'eut pas de suite mais cette trouvaille d'un humour tragique a profondément 
marqué l'assistance " rapporte l'abbé Ball, biographe de son confrère. (20)
La crèche restera à sa place jusqu'à la fin du temps liturgique de Noël, début février.


L'approche raciale

Certains orthodoxes grecs et russes tombaient aussi sous le coup du statut des Juifs.
Ce fut le cas d'un des plus hauts dignitaires de l'église russe orthodoxe, l'archimandrite
de Meudon, Serge Feffermann, qui, fin 1942, portera l'étoile.
S'adressant au CGQJ, il demande de ne plus porter l'étoile. S'il rappelle avoir quatre
grands parents juifs, il souligne s'être converti dès l'âge de 16 ans :
Un demi-siècle passé au service de l’Église catholique orthodoxe pouvait me faire
croire que jamais rien ne me rapellerait ma lointaine origine israélite.
Or, actuellement à cause de règlements, peut-être trop rigoureusement interprétés, je
suis astreint à porter l'étoile de Sion que j'ai reniée à jamais, et qui comporte le plus
douloureux sacrifice qui puisse être imposé à un prêtre, celui de ne pouvoir participer
à la célébration de services religieux ". (21)
La demande sera rejetée le 27 février 1943, au seul prétexte habituel, que seules les
autorités allemandes "étaient qualifiées ".


Le statut des Géorgiens

Aux yeux des nazis, les Géorgiens mosaïques n’étaient pas sémites mais des Chaldéens convertis au judaïsme, émigrés depuis l’Antiquité dans le Caucase.
Ils honoraient la Torah mais pas le Talmud, et n’admettaient pas de rabbin d’origine non-georgienne.
La loi française du 2 juin 1941 stipulait au contraire qu’ils devaient être regardés comme  étant issus de trois grands-parents de religion juive, et donc soumis au statut des Juifs, la  race des intéressés étant déterminée par l’ascendance.
Une contradiction rapportée par le service de l'état-civil du CGQJ :
“ J’ai l’honneur de vous faire connaître que les Géorgiens de religion mosaïque sont
considérés par les autorités occupantes comme n’étant pas de race juive (...)
La loi française considère incontestablement ces Géorgiens de religion mosaïque comme
soumis au Statut des juifs. Ceci résulte du fait que la loi précitée est fondée
essentiellement pour déterminer la race d’un intéressé sur la religion professée
par ses grands-parents.”
Emile Boutmy, l’un des responsables du CGQJ, accepta la position allemande qui
permettait aux Géorgiens mosaïques d’être exemptés du port de l’étoile jaune mais il
précisait qu’il n’apparaît pas que cette exemption “ doit entraîner ipso facto la levée
des administrateurs provisoires que vous auriez cru devoir faire placer aux biens
des Géorgiens de confession mosaïque. Bien mieux, je crois devoir décider que,
dans tous les cas, les Géorgiens de confession mosaïque doivent faire l’objet d’une
mesure d’aryanisation. ” (22)
Dans une lettre du 16 novembre 1943, le directeur du Statut des personnes indiquait au 
directeur de la  mosquée de Paris qui l'avait interrogé sur cette question, rappelait la loi 
française où "doit être considéré comme juif celui qui est issu d'au moins deux 
grands-parents de religion juive". En conséquence, les Géorgiens de religion mosaïque 
sont soumis au Statut des juifs. (CDJC-XXXII-68)
Le 3 décembre 1943, le Bureau chargé des Intérêts des Apatrides au Ministère des
Affaires Étrangères, à la direction du Statut des personnes du CGQJ, indique que
la décision de voir les Géorgiens de religion mosaïques “ reconnus comme non-juifs
par les autorités occupantes ” a été transmise à Vichy. (23)





