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dimanche 11 décembre 2011

Les interventions de Léo Israelowicz, de l'UGIF

Chef du service 14 de liaison entre l'UGIF (Union générale des israélites de France) et le service des affaires juives de la SS, Léo Israelowicz intervient souvent en faveur d'internés juifs à Drancy.
Il est régulièrement reçu par Aloïs Brünner qui commande le camp, pour examiner ensemble des demandes de libération. (1)
Juif polonais, Israelowicz est né le 15 février 1912 à Tarnow, près de Cracovie.
Ancien ténor des choeurs de l'Opéra de Vienne - il chantait alors sous le nom de Léo Ilkar - il devient, à 26 ans, membre du conseil juif de Vienne, en Autriche.
C'est Adolf Eichmann qui le fait venir à Paris, le 18 mars 1941. Il arrive avec Wilhelm Biberstein, également membre du Judenrat de Vienne.
Objectif : constituer un conseil juif central en zone occupée. (2)
Israelowicz disposera d'un hôtel particulier au 77, avenue Paul-Doumer, dans le 16e arrondissement de Paris, où il vit avec sa mère Balbina Rauchwerg, 54 ans, et sa fiancée Margareta Spitzer, 20 ans. Le père de cette dernière deviendra le conseiller juridique d'Israelowicz.
Dès son arrivée à Paris, il prend la direction de l'hebdomadaire " Informations juives ", créé pour " souder la communauté juive ".
Le premier numéro paraît le 19 avril 1941, et devient le Bulletin de l'UGIF, à compter du 23 janvier 1942, qui sera visé chaque semaine par le sergent SS Ernst Heinrichson.
Israelowicz est dans son rôle, le 8 juillet 1943, lorsqu'il délivre une attestation, qui, avec l'accord de Röthke, fournit une exemption de l'étoile jaune à Robert Gamzon, membre à la fois du conseil d'administration de l'UGIF pour la zone sud, et du Consistoire central. (3)
Le document permet aussi de passer outre le couvre feu, après 20 heures, pour deux mois de séjour en zone occupée. (4)
CDJC-CDX-70 Attestation du 8 juillet 1943 pour Robert Gamzon,
provisoirement dispensé du port de l'étoile jaune.
Il s'agit d'une mesure assez exceptionnelle, les dirigeants et cadres de l'UGIF disposant seulement, en zone nord, à partir de juin 1942, d'une carte de légitimation qui n'exempte en rien des mesures antisémites en vigueur.
Dans une note du 2 décembre 1942, Israelowicz rappelle que Röthke confirme " le désir de maintenir la protection qui s’étend à nos employés. Ceci à la condition que ces derniers ne se rendent coupables, ni d’infractions ni de délits ".
Et de laisser entendre que la " non observation d’ordonnances en vigueur par un employé de l’UGIF était préjudiciable pour le reste du personnel et, qu’en cas d’arrestation, les démarches étaient rendues bien plus difficiles ". Et de conclure par un appel à l’ensemble du personnel pour " observer strictement les prescriptions en vigueur ". (5)
Pour la libération du rabbin Meyers
Israelowicz interviendra notamment pour la libération du rabbin Robert Meyers. (6)
Rabbin de la Haute-Savoie et directeur régional de l’UGIF, aumonier de la Croix-Rouge, cet homme de 44 ans est arrêté à Annemasse le 28 décembre 1942, avec son épouse Suzanne, 42 ans, secrétaire régionale de l’UGIF, alors qu’il se rendait à l’hôpital pour visiter des malades. On les accuse d’avoir voulu passer en Suisse. (Fin août 1942, lors de la grande rafle de la zone libre, le rabbin avait prévenu personnellement les 700 familles juives d'Annecy et avait obtenu de l'évêque, Mgr Cesbron, de les accueillir dans les couvents. Seulement quarente personnes seront arrêtées. Cible du préfet, le rabbin avait été menacé de déportation s'il n'arrêtait pas ses actions).
Internés à Drancy, ils sont délestés de leur argent (130.000 F).
Dans un courrier émouvant, le rabbin estime "  n’avoir contrevenu à aucune loi française, ni aucune loi allemande ". Une mention manuscrite précise " ma femme et moi sommes très sérieusement malades ".
En dépit de l’intervention du fils du rabbin auprès du Pape Pie XII, Robert Meyers et Suzanne seront déportés le 13 février 1943, par le convoi n° 48. (7)
Par contre, l’intervention sera positive en faveur d’Alice Glass, arrêtée pour ne pas avoir retiré son étoile jaune dans les délais. Son mari, non juif, s’était présenté, alors qu’elle était souffrante, le 10 juin 1942, avec trois jours de retard au commissariat du 10e arrondissement. Or, l’étoile ne pouvait être retirée que par son porteur. Lorsqu’elle se présentera, elle sera arrêtée…
Certificat médical à l’appui, le mari contacte l’UGIF et Lucienne Scheid-Haas, responsable du service juridique, interviendra deux fois auprès d’Israelowicz.
L’ordre de libération interviendra le 21 octobre 1942.
Michel Laffitte, dans " Juif dans la France Allemande " note que " la qualité de conjointe d’aryen a sans doute été l’élément majeur qui a évité à Alice Glass, pendant ces presque cinq mois d’internement au camp de Drancy, de faire partie d’un convoi de déporté ". (8)
D'autres sauvetages
Israelowicz interviendra par contre très promptement, en octobre 1942, suite à la demande du rabbin Elie Bloch, de Poitiers, pour faire libérer la famille Friedmann, les enfants orphelins Richard et sa sœur Louisette Fligelman, élèves des lycées Fontanes et de jeunes filles à Niort (respectivement premier prix de version latine au concours général et mention très bien à la première partie du bac, et prix d’excellence), leurs oncle et tante Maximilien, 60 ans, et Sabine Vollmann, 51 ans, (tous domiciliés au 251 avenue de La Rochelle) et les enfants Emilie et Marc Lieberman, transférés au camp de Poitiers.
Ces derniers n’avaient pas leur acte de naturalisation. 
Israelowicz écrit au rabbin : " Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’avertir du départ pour Drancy des enfants Liebermann et de m’envoyer au plus tôt leur acte de naturalisation pour que je puisse faire l’impossible pour les sauver ". (9)
Richard Fligelman, 16 ans, sera déporté à Sobibor, par le convoi n° 53 du 25 mars 1943.
Ses oncle et tante périront à Auschwitz par le convoi n° 42 du 6 novembre 1942. 
Seule Louisette survivra. Emilie et Marc Lieberman ne seront pas déportés.
Autre intervention en faveur d’enfants, mais négative, en mars 1943, suite à une requête du consulat de Suisse à l’ambassade d’Allemagne pour deux enfants juifs polonais, Nathan Ollech et Wolfgang Stimler,  hébergés dans un centre d’enfants de l’UGIF, pour qu’ils puissent rejoindre leurs parents en Suisse.
Röthke refusera ce genre de "rapatriement" en demandant au consulat de s'abstenir de telles demandes à l'avenir… (10)
Israelowicz arrêté, sa fille menacée...
Le 21 juillet 1943, Israelowicz accompagnait André Baur, vice-président de l’UGIF pour la zone nord, au camp de Drancy. Baur sera retenu comme otage suite à deux évasions – dont le cousin de Baur, Adolphe Ducas –  et Israelowicz sera laissé en liberté provisoire mais leurs familles seront menacées d’arrestation si dans un délai de huit jours les deux évadés ne se présentaient pas volontairement.
L’UGIF montera une mission pour retrouver les fugitifs et Baur demandera au garde des Sceaux d'intervenir auprès des autorités helvétiques pour obtenir l’extradition de Ducas. (11)
Baur et Israelowicz seront déportés à Auschwitz le 17 décembre 1943 par le convoi n° 63. (12)

Un rapport interne du Commissariat général aux questions juives, du 28 septembre 1943, relate la dénonciation de l’épouse de Lucien Cahen, interné au camp de Beaune-la-Rolande, qui " a entendu dire qu’un Juif nommé Israelowicz avait fait sortir des Juifs moyennant rétribution ". (13)
La fille d’Israelowicz donnera ce témoignage visant à défendre l’honneur de son père, à Serge Smulevic, rescapé d’Auschwitz :
" Un soir, la Gestapo est venue chez nous et a demandé à mon père de les accompagner pour aller chercher des Juifs qui n’étaient pas de nationalité française et dont mon père possédait la liste. Il faut croire que cette action n’avait rien d’officiel puisqu’ils auraient pu se procurer la même liste au bureau de l’UGIF, ce qui expliquait leur arrivée inopinée chez nous.