En mars 1944, la préfecture de police transmettait au CGQJ les noms de personnes
fournis par Joseph Eligoulachvili, le président du groupement des Géorgiens de religion
israélite et toutes ces personnes (une dizaine) avaient bien été radiées de la liste des
israélites du département de la Seine, conformément aux instructions des autorités
occupantes.
La ligne dure de Darquier de Pellepoix contre celle des Allemands voudra s’imposer et
dans les derniers mois de l’occupation, une bataille s’engage autour de cette minorité,
comme un ultime baroud d’honneur :
Le 10 mars 1944 , le directeur du Statut des personnes du CGQJ informe que le statut
des Géorgiens de confession mosaïque a fait l’objet d’une “ demande spéciale auprès
des autorités occupantes et que la décision prise en janvier 1943 par le Statut des
personnes de Vichy, qui leur conférait la qualité de non-juifs, doit être considérée comme  “ nulle et non avenue ” .
Il se référait à la loi française et, lit-on, “ si les autorités occupantes les ont exemptés
du port de l’étoile, il n’apparait pas que cela doit entraîner la levée des administrateurs
provisoires “. (24)
Une lettre non datée (avec seulement l’inscription du 29 avril 1944) du CGQJ au préfet
de Police de Paris rappelle la différence entre la loi française et celle des autorités
occupantes, et conclue que les Géorgiens mosaïques doivent être soumis au statut
des Juifs, figurer sur les listes de recensement des Juifs et faire l'objet d'une mesure
d'aryanisation, avoir des cartes d'identité avec le signe distinctif "Juif " alors qu'ils seront exemptés des mesures de police fixées par les ordonnances allemandes en territoire
occupé (port de l'étoile, sortie après 20 heures, circulation dans la dernière voiture
du métropolitain, circulation interdépartementale, etc...) (25)
Le 14 juin 1944, le CGQJ rappelle que les ressortissants géorgiens de confession mosaïque  devaient être soumis au statut français des Juifs et lui demande d'apporter, si nécessaire, des objections.
En réponse, le préfet l'informe qu'il a fait connaître sa requête au commandant du Gross Paris qui ne juge pas nécessaire d'apposer la mention "Juif" ou "Juive"
sur les cartes d'identité.
Ne voyant aucun inconvénient à ce que les Juifs géorgiens soient de nouveau recensés
et exemptés uniquement des mesures de police, le préfet de Police suggère de saisir de
cette question les autorités occupantes. (26)
Le 19 juin 1944, le directeur du Statut des personnes demande au préfet de lui faire
d'urgence une copie de la liste des Géorgiens et une copie de la lettre dans laquelle
les autorités allemandes l'ont informé de leur décision de considérer ces ressortissants
comme "non-Juifs", dans le but de mettre en accord le point de vue des autorités françaises et des autorités allemandes. (27, 28)

Ismaélites, karaïtes et sabbataires

D’autres groupes religieux feront l'objet de doutes : les Ismaélites, musulmans chiites,
n'ont rien à voir avec les Juifs mais il faudra attendre une lettre du 12 janvier 1944, pour que le consul général, chef de la délégation à Paris du bureau chargé des intérêts des réfugiés et des apatrides, réponde à Darquier de Pellepoix.
Il précise l'origine de cette secte musulmane chiite d'environ 500.000 personnes, dont une partie se trouve en Inde et a pour chef spirituel Aga Khan, et une autre partie se trouvait en Syrie avant la guerre (29)
Le 8 février 1944, le SS-Obersturmführer Kaebernick émettra des réserves sur leur
" appartenance raciale " du fait des mélanges avec d'autres " races ".
Il conseillera d'examiner pour " chaque cas individuel l'aspect racial
de l'intéressé ou l'origine raciale des ascendants". (30)
La situation des Karaïtes sera aussi réglée après quelques hésitations.
Cette petite communauté juive Russe de 270 membres en France, ne tomba pas sous
le coup des lois anti-juives. (31)
Fin 1941, l'archevêché de Paris avait fourni des indications précieuses au CGQJ :
le gouvernement impérial russe reconnaissait l'indépendance de la religion des Karaïtes
et les exemptaient des mesures restrictives déjà mises en place dans l'empire contre les 
Juifs.
Quant aux Sabbataires, il s’agit d’une secte religieuse qui a seulement quelques 
ressemblances avec la religion juive.
Roman Kolganoff-Kagan, de la société des Cosaques de Kouban,
s’était déclaré juif lors du recensement d’octobre 1940, mais, en novembre 1941,
il explique que les Sabbataires ne sont pas "  de race juive " et qu’ils appartiennent
" à la race slave, et son par conséquent des aryens, au même titre que les Russes
orthodoxes ". (32)