Mon père joua là-dessus, refusa catégoriquement, mais l’officier de la Gestapo, qui commandait le groupe de trois hommes, sortit son révolver et me le mit contre la tempe en disant à mon père : " Ou bien tu viens immédiatement avec nous, ou bien c’est ta fille qui sera victime de ton refus ".
Mon père atterré, contraint et forcé, s’exécuta et il est parti avec eux.
Ils sont revenus régulièrement trois à quatre fois par semaine, mais toujours après 20 heures, et ils ont prévenu mon père que cela ne servirait à rien d’essayer de nous faire partir ma mère et moi pour nous cacher. Que vouliez-vous qu’il fasse ?
Me laisser tuer sous ses yeux ? Ils en étaient capables et il ne l’aurait pas supporté. Il a préféré partir chercher des Juifs avec eux. Je vous raconte tout cela parce qu’aujourd’hui nombreux sont ceux qui savent ce que mon père a fait, mais ne savent pas dans quelles conditions cela s’est passé. Ils avaient aussi dit à mon père qu’il n’arriverait rien à ces juifs et qu’ils partaient simplement travailler en Allemagne.
Cela a duré à peu près deux mois, puis un soir après être venus chercher mon père, il n’est plus revenu. Mais nous avons appris par la suite ce qui était arrivé à ces malheureux ".


Roué de coups
Serge Smulevic entendra parler d’Israelowicz pour la première fois en février 1943, à Grenoble.
Israelowicz, qui se trouvait encore à Paris, aurait eu un besoin urgent de faux papiers pour sa famille.
A Auschwitz, Smulevic retrouve à nouveau le nom d’Israelowicz dans la bouche de plusieurs de ses victimes. Il tomba sur Herbert, un capo Juif polonais, qui avait vu sa jeune femme et ses trois petites filles gazées à Auschwitz, dès leur arrivée. Herbert était devenu la terreur des déportés du Kommando n° 54.
Apprenant l’arrivée d’Israelowicz, Herbert se rendra dans son bloc en pleine nuit, le fit lever et le roua de coups. La scène se reproduira deux nuits de suite, laissant Israelowicz pour mort la troisième nuit.
Le lendemain, Herbert donna sa démission de kapo et se laissera mourir. (14)

(1) CDJC-CDXXX-29 Modèle de requête en allemand, adressée aux Allemands par l'intermédiaire du service 14.
CDJC-CDXXV-29 Ensemble de lettres et de notes du 21 janvier 1942 à 21 juin 1944, écrites entre autres par Léo Israelowicz concernant les laissez-passer, les arrestations, les mariages mixtes et des restaurant juifs proposés aux autorités d’occupation pour remplacer ceux qui ont été fermés. Israelowicz informe aussi certains parents que leurs enfants ont été arrêtés.
CDXXV-40 Ensemble de lettres et de notes du 21 juin 1943 au 13 janvier 1944 échangées entre des membres de la famille Bralet, Léo Israelowicz et le directeur du Statut des personnes du Commissariat général aux questions juives, concernant l'arrestation et la libération de Mme Berthe Bernheim et de sa fille, Mme Bralet. Libérée, Mme Bernheim remercie chaleureusement Léo Israelowicz. Après Drancy, elle est transférée à l'hôpital Rothschild, puis déportée vers l'Est.
(2) Marrus et Paxton, " Vichy et les Juifs ", (Biblio Livre de poche, Essais), p. 158.
Xavier Vallat, secrétaire général du gouvernement de Vichy aux anciens combattants, craignant de perdre son autorité, présenta un projet de conseil juif pour la zone occupée et la zone non occupée.