Le statut des séfarades

Quant aux Séfarades, ils figurent parmi les dérogations du second statut des Juifs accordées 
aux anciens combattants, relèvent Marrus et Paxton.
" Observation étrange, notent-ils, les Juifs d'origine séphardique, dont la famille est venue d'Espagne en France à l'époque de Henri II pourront en bénéficier ". (33)
Fin 1941, le chef de cabinet adjoint du préfet de Gironde demande un avis sur la judéité
des Séphardins et soumet le point de vue de l'association culturelle sépharadite, qui parle
de ses membres comme des " Espagnols latins de croyance mosaïque ".
Beaucoup vivent à Bordeaux et un certain Benjamin Mendeles dépose une requête
à la préfecture disant qu'il est " d'origine portugaise et de religion mosaïque non
israélite ". (34)
Un autre élément viendra appuyer la demande d'exemption générale des mesures anti-juives : les recherches d'un professeur de l'Institut Pasteur concluant que la formule sanguine des Sépharades serait différente des Ashkénazes. En conséquence, ils seraient aryens.
Une autre étude de l'Institut anthropologique de Paris démontre que l'angle facial des
Sépharades est droit. Et l'on verra l'Institut racial de Munich donner un avis favorable.
Laval hésitera pour donner son accord, considérant " qu'il ne pouvait pas favoriser
des Juifs qui sont, pour la plupart, d'origine étrangère, eu égard aux autres, notamment
les Juifs Alsaciens, Ashkénazes et pourtant réputés pour leur patriotisme français ". (35)
En juillet 1942, Jacques Ditte, directeur du Statut des personnes au CGQJ, demandera
conseil au consul général d'Espagne à Paris, " s'il estime juste que les mesures prises
contre les Juifs soient appliquées aux sépharades espagnols ". Subtilement, le consul
Bernardo Rolland répond que " la loi espagnole ne fait aucune distinction du fait de leur
confession entre ressortissants espagnols ". (36)
En conséquence, il demande aux autorités françaises et d'occupation de ne pas leur
appliquer les lois sur le statut des Juifs.
Au passage, Pétain recevra en septembre une lettre des "mères israélites sépharadiques". (37)
Mais l'avis consulaire ne suffira pas et Ditte réclame, six mois plus tard, le 1er février 1943, l'arbitrage de Darquier de Pellepoix. La situation s'enlisera plusieurs mois mais en septembre Darquier donne sa réponse : le statut des Juifs doit s'appliquer aux Sépharades. (38)

Pourquoi le Consistoire n'a pas réagi contre l'étoile ?

> L'attitude des musulmans : le cas de 
Kaddour-Benghabrit, fondateur de la Mosquée de Paris

(*) Michèle Cointet : L'Église sous Vichy, Perrin 1998, p.342
Le cardinal Suhard, comme la plupart des dignitaires catholiques avait approuvé la politique de Pétain.
Il avait aussi adressé une dépêche à Hitler, le 26 octobre1941 pour tenter de sauver les otages de Nantes
et Châteaubriant mais il condamna la résistance armée
avec les évêques de France en février 1944. Il accueillera le maréchal Pétain à Notre-Dame, en avril 1944
et présida à Notre-Dame les funérailles nationales du ministre Philippe Henriot, assassiné
le 28 juin 1944. Lors de la Libération de Paris, le 26 août 1944, le général de Gaulle l'excluera du Te Deum
à Notre-Dame et le maintiendra confiné à l'archevêché.