La loi du 29 juillet 1941 officialisera la création de l'UGIF.
(3) Robert Gamzon (1905-1961), né à Lyon, est le petit-fils d'Alfred Lévy, grand rabbin de Paris. Fondateur des Eclaireurs Israélites de France (EIF) en 1923, il sera officier du Génie en 1940. Il sera décoré de la croix de guerre pour avoir participé à la destruction du central téléphonique de Reims, afin qu'il ne tombe pas aux mains des Allemands. A Lautrec, près de Toulouse, il participe à l'organisation d'une filière d'évasion d'enfants juifs, permettant le sauvetage de milliers de jeunes.
Fin 1943, il entre dans la clandestinité sous le pseudo de "capitaine Lagnes", organise la résistance militaire des EIF - dissous en janvier 1943 - qui compte dans l'OJC (Organisation Juive de Combat).
En 1944, il prend le commandement de la 2e compagnie du maquis EIF de Vabre (Tarn). Après guerre, il s'installe en Israël en 1949. Ingénieur de formation, maître de recherche au département électronique de l'Institut Weizmann, il meurt noyé accidentellement.
(4) CDJC-CDX 70 Attestation du 8 juillet 1943.
CDJC-CDXXIV-8 Une note d'Israelowicz du 18 avril 1943 à Röthke demande de laissez-passer pour autoriser un voyage en zone nord, du 28 avril au 15 mai 1943, pour Robert Gamzon, Maurice Brener, secrétaire général de l'UGIF, et Jules Jefroykin, inspecteur social à la direction générale de l'UGIF.
(5) CDJC-CDXXIV-3 Note au chef du service 14 du groupe 1 de l’UGIF du 2 décembre 1942.
CDJC- CDXXVI-1 Dans un certificat non daté de Léo Israelowicz, et du vice-président de l'UGIF, M. Edgar Geismar, chef du centre d'enfants rue Guy Patin, est autorisé à effectuer des achats en dehors des heures fixées par la 9e ordonnance.
(6) CDJC-CDXXIV-8 Correspondance du 11 janvier 1943 au 18 avril 1943 du secrétariat général du service 14 de l'Union générale des israélites de France, au sujet de demandes de libération concernant Odette Perper, Salomon Baumann, Sophie Picard et le rabbin Meyers et son épouse, tous internés à Drancy.
(7) Paul Lévy : "  Hommes de Dieu dans la tourmente - L’histoire des rabbins déportés " (Editions Safed, 2006) – Les rabbins assassinés – p. 293 et 394.
(8) Michel Laffitte : " Juif dans la France Allemande " (Taillandier, 2006) p. 145.
(9) CDJC-CDXXIV-9 Correspondance du 9 au 15 janvier 1942 entre le rabbin Elie Bloch et le secrétaire général de l'Union générale des israélites de France. 
Pour en savoir plus sur les juifs déportés des Deux-Sèvres : http://www.lycee-jeanmace.fr/Projets/pologne_2012/reperes/reperes.html
(10) CDJC-XLVI-0 Sept documents, du 16 février 1943 au 28 octobre 1943. (Ex-cote XLVI-398/404)
(11) CDJC-XXVIII-183 Lettre du 5 août 1943 du Commissariat général aux questions juives, signée Louis Darquier de Pellepoix, demandant au Garde des Sceaux les mesures à prendre suite à la requête du 2 août, d'André Baur de se faire libérer du camp de Drancy.
CDJC-XXVIII-200 Correspondance du Commissariat général aux questions juives du 4 septembre au 7 septembre 1943 concernant l'impossibilité de demander l'extradition de M. Ducas.
(12) Sa mère, Balbina Rauchwerg, née à Tarnow le 10 octobre 1897, et sa femme Margareta Spitzer, née à Biesad le 25 mars 1921, seront également dans le convoi n° 63.
(13) CDJC- XXVIII-212 Rapport daté du 28 septembre 1943 du Commissariat général aux questions juives destinée à la direction du Statut des personnes.
(14) http://perso.wanadoo.fr/d-d.natanson
Témoignage tiré de " La triste fin de Léo Israélowicz ".

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