(1) CDJC-CXCV-36_001 Lettre du 12 juin 1942 du vice-président du conseil de la Fédération protestante de France.
(2) AN F60-1485
(3) CDJC-XLIXa-53 Note de Dannecker du 7 mai 1942.
(4) CDJC-CDXXVIII-18 Dispositions du 13 juin 1942, du Dr. Beyer, rattaché à l'état major du Militärbefehlsaber in Frankreich,
(5) CDJC-XLIXa-60b Lettre du 2 juin 1942, de Adolphe Weinstock, adressée au Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF), demandant
 l'exemption du port obligatoire de l'étoile jaune
(6) CDJC-CXV-40 Correspondance du 3 au 11 juin 1942, relative au cas de Marcel Levi et de son fils André Levi.
(7) CDJC-XLIXa-79 Note du 8 juin 1942 sur l’introduction du port de l’étoile jaune à Rouen : 156 étoiles distribuées.
(8) CDJC-XLXa-71 Lettre du 10 juin 1942 de la Feldgendarmerie Trupp 923 de Paris.
(9) CDJC-CII-92 Lettre du 7 avril 1943 de Mathilde Masse adressée au maréchal Pétain.
(10) AN-F 60-1485 Lettre à Brinon.
(11) CDJC-XLII-94 Lettre du 26 février 1944.
(12) R. Weisberg : “ Vichy, la Justice et les Juifs “ (Édition des archives contemporaines), chapitre 6e, Jusqu’à quel point fallait-il
prendre au sérieux l’acte de baptême ? p. 138-141.
(13) CDJC-XVII-36 Copie de l'arrêt du Conseil d'Etat.
(14) Cité par Michel Laffitte "Juif dans la France Allemande" (Tallandier 2006) p. 138
(15) Cité par Michel Laffitte "Juif dans la France Allemande" (Tallandier 2006) p. 139
(16) CDJC-XLIXa-92 Rapport du 20 juin 1942.
(17) Georges Wellers " Un Juif sous Vichy " (Tirésias, 1991) p. 221.
(18) CDJC-CCXXXIX-206
(19) CDJC-XLIXa-111 Note du 29 août 1942, du SS-Obersturmführer Moritz du service VI W/S, adressée, entre autres, au service IV J.
(20) L'action de l'abbé Flory (1886-1949), ordonné en 1911, curé de Montbéliard à partir de 1937, est rapportée dans
" Chrétiens et Juifs sous Vichy, 1940-1944 : sauvetage et désobéissance civile ", par Limor Yagil (Editions du Cerf, 2005).
Joseph Ball : L'Abbé Jean Flory (1886-1949) : documents et témoignages (Besançon, Jean Garneret, 1978).
(21) CDJC-XXXII-149/150 Lettre du 17 décembre 1942 de l'Archimandrite Serge Fefferman.
(22) Joseph Billig : Le Commissariat aux questions juives, CDJC, Paris, 1955, vol. 1, p. 339, cité par Weisberg (ibid)
p. 147-148 et p.340
(23) CDJC-XXXII-69 Lettre du 3 décembre 1943 de N. de Hehn à Melle Kreiss, de la direction du Statut des personnes
du Commissariat général aux questions juives.
(24) CDJC-CXV-149 Lettre du directeur du Statut des personnes du Commissariat général aux questions juives, du 10 mars 1944.
CDJC-XXXII-74  Correspondance de mars 1944 du préfet de Police à Louis Darquier de Pellepoix.
CDJC-XXXII-75 Lettre du 10 mars1944 du directeur du Statut des personnes au directeur régional de Toulouse.
(25) CDJC-XXXII-76 Lettre non datée du Commissariat général aux questions juives au préfet de Police de Paris.
(26) CDJC-XXXII-77 Lettre du 14 juin 1944 du préfet de Police à Louis Darquier de Pellepoix.
(27) CDJC-XXXII-78 Lettre du 19 juin 1944 du directeur du Statut des personnes et des affaires juridiques au préfet de Police 
de Paris.
(28) CDJC-XXXII-82 Note manuscrite du 6 juillet 1944 sur " les personnes de confession mosaïque ".
CDJC-XXXII-80 "Les Juifs géorgiens au point de vue de la religion" du 29 juin 1944.
(29) CDJC-XXXII-86 Lettre du 12 janvier 1944 du consul général, chef de la délégation à Paris du bureau chargé des intérêts
des réfugiés et des apatrides à Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, au sujet des Ismaélites.
(30) CDJC-XXVa-89 et 90 Lettre du 8 février 1944 de M. Kaebernick, SS-Obersturmführer, au directeur du cabinet et au
secrétaire général du Statut des personnes, au sujet de la secte ismaélite.
Lettre du 6 mars 1944 de M. Boutmy, directeur du Statut des personnes du commissariat général aux questions juives au
directeur de la Section d'enquête et de contrôle, au sujet de la secte des Ismaélites.
(31) Ibid R. Weisberg, p. 149. Voir aussi pour les Djougoutes, Subbotniks et Arméniens, p. 150, 151, 152.
(32) CDJC-XXXII-167 Certificat du 11 septembre 1941 délivré par la Société des Cosaques de Kouban et lettre du 3 novembre
1941 au secrétariat général des Affaires Juives.
(33) Marrus et Paxton : " Vichy et les Juifs " (Poche, biblio - essais, 2004) p .145
(34) CDJC-XXXII-76 Lettre non datée du Commissariat général aux questions juives au préfet de Police de Paris.
(35) CDJC-CCXIV-1-001 Ce rapport (non daté) met en avant le Dr Vidal Modiano, présenté comme " chef du judaïsme
sépharade en France. Mais il refusa de s'associer à une pétition en faveur d'une exemption générale alors que Sam Lévy,
ancien rédacteur en chef du " Journal de Salonique ", devenu président de la Cultuelle Sépharade, aurait été prêt à signer cette pétition.
Dans une lettre du 9 septembre 1941 (CDJC-XXXII-175), Sam Lévy avait écrit au maréchal Pétain pour qu'il intervienne afin que
" les Juifs de France n'aient pas à porter la rouelle comme les Juifs d'Allemagne ".
En 1967, (CDJC-CCXIV-1a_001), le Dr Vidal Modiano dénoncera le rôle qu'il aurait eu dans d'éventuelles démarches tendant à
favoriser les Juifs Sépharades, considérant le rapport le mettant en cause comme " un exemple caractéristique des rumeurs
irresponsables qui circulaient à cette époque troublée ".
(36) CDJC-XXXII-180/81 Lettre du mois de juillet 1942 de Jacques Ditte, directeur du Statut des personnes du Commissariat
général aux questions juives, aderssée au consul général d'Espagne à Paris.
(37) CDJC-XXXII-182 Lettre manuscrite du 22 septembre 1942 des  mères israélites sépharadites de France " au maréchal Pétain.
(38) CDJC-XXXII-185/186 Lettre du 1 février 1943 du directeur du Statut des personnes du CGQJ à Louis Darquier de Pellepoix,
commissaire général aux questions juives, lui demandant si les Sépharadites doivent être
considérés comme Juifs et réponse du mois de septembre 1943 de Louis Darquier de Pellepoix par l'affirmative.

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